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La réalité du tourisme de luxe façon «The White Lotus»

Extrait de la saison 3 de The White Lotus.
La saison trois de la série américaine The White Lotus se déroule dans un luxueux hôtel fictif de ThaïlandeImage: MAX

La réalité derrière le tourisme de luxe façon «The White Lotus»

Avec sa troisième saison tournée dans des hôtels cinq étoiles de la Thaïlande, The White Lotus offre bien plus qu’une satire du tourisme de luxe et expose une réalité bien plus sombre pour les locaux.
11.05.2025, 15:4911.05.2025, 15:49
Alexandre Veilleux / the conversation
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The White Lotus expose, en toile de fond, un monde dans lequel le privilège et le bien-être des riches se construisent sur le dos des populations locales. Visionnée par plus de 15 millions de personnes, la série est aussi un outil promotionnel puissant pour la Thaïlande.

Elle a contribué à une hausse de 104% du trafic en ligne vers la luxueuse chaîne Anantara, dont trois des hôtels ont servi de lieu de tournage de la série.

Réalisée en partenariat avec l’Autorité du Tourisme de la Thaïlande et l’hôtel Four Seasons de Koh Samui, un des lieux de tournage, The White Lotus s’inscrit pleinement dans la stratégie gouvernementale pour attirer une clientèle haut de gamme. Le gouvernement a d’ailleurs octroyé un allègement fiscal de 4,4 millions de dollars, qui a fait basculer la décision en faveur de la Thaïlande comme site de production plutôt que du Japon.

La volonté de miser sur le tourisme de luxe ne date pas d’hier. Depuis la pandémie, le gouvernement thaïlandais a mis en place plusieurs mesures ciblant les voyageurs fortunés: nouveau visa exclusif, réduction massive sur les droits d’importation des produits de luxe, et campagnes comme Visit Thailand: Amazing New Chapters, mettant l’accent sur des vacances de luxe.

Le gouvernement a également inauguré un terminal pour jets privés et deux marinas pour superyachts, à l’image du catamaran de luxe de 177 pieds montré dans la série. Ces projets illustrent une stratégie visant à utiliser des fonds publics pour attirer des visiteurs fortunés dans les hôtels de luxe.

Pourtant, les impacts sociaux et économiques de ce modèle restent peu discutés.

Chercheur à la Fondation Asie Pacifique du Canada, je suis spécialisé en économie politique internationale. Mes recherches portent sur les dimensions politiques et socio-économiques du tourisme en Asie du Sud-Est.

Quand l’extravagance amplifie les disparités

En Thaïlande, le tourisme se positionne comme un pilier de l’économie, contribuant à 9 % du PIB et générant près de 10 % des emplois du pays. Mais il a aussi accentué l’inégalité dans un pays où 5% de la population possède 80 % des terres, et où le 1% des plus riches contrôlent les deux tiers des actifs du pays.

La pandémie a aggravé ces déséquilibres: la fermeture des frontières a provoqué des centaines de faillites chez les entrepreneurs locaux. Plusieurs petits hôtels ont dû vendre leurs propriétés à des prix 50 % à 60 % inférieurs au marché, ouvrant la voie aux grandes chaînes capables de traverser la crise.

Depuis, les hôtels de luxe se sont multipliés en Thaïlande. Central Pattana, le plus grand développeur immobilier du pays, a dévoilé un plan stratégique sur cinq ans pour ouvrir 37 nouveaux hôtels. D’autres grands groupes hôteliers ont engagé d’importantes expansions: Accord prévoit 17 nouveaux hôtels entre 2022 et 2026; Intercontinental compte doubler son portefeuille de luxe, et Wyndham vise à augmenter sa présence thaïlandaise de 68%.

À Phuket, les hôtels haut de gamme et de luxe représentent maintenant 49% du marché, contre seulement 8% pour les établissements économiques.

Le centre commercial Central Phuket, qui a vu le jour en 2019, vise les clients fortunés et les touristes internationaux.
Image: Alexandre Veilleux

Les retombées locales restent cependant limitées. Les hôtels 4 et 5 étoiles génèrent les plus hauts taux de fuite de capitaux — jusqu’à 51% des revenus quittent le pays.

En concentrant les profits entre les mains de multinationales, le tourisme de luxe laisse peu aux communautés locales.

Cette dynamique n’est pas propre à la Thaïlande. En Indonésie, pays voisin également engagé dans une stratégie axée sur le tourisme haut de gamme, les recherches montrent que le développement de ce secteur n’a pas entraîné de véritable amélioration du capital social. Les bénéfices financiers, eux, sont largement perçus comme réservés à une élite, sans effet structurant pour la population dans son ensemble.

Les résidents locaux en paient le prix

Ce développement rapide a aussi un effet sur le logement. La demande en résidence touristique de luxe accroît la pression sur le prix de l’immobilier, où plusieurs logements sont reconvertis en résidence touristique. En Asie-Pacifique, le nombre de résidences rattachées à des marques de luxe avait d’ailleurs augmenté de 216% dans la dernière décennie.

À Chiang mai, la demande de condos de luxe par des investisseurs chinois a provoqué une forte augmentation des prix des propriétés. Le prix moyen de location d’un condo dans le centre-ville de Chiang mai est d’ailleurs passé de 468 dollars par mois en 2012 à 702 dollars en 2018, pour finalement atteindre 1053 dollars en 2023, soit une augmentation de 123% au cours d’une décennie. À Phuket, le prix des condos locatifs et des terrains en bord de plage avait presque triplé en 2023, causant un impact significatif sur le prix des locations.

Face à cette envolée, de plus en plus de Thaïlandais sont exclus du marché immobilier.

Non Hirunchetskul, président du Real Estate Trade Association de Chiang mai, critiquait cette situation, estimant que sans intervention, les propriétés dans sa ville seront toutes achetées par des étrangers.

Repenser le développement du tourisme

Sous ses airs de critique sociale, The White Lotus révèle une vérité: dans ces paradis artificiels, les élites viennent chercher du sens, du confort, du plaisir — pendant que les populations locales leur servent de décor.

Développement touristique sur l’île de Kuh Mook. Dans ces paradis artificiels, les élites viennent chercher du sens, du confort, du plaisir — pendant que les populations locales leur servent de décor.
Image: Shutterstock

La série nous pousse à repenser le développement touristique, en cherchant un meilleur équilibre entre les retombées économiques et le bien-être des habitants.

Plutôt que de s’en tenir exclusivement aux indicateurs économiques pour évaluer l’impact du tourisme — dépenses touristiques, contribution au PIB ou nombre de visiteurs — il est essentiel d’intégrer des critères qualitatifs: qualité de vie des résidents, qualité des emplois créés, quantité d’eau et de déchets générés, ou encore empreinte écologique.

Car si «The White Lotus» multiplie les promesses de bien-être pour ses clients, celui des communautés locales reste largement ignoré.

Une fois le séjour terminé, le touriste rentre chez lui, laissant derrière lui un territoire marqué par les effets durables d’un modèle économique qui enrichit quelques-uns, tout en fragilisant les autres.

La bande-annonce The White Lotus, saison 3:

Vidéo: youtube

Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et le chapeau. Cliquez ici pour lire l'article original

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