Imaginez la prouesse. Le miracle. Après des mois de scandales, plaintes, complaintes, polémiques, controverses, tergiversations et autres joyeuses prises de bec sur tout et son contraire, pourvu que l'on tape sur les JO, une marque française commettait l'impensable: livrer un uniforme parfait pour la cérémonie d'ouverture. Le tout premier truc qui fasse l'unanimité. Autant dire que cette mission était vouée à l'échec.
Nous avions pourtant quelques raisons de croire à l'impossible. Pas seulement parce que Paris est la capitale de la mode. La gardienne du style, du bon goût, des bons croissants, du bon pain, du bon beurre, de la bonne chère, gnagnagna, vous connaissez la chanson. Mais aussi parce que le groupe LVHM, principal sponsor de la compétition, avait refilé ce mandat délicat à l'une de ses maisons, Berluti. Un choix sûr. Sobre, chic, efficace, fonctionnel. «Une joie incroyable, une immense fierté», se souvient la directrice de collection chez Berluti, au Parisien, à l'annonce de la nomination.
L'assurance d'avoir du très classique, mais du très bon. Chemise blanche, veste de smoking bleu nuit, veston sans manches, pantalon ou jupe portefeuille assortis, mocassins vernis, baskets, ceinture vernie à la main pour ces messieurs ou foulard pour ces dames. Et même si remplacer le survêtement attendu par un smoking était un sacré pari artistique pour entamer une compétition sportive, soit. Il y avait de l'idée. Lesdits smokings avaient été pensés pour être «confortables», assure-t-on.
«Il faut que les athlètes soient à l’aise, n’aient pas chaud, alors qu’en juillet les températures pourraient être élevées», jure la directrice de collection de Berluti au Parisien. Sans oublier «qu’ils ne se blessent pas, notamment avec les souliers, quelques jours avant une épreuve qu’ils ont attendue toute leur vie». Bref, tout aurait pu bien aller, dans le meilleur des mondes.
Jusqu'à ce qu'un designer se rappelle qu'un peu de rouge au milieu de tout cet élégant bleu nuit, ça serait pas si mal. C'est ainsi qu'un «col châle» patiné, en satin et aux couleurs du drapeau français a fait son apparition sur des costumes jusque-là, avouons-le, plutôt élégants.
Bref. On était à ça. Ça. Tout était parfait. Une couleur noble, une coupe efficace. Et voilà qu'on nous fourgue ce col châle. Ce col châle infâme. Cette teinte indescriptible, kitsch, nauséeuse. Un arc-en-ciel dépressif. «La partie la plus difficile (à fabriquer)», se permet quand même d'ajouter une employée de Pattern, le sous-traitant italien chargé de la confection des costumes, à Vanity Fair. On s'en arracherait les cheveux. Nous sommes aux JO, bon sang. Pas au cirque du Soleil. Et nous parlons de la FRANCE. LE BERCEAU DE LA MODE.
Ce que nous enseigne Berluti aujourd'hui? L'adage de la grosse flemme, autrement dit «le mieux est l'ennemi du bien». Au lieu de faire des pieds, des mains et n'importe quoi pour nous sortir cette «patine inédite» qui nous rend vaguement malade, un bête pins en forme de croissant, coq ou jambon-beurre aurait fait l'affaire.
Toutefois, chers compatriotes, ne ricanons pas trop vite. Le tour des Suisses viendra. Et je crains que nous prenions tout aussi cher.