Les forêts tropicales humides et les récifs coralliens abritent davantage de biodiversité que n'importe où ailleurs sur le globe. Les premières ne couvrent aujourd'hui plus qu'environ 7% de la surface totale, mais elles abritent, selon les estimations, entre 40 et 70% de toutes les espèces vivantes.
On ignore encore précisément pourquoi cet écosystème contient autant de variété. La règle veut que celle-ci augmente des pôles vers l'équateur, et des facteurs comme le fort ensoleillement et l'humidité élevée tout au long de l'année, jouent un rôle important. À cela s'ajoutent des sols plutôt pauvres en nutriments – ce qui peut sembler paradoxal à première vue. Mais ils favorisent en fait la biodiversité, car le manque de nutriments empêche les espèces de devenir envahissantes. Elles sont alors contraintes de se diversifier et chaque niche écologique doit être exploitée. En outre, l'âge avancé des forêts tropicales – certaines ont plusieurs millions d'années–- a contribué à la diversité des espèces.
Cette diversité exubérante du vivant n'a pas seulement une valeur intrinsèque. Elle constitue également un fondement de l'existence humaine: la biodiversité ne consiste en effet pas seulement en la diversité des espèces, elle compte aussi pour la génétique et les écosystèmes. Et ceux-ci sont complexes: différentes espèces en occupent différentes niches; si certaines viennent à manquer, cela perturbe les cycles. Par exemple, si des insectes disparaissent, cela ne se répercute pas uniquement sur les oiseaux qui s'en nourrissent, mais aussi sur la pollinisation des plantes. Par la suite, la productivité de l'agriculture en pâtira également.
La forêt tropicale humide joue en outre un rôle prépondérant dans la régulation du climat. Ce «poumon vert» fixe le dioxyde de carbone (on parle de «puits de CO₂») et produit de l'oxygène. De plus, les arbres empêchent l'érosion des sols; si on les abat, le sol s'assèche, ne peut plus absorber les précipitations et les eaux finissent par l'emporter. Si on déforeste ou qu'on brûle volontairement, on ne peut pas «reboiser» la forêt, car il s'agit d'un système formé sur des millions d'années, et qui présente de multiples facettes.
Bien que la forêt tropicale humide et sa biodiversité soient essentielles pour l'humanité, nous la malmenons: selon des estimations, elle couvrait encore environ 16 à 17 millions de kilomètres carrés de la surface terrestre vers 1950. Ce qui correspond à environ 11% de la surface totale.
Rien qu'en 1985, il ne restait plus que 8,5 millions de kilomètres carrés; alors qu'on se situe aujourd'hui à 7 millions de kilomètres carrés. Plus de la moitié de la ressource a été détruite. Selon une étude réalisée en 2022, l'Amazonie, la première forêt tropicale, pourrait à elle seule perdre autant en cinq ans qu'au cours des vingt années écoulées.
Cette évolution menace aussi fortement la biodiversité. Dans les décennies à venir, près d'un million d'espèces animales et végétales risquent l'extinction, comme l'indique un rapport de 2019 du Conseil mondial de la biodiversité (IPBES). La plupart vivent dans les forêts tropicales ou dans des récifs de coraux, que l'on surnomme les «forêts tropicales de l'océan.»
Beaucoup de ces espèces auront irrémédiablement disparu avant leur découverte. Certains experts pointent du doigt les humains, qui détruisent des habitats, provoquant ainsi la sixième extinction de masse de l'histoire.
La suppression des habitats est donc la principale cause de l'extinction des espèces dans les forêts tropicales humides. La disparition de celles-ci entraîne inévitablement une diminution de la diversité des espèces de la faune et de la flore. La lumière naturelle ne pénètre ainsi plus de la même manière lorsque des arbres géants aux couronnes saillantes sont abattus. Et cela modifie la croissance des végétaux. Les plantes nécessitant beaucoup de lumière évincent alors celles qui préfèrent l'ombre. De plus, nombre d'entre elles dépendent d'animaux qui répandent leurs graines pour se reproduire. Ces plantes ressentent ainsi directement l'absence de ces animaux.
Les activités humaines mettent sous pression les trois grandes zones restantes, soit l'Amazonie, le bassin du Congo en Afrique centrale et l'Asie du Sud-Est/Nouvelle-Guinée. Le principal moteur de la déforestation dans le monde, mais surtout en Asie du Sud-Est, reste l'agro-industrie. Les monocultures industrielles à grande échelle, telles que les plantations d'huile de palme en Asie du Sud-Est ou la culture de soja pour l'alimentation animale en Amérique du Sud, prennent toujours plus d'ampleur. En Amazonie, l'élevage a causé plus de quatre cinquièmes de la perte de forêt au cours des deux premières décennies de ce siècle.
Par ailleurs, la chasse aux grands vertébrés joue également un rôle dans la perte de biodiversité - elle impacte souvent durement les écosystèmes, car ces animaux y occupent en général une position clé. La propagation d'espèces invasives déstabilise également les écosystèmes complexes du milieu tropical. Dans certaines régions, principalement en Afrique, l'instabilité politique et les conflits armés aggravent la situation.
La déforestation suit généralement les voies d'accès à travers bois, c'est-à-dire les routes, les rivières ou les pistes d'atterrissage. Les petits exploitants emboîtent le pas des bûcherons des grandes entreprises, qui s'enfoncent toujours plus loin dans des zones jusqu'ici préservées. Autre problème qui s'accentue: les feux qu'ils déclenchent pour défricher des parcelles et gagner des terres agricoles. Des données récentes en provenance du Brésil montrent ainsi que la forêt amazonienne a connu le plus grand nombre d'incendies recensé depuis 17 ans, après une sécheresse de plusieurs mois.
Il reste malgré tout de la lumière au bout du tunnel: l'Institut national de recherche spatiale (INPE) a annoncé en juillet dernier que la déforestation dans la région avait reculé de 38% au premier semestre 2024 par rapport à la même période l'année précédente. «Cela nous donne l'espoir que, comme dans le cas de la forêt atlantique, nous parvenions à éradiquer le problème d'ici 2030», a déclaré la ministre responsable, Marina Silva.
Une nouvelle étude parue dans la revue scientifique Nature donne en outre un peu de baume au cœur. Elle conclut certes que le déboisement et la culture sur brûlis modifient les écosystèmes des forêts tropicales et les affaiblissent. C'est notamment le cas en Malaisie. Malgré cette exploitation, une partie de la flore et de la faune demeure. Selon les auteurs de cette recherche, la biodiversité commence à souffrir au-delà de 29% de perte de biomasse. En deçà, les forêts parviennent à se rétablir et continuent à servir de puits de CO₂.
En revanche, si le seuil de 68% de perte de biomasse est dépassé, de nombreuses plantes et animaux s'éteignent ou sont remplacés par des espèces invasives; la forêt tropicale est alors réellement perdue. Pour protéger la biodiversité et le climat, il vaut donc la peine de préserver non seulement les forêts tropicales vierges et intactes, mais aussi celles qui ont déjà subi une intervention humaine.
(dhr)
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)