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Daniel Albrecht: «Je ne me souvenais pas de mon nom»

Daniel Albrecht: «Je ne me souvenais pas de mon nom»

Cela fait déjà plus de quinze ans que Daniel Albrecht a chuté à Kitzbühel, un accident qui a provoqué un grave traumatisme crânien et l'a plongé durant plusieurs semaines dans un coma artificiel. Il évoque cette période de sa vie et raconte la manière dont il s’est heurté au système à son retour à la compétition. Interview.
04.12.2025, 18:5304.12.2025, 18:53
Dominik Widmer, Jasmin Steiger

Daniel Albrecht, cela fait maintenant un certain temps que vous donnez des conférences sur votre carrière, illustrées par des vidéos de vos exploits. Que vous inspirent ces images?
Quand je vois les images et entends la musique que j’écoutais au départ, je replonge immédiatement dedans. C’est un sentiment incroyablement positif. Puis survient le passage où la musique change, au moment de la chute. On bascule dans un monde totalement différent. C’est là que l’on réalise que tout est terminé.

La chute dont vous parlez, à Kitzbühel en 2009, a changé votre vie. Vous souvenez-vous de ce moment?
Non. Je n’ai absolument aucun souvenir. Tout ce que je sais de cette période, je l’ai appris grâce aux images.

Daniel Albrecht est tombé sur le dos en réception du saut final de la Streif. On le voit ici projeté après un premier rebond.
Daniel Albrecht est tombé sur le dos en réception du saut final de la Streif. On le voit ici projeté après un premier rebond.image: keystone

Vous êtes resté plusieurs semaines dans le coma. Que s’est-il passé ensuite?
A l’hôpital, lorsqu’on m’a demandé pour la première fois de dire mon nom, je ne m’en souvenais pas. J’ai dû me poser la question moi-même pour pouvoir trouver la réponse dans mon cerveau.

«J’étais comme un petit enfant»

Cette expérience a dû être déroutante.
Je n’avais aucune émotion propre et ne réagissais qu’aux autres. Si une personne était joyeuse, alors je devenais heureux. Si elle était stressée, je le devenais aussi.

Qu’avez-vous dû réapprendre en priorité?
Le langage. J’ai dû reconstruire de nombreuses connexions. Je pense que c’est parce que je n’étais pas très fort dans ce domaine avant l’accident. Après, si je voyais une image d’éléphant, il m’arrivait de ne pas pouvoir dire s’il s’agissait d’un éléphant ou d’une girafe. C’était embarrassant, mais le cerveau a besoin de temps.

Pourtant, moins de deux ans après votre accident, vous étiez déjà de retour. Comment est-ce arrivé?
Simplement parce que je le voulais. Je suis remonté sur les lattes, j’ai fait deux ou trois virages et j’ai eu des vertiges. Tout tournait autour de moi. Mais la sensation du ski, de la neige et de la montagne, c'était merveilleux. J’ai tout de suite affirmé que j'allais participer à la prochaine Coupe du monde. Pour les entraîneurs et mon entourage, c’était de la folie. Pour moi, c’était normal. Vous savez, jai toujours eu besoin d’objectifs irréalistes pour me dépasser.

Votre retour à Beaver Creek s’est soldé par une 21e place, un résultat tout simplement incroyable.
Pour moi, cette 21e place valait plus qu’un titre de champion du monde. J’empruntais un chemin que personne n’avait encore exploré. Mais le vrai combat a commencé par la suite. Je voulais continuer, je voulais revenir rapidement au sommet. Mais mon entourage avait peur.

«Les médecins me disaient non»

Finalement, qu’est-ce qui a précipité la fin?
Le système. Swiss-Ski est très structuré. Tout est très bien organisé, tout est correct, tout est sécurisé. Mais cela ne convient pas à tout le monde.

Daniel Albrecht est aujourd'hui âgé de 42 ans.
Daniel Albrecht est aujourd'hui âgé de 42 ans. image: dr

Que voulez-vous dire par là?
J'étais quelqu’un qui voulait tracer son propre chemin, comme l’ont fait plus tard Marcel Hirscher ou Lara Gut-Behrami. Je voulais revenir au niveau de la Coupe du monde, mais c’était un combat permanent. J’avais besoin de liberté, de pouvoir décider et d’un entourage qui me comprenne. A un moment donné, j’ai compris que je gaspillais trop d’énergie simplement pour exister dans ce système.

«Je n’avais plus la force de me battre»

Vous critiquez en quelque sorte le fait que notre système laisse peu de place aux nouveaux départs.
Nous sommes tellement centrés sur la formation et le parcours professionnel que tout changement de cap semble être une erreur. Tu es cuisinier, donc tu dois rester cuisinier. Mais les gens changent. Peut-être qu’à 30 ans, on se découvre soudain une nouvelle passion. Pourtant, un véritable nouveau départ ne rentre pas dans les cases. Nous devrions être plus flexibles et nous demander: où cette personne peut-elle trouver sa place, à cette étape de sa vie?

Daniel Albrecht compte un titre de champion du monde et quatre victoires en Coupe du monde.
Daniel Albrecht compte un titre de champion du monde et quatre victoires en Coupe du monde.image: keystone

A l'époque, vous aviez tenté de créer votre propre structure. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné?
En Suisse, si tu veux courir en Coupe du monde, tu dois faire partie du système. Seul, ce n’est pas possible. Et si tu dois revenir à un cadre qui ne te correspond pas, tu te perds. Je voulais gagner, pas juste retrouver une vie normale. La fédération, elle, a atteint son objectif: m’offrir une vie saine et équilibrée. Mais mon objectif, celui de redevenir rapide, ne s’accordait pas.

Aujourd’hui, vous menez une vie totalement différente: vous êtes père, séparé, et partagez votre temps entre le Valais et l’Argovie.
Ma femme et moi avons choisi d’instruire notre fille à la maison. C’est beaucoup plus simple en Argovie qu’en Valais, où il faudrait être enseignant pour cela.

Pourquoi avoir choisi l’enseignement à domicile?
Parce que chaque enfant est différent. Je ne voulais pas formater ma fille. Je voulais qu’elle puisse exprimer ce qu’elle souhaite. Elle est comme moi: dès qu’on lui dit comment faire quelque chose, son énergie disparaît. En plus, à l’école, les enfants apprennent souvent à donner les réponses attendues plutôt que les leurs.

Daniel Albrecht évacué par hélicoptère après sa chute sur la Streif.
Daniel Albrecht évacué par hélicoptère après sa chute sur la Streif.image: keystone

Comment cela se passe-t-il au quotidien?
En semaine, ma fille est chez sa mère en Argovie, et le week-end, elle est avec moi en Valais. Nous nous complétons bien. L’école ne doit pas être un lieu où l’on inonde les enfants d’informations, mais un endroit où ils peuvent découvrir qui ils sont.

Vous dites donc que les enfants doivent pouvoir expérimenter et prendre des risques?
Oui, exactement. Si un enfant veut descendre une pente à vélo, je pourrais lui dire: «C’est trop dangereux, ne le fais pas». Il ne le ferait pas, mais j’aurais gâché quelque chose. Ou alors je peux l’accompagner: casque sur la tête, je lui explique ce qui peut arriver en cas de chute. Et c’est ainsi qu’il apprend. Cela ne devient dangereux que lorsqu’un adolescent de 15 ans s'élance sur la même pente sans aucune expérience.

Vous avez vu à quel point une chute peut être brutale. Quel est votre regard sur la gestion des commotions cérébrales dans le sport de haut niveau?
Il y a des choses qui me font encore mal aujourd’hui. J’ai vu des athlètes être renvoyés chez eux après une commotion, seuls sur la route. Cela ne va pas et c’est assez irresponsable. J’aurais souhaité que les leçons tirées de mon accident soient utilisées de manière plus systématique.

Suivez-vous encore les courses de ski aujourd’hui?
Oui, mais je dois faire attention. Si je regarde trop, je me replonge complètement et je commence à tout analyser. (Rires) Pour certains athlètes comme Lara Gut-Behrami ou Marco Odermatt, ce qui m’intéresse surtout, c’est de comprendre leur manière de penser et de prendre leurs décisions. Ils ont eu le courage de suivre leur propre voie.

«Cela me fascine plus que les résultats»

Vous avez également travaillé avec Lara Gut-Behrami.
Exactement. Nous avons collaboré ensemble pendant un certain temps, et pour moi, c’était l’athlète la plus facile à accompagner. Pas parce que tout était simple, mais parce qu’elle savait exactement ce dont elle avait besoin. En tant qu’entraîneur, il n’est pas nécessaire de lui dire quoi faire: il suffit d’écouter et de lui fournir l’environnement dans lequel elle peut s’épanouir. Pour moi, c’est le modèle idéal: l’athlète décide, l’entraîneur soutient.

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