Pour apercevoir la couleur des briques de l'une ou l'autre des trois propriétés de Jeff Bezos sur Indian Creek, vous pouvez toujours nager. Le joyau le plus jalousement gardé de la baie de Miami, situé à l'ouest de Surfside et au sud de Bal Harbour, est aussi, inévitablement, l'un des mieux gardés.
De passage dans le secteur, watson a bien tenté d'aller fourrer son nez entre les massifs d'hortensias pour apercevoir cette île ultra-privée... avant de passer bien vite son chemin, refroidi par le regard austère des gardes postés sur place 24 heures sur 24 à l'entrée. Touristes, curieux et paparazzis sont priés de circuler. Y'a rien à voir.
C'est ce qui rend ce minuscule îlot de 1,2 km2 si précieux aux yeux de ses résidents: la garantie d'un dispositif de sécurité qui rivalise avec celui de certains petits Etats. Indian Creek possède une police privée de 13 personnes pour elle seule, chargées de faire régulièrement des rondes, ainsi que d'une patrouille maritime qui fonctionne jour et nuit.
Le «bunker des milliardaires» n’est accessible au reste du monde que par un pont. Un seul. Comme pour une forteresse médiévale, chaque entrée se fait donc au compte-goutte.
Un coin nettement mieux gardé et discret que sa consoeur, Star Island, une autre île de Miami qui compte parmi ses habitants Sean Combs ou Jennifer Lopez, et que le média américain Curbed décrivait, en 2015, comme «un petit quartier de grosses maisons et de drame». Si les occupants de Star Island se croient protégés derrière de grandes grilles, «on peut y accéder sans trop de difficultés. Ce sont des routes publiques», soufflait un initié au magazine Town&Country en 2022.
Leur île étant parfaitement inaccessible au commun des mortels, les 84 habitants d'Indian Creek (pour un total de 12 ménages et 10 familles selon un recensement de 2020), eux, sont assurés de ne croiser que les ayants droit.
Outre ce gage d'intimité et de sécurité, ceux qui la connaissent décrivent l'île comme moins clinquante et tape-à-l'oeil que ses voisines. «C'est discret et super chic. Un peu à l'ancienne», confiait un initié de South Beach, en 2022. «Toute l'île est vraiment belle et soignée.»
Avec un prix médian de 13,6 millions de dollars par maison, selon le Miami Herald, la seule rue de l'île est accessoirement la plus chère des Etats-Unis.
Et pour cause: la liste des résidents du «bunker des milliardaires» est un véritable who's who de l'élite mondiale. Des pontes de la tech et de la finance aux légendes du sport, en passant par des magnats du divertissement et d'influents politiques. Pour ne citer qu'eux: la fille bien-aimée de Donald Trump, Ivanka, et son mari Jared Kushner; l'ex-joueur de football Tom Brady et son ex-épouse, le top model Gisèle Bündchen, le chanteur Julio Iglesias; l'investisseur Carl Icahn ou encore, paraît-il, l’émir du Qatar.
Pour ceux qui n'auraient pas un sens du voisinage et du small talk surdéveloppé, pas de panique: «Il y a beaucoup de séparation entre les voisins», selon Pablo Alfaro, agent immobilier basé à Miami au sein de la société Douglas Elliman. «Les terrains sont vastes, la plupart d'entre eux font au moins un demi-hectare.»
Pour les autres, tout ce joli petit monde a l'occasion d'aller boire des mimosas et de suçoter du homard au Indian Creek Country Club, qui occupe la majeure partie de cet écrin de verdure. Autrefois surnommé «la société privée la plus exclusive et la plus controversée du comté de Miami-Dade» (selon Page Six, suite à un scandale pour avoir tenté de limiter le nombre d'adhérents Noirs et Juifs), ce club privé de style espagnol a été construit au début des années 1920 par l’architecte suisse Maurice Fatio.
Ses quelque 300 membres ont non seulement accès à un parcours de golf de 18 trous parmi les plus réputés du monde, mais aussi à un restaurant proposant «une cuisine super bonne». Sans oublier les indispensables fitness, piscine, sauna et salles de massage. Comptez tout de même 150 000 dollars de frais d’inscription.
Cela dit, être propriétaire d'une maison sur Indian Creek ne vous garantit pas automatiquement une adhésion. Seuls huit ou neuf habitants seraient membres, selon le Miami New Times en 2010. Jared et Ivanka, eux, auraient échoué à en être en 2021. Dommage. Car, au-delà de ses infrastructures, l'Indian Creek Country Club constitue avant tout un lieu de socialisation et de réseautage pour la crème de Miami, qui peut se rencontrer lors de soirées costumées ou de fête du Nouvel An.
D'ailleurs, au rang des potins servis sur le buffet, quelque part entre les huîtres et les coupes de champagne, un article du Wall Street Journal publié la semaine passée a certainement dû faire les gorges chaudes. Le quotidien économique est le premier à avoir relayé la nouvelle d'un procès impliquant un ancien habitant d'Indian Creek, la régie immobilière de Miami Douglas Elliman... et l'une des toutes dernières acquisitions de Jeff Bezos sur l'île.
Le milliardaire, en effet, est propriétaire de pas moins de trois maisons sur la quarantaine de résidences que compte Indian Creek. La première acquise l'an dernier pour 68 millions de dollars. La seconde quelques mois plus tard pour 79 millions. Et enfin, la troisième, pour 90 millions, pas plus tard que cette année.
C'est la seconde acquisition de Jeff Bezos qui se trouve au cœur d'un tumulte judiciaire. Selon le Wall Street Journal, le cofondateur d'une entreprise brésilienne de jouets et d'électronique, Leo Kryss, aurait mis sa propriété de sept chambres, comprenant cave à vin, bibliothèque, théâtre et piscine, sur le marché en mai 2023, pour la modique somme 85 millions de dollars. Pas plus tard que le mois suivant, le fondateur d'Amazon s'installait juste à côté, après avoir quitté Seattle pour Miami avec perte, fracas et gros titres dans la presse people.
Peu de temps après, Leo Kryss reçoit une offre de 79 millions pour sa maison. Lorsqu'il s'enquiert avec curiosité auprès de son agence immobilière si Jeff Bezos himself ne serait pas derrière cette offre, l'agence Douglas Elliman lui assure que non. Et pourtant. Quelle ne sera pas la – désagréable – surprise de Leo Kryss de découvrir, peu après la clôture, que l'acheteur est bel et bien une entité liée au milliardaire d'Amazon.
Estimant avoir été lésé et avoir perdu six millions de dollars dans la transaction, l'homme d'affaires poursuit donc le promoteur Douglas Elliman en justice, arguant que:
Affaire à suivre, pour le plus grand plaisir des amateurs de potins du cercle très fermé d'Indian Creek. Et pour les autres aussi.