Ce petit club suédois est champion grâce à une méthode révolutionnaire
L'Angleterre a eu Leicester en 2016, sacré champion à la surprise générale. La Suède a désormais Mjällby. Ce petit club d'un ancien village de pêcheurs, 1 254 habitants seulement, a réalisé l'un des plus grands exploits du football au 21e siècle en devenant champion national lundi, pour la première fois. Les «jaune et noir» ont assuré leur titre en allant battre Göteborg (2-0). A trois journées de la fin, ils comptent 11 points d'avance sur leur dauphin, Hammarby.
C'est un véritable conte de fées que vit Mjällby, totalement inconnu des fans de foot en dehors de la Suède il y a encore quelques jours. En 2016, le club avait évité la culbute en 4e division seulement lors de la dernière journée et n'a rejoint l'élite qu'en 2019. Pour mesurer pleinement son exploit, il faut savoir que l'équipe des bords de la Baltique – tout au sud du pays – ne possède que le 12e budget (sur 16) de première division, avec environ 10 millions de francs suisses. C'est presque huit fois moins que le géant suédois Malmö FF, triste quatrième cette saison.
Evidemment, la superbe aventure du Mjällby AIF ne s'est pas écrite toute seule. Elle cache beaucoup d'intelligence et de valeurs humaines. Voici cinq raisons qui ont rendu cet exploit possible.
Un ancrage local
A l'heure où l'on entend les supporters de beaucoup de clubs se plaindre de leur impossibilité de s'identifier à leur équipe de cœur, la faute aux trop nombreux mercenaires, les fans du tout frais champion de Suède n'ont pas ce problème. Mjällby joue en effet la carte régionale: son directeur sportif, Hasse Larsson, est au club depuis... 1979. Il a même accepté d'y travailler plusieurs années sans être payé, quand Mjällby était dans le dur financièrement, fait savoir l'AFP. Tout ça en ayant vaincu une tumeur du cerveau et un cancer de la prostate. Sacré exemple de courage et d'implication!
Le coach des «jaune et noir», Anders Torstensson (59 ans), est un gamin du village. Après un parcours hors norme (nous y reviendrons plus bas), il est revenu dans son club de cœur – entre-temps promu dans l'élite – en 2021. Et puis, le Mjällby AIF sait aussi récompenser ses plus fidèles supporters, comme par exemple Glehn Hermansson, retraité de 65 ans et natif du village, qui s'occupe de distribuer les gourdes aux entraînements. Cette proximité avec les supporters et cet esprit familial, devenus si rares dans le foot d'élite, sont forcément bénéfiques pour le club et ont un impact sur ses résultats.
Solidarité et modestie
Cette mentalité positive et ces valeurs se propagent jusque dans le vestiaire. Et c'est un indispensable, à chaque équipe, pour performer. A Mjällby, le groupe semble particulièrement solidaire. On n'y voit pas des stars arriver au stade avec leur voiture de luxe.
De un, parce que les joueurs – qui habitent presque tous dans la ville voisine – font surtout «du covoiturage dans des voitures sans prétention», détaille l'AFP. De deux, parce qu'ils n'ont pas vraiment les moyens de s'offrir ce genre de bolides: le salaire moyen (fixe) dans l'effectif est de 5500 francs suisses par mois, précise Le Temps.
Aucun égo démesuré ni jalousie, donc. «C'est un petit endroit, donc tout le monde est dans une situation similaire et on a beaucoup de choses en commun», résume le défenseur finlandais Timo Stavitski. Le capitaine Jesper Gustavsson, cité par RMC Sport, appuie:
De quoi avoir une excellente entente sur le terrain. Et, forcément, performer.
Un staff aux qualités très précieuses
Pour faire tenir cet ensemble, il faut un chef d'orchestre. Son nom? Anders Torstensson. Natif de Mjällby, le technicien est au bénéfice d'un parcours atypique dans le monde du foot. Avant de coacher en première division, celui qui fêtera ses 60 ans en février a été officier dans l'armée suédoise puis directeur de lycée. Autrement dit: la gestion humaine, il connaît! Et il le sait:
Anders Torstensson jouit aussi d'une réputation de leader et de motivateur.
Mais il ne faudrait pas réduire les prouesses de son équipe – qui n'a concédé qu'une défaite cette saison – au seul fighting spirit. Mjällby sait jouer au ballon. «L’équipe construit depuis l’arrière, privilégie la possession et se déplace en bloc sur le terrain», analysaient nos collègues alémaniques de watson dans un article publié en août.
Ce même article précisait que Torstensson délègue à son adjoint, Karl Marius Aksum, la tâche d'élaborer le jeu offensif. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Aksum sait réfléchir: il a un doctorat en perception visuelle ainsi qu’un master en coaching et psychologie.
L'universitaire norvégien a bien sûr mis à profit du Mjällby AIF ses précieuses compétences, en axant notamment le travail avec les joueurs sur la perception visuelle.
En clair: ils ont beaucoup travaillé sur les mouvements de tête et regards sur le terrain, un véritable scannage de l'espace, avant de recevoir le ballon. Histoire d'anticiper et, ainsi, être capable de jouer très rapidement. «C'est une compétence décisive dans le football moderne», souligne Aksum. Apparemment, ses exercices ont porté leurs fruits!
Intelligence économique
Si le nouveau champion de Suède bénéfice d'un effectif et d'un staff aussi compétents, c'est aussi – et surtout – grâce à la bonne gestion économique du club. L'architecte de cette bonne santé financière s'appelle Magnus Emeus (59 ans). CEO d'Alvi Group, multinationale active dans le plastique, le Suédois est président du Mjällby AIF depuis dix ans. Après avoir équilibré les comptes des «jaune et noir», désormais «il gère son club comme une entreprise, avec une vision claire, des plans sur trois ans», explique Le Temps.
Et tout ça avec la tête sur les épaules, sans aucune folie des grandeurs: en termes de valeur financière globale du contingent, Mjällby n'occupe que la 7e place du championnat. L'effectif est composé à une large majorité de Suédois (dont beaucoup de jeunes joueurs), sur lesquels le club espère faire des plus-values. Les pensionnaires des bords de la Baltique sont aussi restés modestes au niveau de leurs infrastructures: ils évoluent dans leur petit stade désuet de 7 000 places.
L'enceinte ne pourra d'ailleurs pas accueillir le 1er tour des qualifs de la Ligue des champions l'été prochain. Mais même loin de sa base, Mjällby n'oubliera pas son leitmotiv, que martèle son président:
A savoir courir plus, s'engager plus et être plus solidaires que tous les autres adversaires.
Une forteresse imprenable
Cette saison, en 27 matchs, Mjällby n'en a perdu qu'un seul: c'était le 11 mai sur la pelouse de l'AIK à Stockholm (2-1). Le champion a gagné 20 fois et fait six nuls. Il n'a donc jamais perdu dans son petit stade, le Strandvallen.
Si les «jaune et noir» ont évidemment pu compter sur le fort soutien de leurs fans, ils ont sans doute aussi bénéficié d'un avantage par rapport aux autres équipes: l'absence de pression quant aux résultats. «Les supporters sont déjà contents d’avoir une équipe en première division», constatait le président Magnus Emeus. De quoi jouer libéré et devenir d'autant plus redoutable.
Désormais, Mjällby a l'occasion d'entrer encore plus dans l'Histoire: s'il remporte l'un de ses trois derniers matchs, il battra le record du nombre de points sur une saison dans le championnat de Suède.