Johan Vonlanthen n'a pas forcément choisi la facilité pour sa première expérience de directeur sportif. Celui qui est toujours le plus jeune buteur d'un Euro (en 2004 contre la France, à 18 ans) a rejoint cet été le FC Fribourg, qui a vécu des années compliquées entre relégations et gros soucis financiers.
Mais le Fribourgeois, qui a grandi en Singine (partie alémanique), veut relever le défi de rendre au club de la capitale cantonale ses lettres de noblesse. Pour retrouver les terrains de foot, mais aussi pour une raison sentimentale.
Comment avez-vous débarqué au FC Fribourg?
JOHAN VONLANTHEN: La motivation de venir à Fribourg vient de mon père adoptif, Roger Vonlanthen, que je considère comme mon vrai père. Originaire de Guin, il est parti en Colombie à 21 ans et a marié ma mère biologique. Avec mes deux frères et ma mère, il nous a ensuite tous amenés à Flammat quand j'avais 12 ans. Il a changé ma vie et celle de toute ma famille. Il mérite une statue!
Je voulais donner quelque chose en retour, et ce que je peux faire de mieux, c'est dans le foot, avec les jeunes.
On sent votre attachement au canton de Fribourg. Mais pourquoi venir au FC Fribourg et pas dans un club singinois d'où vous êtes originaire, par exemple?
Parce que pour moi, le FC Fribourg est le club numéro un du canton. C’est la grande ville, au centre de celui-ci. Ce club a une histoire, et c'est lui qui peut et doit jouer le rôle de locomotive dans le canton. Quand j'étais jeune, on se demandait toujours avec mon père pourquoi ce club n'évoluait pas plus haut.
C'est vous qui avez appelé en mars dernier la présidente, Magdalena Lauper, pour postuler.
Exact. Je voulais aider ce club, alors j'ai appelé Magdalena pour me présenter et voir comment je pouvais aider. Elle m’a dit de venir au stade, on a beaucoup parlé et ça m'a tout de suite plu. Ça m'a touché de voir qu'elle se débattait presque seule, en faisant du bénévolat et en devant faire face aux critiques sur la gestion financière du club, notamment.
Pourtant, vous avez failli quitter le club après seulement trois mois.
Oui, je me suis mis en retrait quand elle a annoncé qu'elle partait. La communication interne était floue, on ne savait pas si le nouveau président allait venir ou non.
Comment sont les joueurs amateurs en côtoyant une star comme vous?
Je ne suis pas une star! (rires) Je veux juste qu’ils me voient normalement, comme un directeur sportif. Jusqu’à maintenant, ça se passe bien, il y a beaucoup de respect avec les joueurs et je sens qu'ils m'écoutent. J'aimerais amener mon professionnalisme et ma culture du travail. Même en 2e ligue interrégionale, on peut travailler comme des pros. Par exemple, à la fin des entraînements, je fais des sessions supplémentaires de vingt minutes avec les attaquants devant le but, pour qu'ils prennent confiance et règlent leurs automatismes. C'est ce que font tous les grands attaquants.
Quels conseils donnez-vous à vos joueurs?
J'ai remarqué, en match ou à l'entraînement, que les joueurs sont abattus et baissent très vite la tête dès qu'ils font une petite erreur, comme une mauvaise passe, par exemple. Alors je leur dis: «Hey! Arrête! Vamos, c’est pas grave. Tout le monde fait des erreurs dans le foot.» Dans le foot, comme dans la vie, on ne peut pas se morfondre, il faut être capable de relever la tête très vite et d'aller de l'avant. J'ai beaucoup travaillé là-dessus, ça m'a pris du temps, mais aujourd'hui j'ai réussi à avoir cette mentalité et j'essaie de la transmettre. C'est aussi généralement l'une des forces des footballeurs professionnels, par rapport aux amateurs.
C'est d'autant plus facile d'insuffler cet état d'esprit quand on est, comme vous, sur le banc pendant les matchs.
Oui, je veux que les joueurs et l'entraîneur, Meho Becirovic, sentent que je suis avec eux. Je suis agent de joueurs depuis deux ans, mais le terrain me manquait.
Je vais bientôt passer mon diplôme d'entraîneur UEFA C. Je ne ferme pas la porte à devenir, un jour, entraîneur. Je vais d'ailleurs créer une école de foot à Fribourg.
Le FC Fribourg n'est-il que la première étape d'un parcours de directeur sportif qui peut vous mener vers le foot pro?
Je vais step by step. Maintenant, je suis entièrement concentré sur le FC Fribourg, je ne sais ni ne pense pas à ce qu’il va se passer ensuite. C'était aussi ma philosophie quand j'étais joueur. Mais si je peux rester à Fribourg et que le club et moi pouvons grandir ensemble, ça serait le top.
A plus long terme, disons 10 ans, vous voyez-vous directeur sportif de Young Boys, par exemple?
Bon, YB n'a pas réussi à se qualifier pour la Conference League, alors je ne suis pas sûr que j'irai là-bas! (rires) Plus sérieusement, tout peut aller très vite dans le football. Mais je n’y pense pas encore. Je suis au tout début, ici à Fribourg. Je suis ouvert à tout, y compris à être un jour entraîneur du FC Fribourg.
Votre notoriété et votre large réseau vous aident-t-ils à faire signer des joueurs au FC Fribourg?
Non, pas vraiment, parce que mon réseau est plutôt dans le foot professionnel. Si on monte en 1ère ligue, ce qui est l'objectif à moyen terme, ça pourrait commencer à devenir intéressant à ce niveau. Par contre, les contacts de notre coach, Meho, sont déterminants. Choisir l'entraîneur était la décision la plus importante: il fallait définir une vision et une culture de club, et c'est Meho qui donne le ton. Les joueurs qu'on choisit doivent correspondre.
Et par rapport aux sponsors?
Je suis en contact, mais ça prend du temps. Et pour que les partenariats se fassent, il faudra des résultats sur le terrain. Les sponsors veulent s’associer avec une équipe qui gagne. A l'intersaison, on a dû reconstruire l'entier de l'équipe en trois semaines, on est tout au début d'une nouvelle aventure. Cette saison, l'objectif sera le maintien et la stabilisation en deuxième ligue interrégionale.
Vous avez marqué l'histoire du foot suisse en devenant le plus jeune buteur d'un Euro. Les gens vous reconnaissent-ils encore dans la rue?
Oui, ça m'arrive souvent.
On reconnaît quand même mon visage, même si... (il montre son ventre – un peu plus proéminent que quand il était footballeur pro – et se marre) On me demande aussi parfois des photos. C’est cool, ça me rend heureux.
A part le succès du FC Fribourg, que peut-on vous souhaiter?
Ça serait chouette que le club devienne aussi un ambassadeur du multiculturalisme du canton, parce que je sens qu'il y a une petite «guerre» entre alémaniques et francophones. De réunifier les deux parties autour du FC Fribourg en engageant des joueurs des deux côtés serait top. J'aimerais bien aussi pouvoir battre à nouveau mon fils Esteban, qui a 12 ans, à FIFA 22. Parce que depuis une année, il me met la misère à chaque fois, avec des 5 ou 6-0! (rires) Et puis ça me ferait plaisir que mon père lise cette interview et qu'il vienne prochainement voir un match au stade Saint-Léonard.