Le Qatar ouvre la Coupe du monde ce dimanche 25 novembre contre l'Équateur (17 h). Ses autres adversaires du groupe A sont le Sénégal et les Pays-Bas. La question à laquelle personne n'a de réponse évidente: que vaut-elle?
Ses performances ont suivi une progression constante jusqu'à l'arrivée du Covid. En 2010, année de l'attribution de la Coupe du monde, le Qatar pointait au 113e rang du classement FIFA, parmi les nations tiers-mondistes et les curiosités exotiques.
Aujourd’hui, le Qatar occupe la 50e position, juste derrière l'Irlande et devant des nations historiques comme la Grèce ou la Bulgarie. Certes, le classement FIFA présente une fiabilité très relative dans la mesure où les résultats ne sont pas pondérés à la valeur de l'adversaire. Une victoire contre Andorre compte autant qu'un exploit contre le Brésil.
Après la pandémie, le Qatar a marqué le pas. Sa moyenne sur dix ans ne permet pas d'en situer la valeur exacte mais elle le place théoriquement entre le Luxembourg et les Etats-Unis. Pour le Mondial, il faudra encore intégrer tous les paramètres irrationnels liés à un pays hôte: le public, la fierté, le sentiment d'appartenance.
Le Qatar a acquis une certaine respectabilité quand il a remporté, très précisément écrasé la Coupe d’Asie des nations en 2019. Meilleure attaque (19 buts), meilleure défense (1), 7 victoires en autant de matchs, dont deux démonstrations contre la Corée du Sud de Heung-min Son et le Japon en finale (3-1).
Le Qatar a aussi battu la Suisse... C'était en 2018. Dans une léthargie de funeste mémoire, un soir de novembre au Cornaredo, l'émirat «l'a emporté 1-0 après avoir eu les meilleures occasions et gagné la majorité des duels», s'est agacé l'envoyé spécial du Matin, avant de conclure: «Il faut fustiger l'état d'esprit de cette équipe de Suisse, qui n'avait pas envie de jouer ce match.»
Ces deux dernières années, les résultats du Qatar n'en donnent pas une lecture aisée. A des victoires encourageantes contre le Honduras ou le Salvador se juxtaposent des dérives effrayantes contre le Portugal (3-1 et 3-0), la Serbie (2 x 4-0), et l'Irlande (4-0).
La structure de l’équipe actuelle est sensiblement la même qu'en 2019, avec une moyenne d’âge de 26 ans, dans la fourchette basse des standards européens.
Contrairement aux idées reçues, le Qatar ne pratique plus la naturalisation facilitée (ou très rarement). Il aligne encore quelques mercenaires, notamment les défenseurs Pedro Miguel (né au Portugal) et Boualem Koukhi (né en Algérie), les attaquants Almoez Ali (né au Soudan) et Mohammed Muntari (né au Ghana). Tous les autres joueurs sont nés au Qatar, et tous évoluent dans le championnat national, principalement dans les clubs fortunés d'Al-Duhail (entraîné par Hernán Crespo) et de Al Sadd (autrefois entraîné par Xavi, désormais confié à Javi Garcia).
La plupart des jeunes sortent de l'académie ASPIRE, un complexe ultramoderne et hautement sécurisé financé par le fond souverain du Qatar. Ce vaste campus forme des athlètes dans de nombreux sports (football, tennis, basketball, etc) et domaines spécialisés (médecine, marketing, économie).
Il faut déjà s'entendre sur le terme: aucun international qatari n'a jamais fait la couverture de Vogue ni épousé un mannequin slovaque. Sur un plan strictement professionnel, deux joueurs sortent du lot: les attaquants Akram Afif (bientôt 26 ans) et Almoez Ali (26 ans), respectivement meilleur buteur et meilleur passeur de la Coupe d'Asie.
Akram Afif est le fils d'un international somalien et le premier footballeur qatari à avoir «joué» dans la Liga espagnole, plus exactement à Villareal où il ne compte que neuf apparitions furtives en quatre ans.
Almoez Ali est passé par la Belgique et l'Autriche avant de commencer une nouvelle vie au Qatar, où il est devenu un homme riche.
La sélection est dirigée depuis 2017 par Felix Sanchez, 45 ans, un ancien de la Masia. Après une décennie chez les juniors du Barça, le Catalan a rejoint l'académie ASPIRE en 2006. «Sans ce projet, nous n'aurions pas pu offrir une formation à nos joueurs depuis la tendre enfance. Le fait qu'autant d'académiciens soient arrivés en équipe première est un excellent signal», s'enorgueillit Sanchez au quotidien Marca.
Cité par TV5 Monde, le commentateur sportif Ahmad Al-Tayeb décrit un homme «sans émotions excessives, ni dans la victoire, ni dans la défaite, présent avec ses joueurs comme s'il était l'un d'eux. Un père et un frère». Sanchez ne regrette rien: «Au Barça, j'avais l'impression d'être un privilégié mais je voyais bien que je ne pouvais pas grandir davantage en tant qu'entraîneur.»
Le premier chef du recrutement à ASPIRE fut Josep Colomer, ancien directeur de la Masia. L'homme en a reproduit les méthodes et recruté les experts, dont Felix Sanchez et ses trois assistants espagnols.
Sans surprise, le Qatar joue tente un football basé sur la possession et la mobilité. Il soigne ses relances depuis l'arrière et étire ses mouvements sur toute la largeur du terrain, idéalement à une ou deux touches de balle (mais qui ne peut, ne peut). L'intention est particulièrement offensive, voire osée, pour une équipe de ce niveau. Mais le Qatar ne s'interdit pas des phases de repli.
La venue de Xavi à Al Sadd participe à la même continuité. En enseignant le jeu au sol à sa douzaine d'internationaux qataris, Xavi a indirectement contribué au développement de l'équipe nationale, à ses interactions et sa culture tactique. Certes, il ne faut pas attendre des taux de possession «guardiolesque» et de longues phases de tiki-taka, mais l'équipe du Qatar n'est pas si nulle. Pas du tout. Elle possède même un certain style et une haute idée de l'excellence.
Cet article est une adaptation de la version originale, publiée sur notre site le 8 novembre 2022.