Silvan* était en train de colorier la lettre «E» lorsqu'il a appris le décès de sa mère. Il était en première année primaire. C'est sa belle-mère qui le lui a annoncé. Elle ne lui a pas dit que sa mère s'était suicidée. Son père aussi a gardé le silence. Pendant des années. Ce n'est qu'au cours d'une violente dispute que celui-ci a fini par l'en informer. Silvan avait alors déjà 21 ans.
Toute sa vie avait été marquée par le poids du silence. Ce n'est que lentement qu'il a compris pourquoi personne n'avait jamais parlé de la maladie de sa mère. Pourquoi les questions sur sa mort étaient parfois restées sans réponse. Et pourquoi son frère et lui n'avaient pas assisté à ses funérailles.
Silvan n'a passé que peu de temps avec sa mère. Après sa naissance, elle a souffert d'une dépression postnatale et a passé neuf mois dans une clinique. Lorsque Silvan avait trois ans, ses parents se sont séparés. Lui et son frère aîné sont restés avec leur père, tandis que leur mère est retournée vivre dans la maison familiale.
Les contacts se limitaient aux vacances scolaires et aux jours fériés. Elle ne pouvait pas s'occuper seule de ses enfants, une tierce personne était donc toujours présente. Lorsque sa mère a mis fin à ses jours, le quotidien de Silvan n'a pas beaucoup changé au premier abord.
En Suisse, entre deux et trois personnes se suicident chaque jour. Parmi elles, des mères et des pères qui laissent leurs enfants derrière eux. Mais aussi des grands-mères et des grands-pères, des oncles et des tantes. «Nous estimons que chaque année, 2000 à 3000 enfants perdent une personne proche à la suite d'un suicide», explique Jörg Weisshaupt. Il est co-directeur de l'association Trauernetz, qui s'occupe notamment des survivants avec le groupe d'entraide appelé «Nebelmeer».
Pour la première fois, il existe un groupe pour les enfants touchés de près ou de loin par le suicide, fondé en avril. örg Weisshaupt explique:
Certes, le suicide n'est plus aussi stigmatisé aujourd'hui qu'il y a une trentaine d'années, lorsque la mère de Silvan s'est donné la mort. «Mais aujourd'hui encore, les proches constatent que de nombreuses personnes se taisent par peur de dire quelque chose de mal. Certains sont confrontés à des questions accusatrices. Au milieu de cette impuissance et de cette détresse: les enfants. C'est justement eux qui manquent souvent d'un lieu où l'on s'occupe exclusivement de leur deuil», explique le professionnel.
Avec l'accompagnatrice de deuil Caroline Ruckstuhl, Jörg Weisshaupt organise toutes les deux semaines une rencontre. Pendant que la spécialiste du deuil s'occupe des enfants, le codirecteur de l'association se tourne vers leurs accompagnateurs dans une pièce voisine.
Pour les enfants, chaque réunion commence de la même manière. Ils s'assoient en cercle et allument l'un après l'autre une bougie pour la personne décédée. Caroline Ruckstuhl dit alors: «Je suis Caroline et j'allume la bougie pour mon papa». Son père s'est suicidé lors d'un épisode psychotique lorsqu'elle avait 17 ans. Les enfants le savent, ils peuvent tout lui demander à ce sujet.
Elle veut créer un espace où la mort et le deuil ont leur place. Les enfants peuvent également parler de la violence qui caractérise un suicide. «Cela soulève des questions supplémentaires, comme celle de la culpabilité personnelle», explique Caroline Ruckstuhl:
Elle aborde le deuil des petits avec précaution. Par exemple, avec un jeu de cartes qui propose des questions telles que: «Rêves-tu de la personne qui est décédée?» ou «Quand penses-tu à la personne décédée et quand n'y penses-tu pas?». D'autres fois, elle demande aux enfants d'entourer mutuellement leur corps avec des crayons de couleur, afin de dessiner plus tard à quel endroit du corps ils ressentent quelles émotions et où la douleur brûle.
«Parfois, les enfants commencent à dessiner quelque chose de complètement différent, pour demander au bout de 15 minutes: comment ton papa s'est-il tué?», relate-t-elle. Ceux qui ne veulent pas participer à ces exercices peuvent se retirer dans l'atelier de peinture de son partenaire Vincenzo Feraco.
Dans le groupe, les enfants apprennent que d'autres vivent la même chose qu'eux. Les plus âgés, en particulier, ne parlent souvent pas de leur perte avec leurs camarades à l'école. Cela parce qu'ils ne veulent pas être différents, explique-t-elle. Dans son atelier, les enfants peuvent pleurer, rire et même crier leur colère elle précise:
Dans le cas précis de Silvan, à l'école, personne ne lui a parlé de la mort de sa mère. Il ne sait même pas si son père a informé l'enseignante à l'époque. Lorsque Silvan a atteint la puberté, il a commencé à se sentir de plus en plus différent de ses camarades de classe. Etranger parce qu'au lieu d'une mère, il n'y avait que le silence autour de lui. «Pendant des années, le processus de deuil a été empêché. Par conséquent, ma vie menaçait souvent de s'effondrer», raconte-t-il. De graves dépressions ont marqué ses années d'adolescence.
Aujourd'hui, il accompagne lui-même professionnellement des personnes se trouvant dans des situations de crise. Il est père de deux enfants et a appris à gérer ses schémas dépressifs. Avec ses enfants, il parle ouvertement du suicide de leur grand-mère:
C'est ce que confirment Caroline Ruckstuhl et Jörg Weisshaupt. Vouloir ménager les enfants pour des raisons prétendument bien intentionnées n'est pas la bonne issue. «Les enfants posent des questions. Si l'on dit par exemple que leur papa est décédé dans un accident de voiture, les enfants veulent savoir: A-t-il beaucoup saigné et de quelles blessures est-il mort?», explique Caroline Ruckstuhl. Il en résulte un tissu de mensonges qui s'effondre tôt ou tard. Cela s'accompagne d'une grande perte de confiance.
C'est pourquoi Jörg Weisshaupt affirme: «On ne peut pas se tromper en répondant aux questions des enfants». Il est seulement important de ne pas les confronter à des connaissances détaillées. Le suicide peut être expliqué aux jeunes enfants avec des mots simples - comme «Papa a fait en sorte que son cœur ne batte plus». S'ils posent des questions, il faut répondre honnêtement. Même si cela concerne des détails sur la méthode ou le lieu du décès.
La vérité implique aussi d'assumer son propre deuil. On essaie souvent de le cacher aux enfants. Mais cela ne les épargne pas, au contraire, dit Jörg Weisshaupt: «Les enfants utilisent alors la même stratégie d'évitement: ils ne parlent pas non plus de leurs sentiments.»
*Prénom d'emprunt