Elle aurait dû être écrasée par Chunk, ce gros mec balèze au cul gigantesque. Rattrapée dans les sondages par la popularité incontestée de Bear Force One, vainqueur de l'édition précédente. Ou encore effacée par le charme discret d'Otis, l'un des mâles les plus âgés et respectables du parc.
C'était mal connaître la férocité et la ténacité de Grazer, matricule 128. Cette femelle au poil blond soyeux et aux fessiers rebondis, mère de deux enfants, s'est battue comme une lionne, euh, pardon, une ourse! pour rafler la victoire de la Fat Bear Week.
C'est qu'il fallait en avoir dans le ventre, ou plutôt dans les fesses, voire les deux, pour remporter ce tournoi. La bien-nommée Fat Bear Week («Semaine du gros ours») se tient chaque mois d'octobre au coeur du parc national de Katmai, en Alaska. Un pur concentré de body shaming en ligne qui permet aux participants de désigner sur le site internet de la réserve, parmi les 12 candidats en lice, qui a pris le plus gros cul avant d'entamer la période d'hibernation.
Il y avait de la matière. Les ours bruns du parc national de Katmai, qui comptent parmi les plus gros du monde, prennent une masse redoutable pendant la belle saison, à se goinfrer de saumons mammouths et autres fruits des bois. Les ours mâles adultes pèsent en moyenne entre 317 et 408 kg au milieu de l'été, pour atteindre facilement 544 kg à l'automne.
Pas moins de 1,3 million de votes ont été comptabilisés sur la page de la Fat Bear Week pour départager les concurrents cette année. Un record. D'autant qu'un nouveau système de cybersécurité devait prévenir les abus et les tentatives de fraudes électorales. L'an dernier, un fan de Holly, matricule 435, avait programmé un robot pour voter en masse en faveur de sa préférée.
Au terme d'une semaine pleine de rebondissements, la finale, mardi, opposait Grazer à Chunk. Un nouveau venu au comportement «énigmatique». Identifié pour la première fois en 2007, cet ours indépendant d'apparence trapue s'est longtemps avéré peu disposé, voire incapable, de défier les autres grands mâles de Brooks Rivers. Un petit déficit d'hormones masculines, peut-être.
C'était sans compter sur le physique de rêve de Chunk, ses yeux étroits, son arcade sourcilière proéminente et sa cicatrice distinctive sur le museau. Sans oublier ses importantes réserves de graisse au niveau de l'arrière-train. Un cul si impressionnant que Bear Force One, pourtant grand champion de la Fat Bear Week 2022, a bien été obligé de lui céder ses spots de pêche de prédilection au cours de l'été. De quoi garantir à Chunk assez de saumon pour se tailler un joli tour de hanche et une place en finale contre sa grande rivale, Grazer.
Mais c'était mal connaître l'une des meilleures pêcheuses à la ligne de la région. Introduite dans la Brooks River en 2005, Grazer s'est rapidement imposée comme une athlète d'élite, capable d'attraper d'un seul coup de patte de gros saumons frétillants - une prouesse, quand on sait que son rival, Chunk, ce gros lourd, se contente pour sa part de chaparder mollement celui des autres.
Outre ses compétences de chasseuse exceptionnelles, Grazer s'est taillé une réputation de guerrière féroce et implacable. Maman de deux bébés, la vaillante Grazer n'hésite pas à mener des attaques préventives pour assurer leur sécurité - y compris contre des mâles dominants bien plus imposants qu'elle. Dans une superbe démonstration de girl power, Grazer a notamment mutilé un abruti qui tentait de lui dérober un poison. Prends ça, connard!
Forcément, un tel gage de caractère ne pouvait passer inaperçu auprès de la population masculine du parc de Katmai. Durablement impressionnés, les mâles ont laissé l'ourse farouche tranquille. Personne pour venir l'enquiquiner au bord du bassin cet été. Au point que Grazer est restée célibataire toute l'année. Pas faute pour la belle et grande ourse de profiter, également, d'une apparence avantageuse. Un long museau droit, des oreilles «remarquablement blondes» (dixit sa biographie), et évidemment, des hanches pulpeuses qui n'ont rien à envier à celle de Queen B. L'autre.
Autant dire que Chunk, bien que considéré comme l'un des plus gros ours de l'histoire de la compétition, s'est fait littéralement écrabouiller: 23 000 votes, contre 108 000 pour sa rivale. Un score si lilliputien que le parc national de Katmai lui-même s'est foutu de sa gueule, en annonçant la gagnante dans un communiqué: «Les électeurs ont parlé haut et fort. La fille courageuse a mis à terre le gars avec des tripes. Chunk a prouvé que son postérieur proéminent méritait une victoire éclatante, mais à la fin, Chunk a été brouté».
Nous avons tenté de contacter Grazer pour un commentaire. En bonne reine qu'elle est, elle nous a snobés.