Franjo von Allmen: «Je ne marche pas comme Odermatt»
Franjo von Allmen, cet automne, la météo était idéale pour faire du motocross. Cela vous convient-il de passer à nouveau la plupart de votre temps sur les skis?
Oui, absolument. La moto est un bon équilibre en été, mais lorsque l’automne et l’hiver approchent, le ski redevient la priorité, et c’est clairement mon activité préférée.
Même si vous pouviez gagner de l’argent grâce au motocross?
Même dans ce cas. C’est agréable de pouvoir faire de la moto sans pression, simplement parce que c’est un hobby. Je prends énormément de plaisir, mais je ne voudrais pas en faire une activité professionnelle.
On interdit aux footballeurs de faire du ski parce que c’est trop dangereux. Mais à un skieur, on dit qu’il peut faire un peu de motocross, que ce n’est pas si grave.
On ne me dit pas vraiment que je dois en faire. Mais au fond, c’est une activité dont je ne pourrais pas me passer. Elle m’apporte énormément, même pour le ski. C’est pour cela qu’elle reste essentielle pour moi.
Etes-vous déjà tombé lourdement?
Oui, cela m’est déjà arrivé (Rires). Ça fait partie de l’apprentissage.
Mais vous ne vous êtes jamais blessé sérieusement?
Non, heureusement, je m’en suis toujours tiré sans gros pépins jusqu’ici.
Le motocross est donc avant tout un plaisir. Et le ski? Cela reste-t-il du plaisir, ou c’est désormais surtout du travail?
Le ski reste avant tout un immense plaisir. C’est un vrai privilège de pouvoir passer ses journées sur la neige par beau temps, quand d’autres travaillent dans un bureau. C’est forcément fun d’admirer le lever du soleil depuis les pistes chaque matin.
A quel moment le plaisir disparaît-il?
Je pense que c’est comme dans n’importe quel métier: certains jours, on n’a tout simplement pas envie, et c’est humain. D’autres jours, tout semble facile et l’on exerce son activité avec un immense plaisir. Dans l’ensemble, même les journées les plus exigeantes restent pour moi un véritable privilège, car j’ai la chance de faire de ma passion mon métier.
Comment parvient-on à conserver cette joie quand les obligations et les rendez-vous, qui n’ont rien à voir avec le ski, s’accumulent?
Cela fait partie du jeu, que cela nous plaise ou non. C’est pourquoi j’essaie de les accomplir de manière détendue et avec autant de plaisir que possible. C’est ma manière de voir les choses.
Quelle importance accordez-vous à la cohésion et à l’esprit d’équipe?
Beaucoup de choses deviennent plus faciles lorsqu’on entretient des liens en dehors du ski, quand on aime passer du temps avec ses coéquipiers, qu’on s’amuse ensemble, qu’on partage des activités ou de bonnes conversations.
Et parfois, comme lors des Championnats du monde, vous sortez tous ensemble?
Oui, par exemple (Rires).
Ces soirées endiablées aident-elles à décompresser?
Oui, ça fait partie du processus. Nous sommes jeunes et soumis à beaucoup de pression, mais il faut savoir choisir le bon moment. Ce n’est pas non plus comme si nous nous mettions complètement dans des situations absurdes. Tout se fait avec un minimum de bon sens.
Donc pas de fête la veille du départ à Kitzbühel?
Non, probablement pas (Rires). Mais lorsqu’il y a quelque chose à célébrer et que le moment est approprié, il est tout à fait légitime de faire la fête. Après tout, cela permet aussi de relâcher la tension quasi permanente, pour mieux la retrouver par la suite.
Vous aviez dit après votre titre mondial que vous aimeriez retourner travailler quelques semaines sur un chantier pendant l’été. L’avez‑vous vraiment fait? Ce n’est pas vraiment synonyme de détente.
C’est une question de point de vue. Mais non, je n’ai pas pu le faire. D’autres obligations se sont ajoutées. Et je me suis dit qu’une carrière de skieur ne dure pas toute la vie, tandis que travailler sur un chantier, je pourrai le faire plus tard. C’est pourquoi je veux profiter pleinement de ma vie de skieur pour l’instant et concentrer mon attention uniquement sur le sport.
Vous pouvez vraiment envisager de retourner travailler sur un chantier après votre carrière?
Oui, ce n’est pas impossible. Je ne me définis pas uniquement par le ski ou par mes réussites sportives.
En tant que skieur, vous êtes sous les projecteurs. On vous admire et vous idolâtre comme une superstar.
Le mot superstar me semble encore très étrange. Je reste prudent avec ce genre de termes, tout peut changer rapidement. Et quand je suis avec mon frère ou mes amis, ce mot est très loin, presque inexistant. Le temps passé à la maison, dans mon environnement, me ramène toujours à la réalité et me rappelle d’où je viens.
Même si cela vous paraît étrange, aux yeux de beaucoup, vous en êtes une. Il faut vivre avec cela.
Oui, il faut bien s’y faire. Mais aucun de mes amis ne me voit comme une superstar, et moi encore moins. C’est toujours particulier pour moi quand des inconnus viennent me parler. Mais d’une certaine manière, c’est agréable que les gens s’intéressent à ce que l’on fait, qu’ils nous souhaitent le meilleur et se réjouissent de nos réussites.
Faut-il aussi apprendre à dire non?
Oui, c’est quelque chose que je dois encore apprendre. On ne peut pas satisfaire tout le monde. Ça peut sembler bête, mais c’est comme ça. Dans certaines situations, il faut savoir se retenir. Et en même temps, il faut attirer l’attention pour pouvoir vivre de notre sport. Qu’on le veuille ou non, le battage médiatique fait partie du jeu: nous en vivons.
En décembre dernier, vous disiez qu’un résultat dans le top 10 était déjà super pour vous. Après deux titres mondiaux et trois victoires en Coupe du monde, est-ce toujours le cas?
Quand les résultats s’améliorent, les attentes augmentent, on ne peut pas le cacher. Mais en même temps, il ne faut pas oublier qu’un top 10 reste un très bon résultat. L’important est de ne pas se laisser abattre lorsqu’on manque le podium.
Vraiment?
Il est important pour moi de garder à l’esprit qu’une huitième place peut rester un bon résultat, selon les circonstances, même si ce n’est pas ce que je vise.
Quels sont vos objectifs?
Je ne suis pas du genre à faire de grandes annonces. Mais oui, j’ai des objectifs.
Vous n’avez pas de liste de choses à faire comme Marco Odermatt?
(Rires) Non, je n’en ai pas.
Certains doivent attendre d’avoir 30 ans pour remporter leur première descente. D’autres n’y parviennent jamais. Pour vous, tout est allé très vite: champion du monde à 23 ans. Comment fait-on pour ne pas considérer une huitième place comme une déception?
C’est exactement ce à quoi il faut penser quand on manque le podium. D’autres s’efforcent depuis bien plus longtemps d’atteindre ce que j’ai déjà accompli, ce que beaucoup oublient vite. Même si cela peut sembler une formule toute faite, je continue de me concentrer course après course, résultat après résultat.
Votre premier podium en Coupe du monde est intervenu après 12 départs. Beat Feuz, à qui l’on vous compare souvent, a mis plus de 30 courses pour y parvenir. Cela ne vous a-t-il pas un peu dépassé?
Oui, un peu (Rires).
Dans quelle mesure?
Quand on entre dans une pièce et que l'on se retrouve face à 10, 15, 20 micros, cela peut effectivement être déstabilisant. On avale sa salive et on prend un moment pour se recentrer. J’ai cependant appris que la meilleure façon de gérer ce genre de situation est de rester soi-même et de dire ce que l’on a sur le cœur. Il faut essayer de prendre ça avec légèreté et le voir comme une nouvelle expérience. Avec le temps, c’est aussi devenu plus facile.
Est-on préparé à cela en tant que jeune skieur?
Oui, le sujet a été abordé. Mais ce n’est pas ce qui me fascinait. Aujourd’hui, je comprends ce que représente la communication quand on est au sommet. C’est à la fois très agréable, mais aussi épuisant.
Vous avez pour coéquipier Marco Odermatt, qui connaît ce tumulte depuis longtemps. Pouvez-vous apprendre de lui?
Je crois que chacun gère cela à sa manière. Pour nous, le fait que Marco soit là avec son expérience aide beaucoup. Nous avons pu grandir un peu à l’ombre de son expérience, ce qui a rendu les choses plus faciles.
La communication inclut aussi la promotion. Marco Odermatt est quasiment omniprésent à l’automne et en hiver. Jusqu’où êtes‑vous prêt à aller?
Marco fait beaucoup de choses et il l’a mérité. Atteindre le sommet, c’est une chose; y rester pendant de nombreuses années, c’en est une autre. Marco en fait plus que ce que je peux envisager pour l’instant, car la vie normale et les moments de détente, comme faire du motocross, sont très importants pour moi.
Avez-vous dû refuser des propositions publicitaires?
Oui, j’ai refusé des opportunités très importantes. Après la saison, j’ai été littéralement submergé de demandes. J’aurais pu être présent à cinq endroits différents chaque jour de l’été. Mais ce n’est tout simplement pas possible. Il faut établir des priorités: la première est l’entraînement, la seconde le repos. Nous avons un plan pour savoir comment et avec qui je fais de la publicité, et je regarde cela de près.
On dit que l’argent finit par faire fléchir presque tout le monde. Pas vous?
C’est aussi une question de valeurs, de ce que l’on défend: l’importance de l’argent par rapport à la vie privée. Dans mon cas, la promotion doit toujours rester un plaisir et avoir un sens. Cela ne doit jamais être une contrainte.
L’argent a-t-il beaucoup d’importance pour vous?
Oui, c’est important. Mais en même temps, on ne peut pas l’emporter avec soi une fois sous terre. Pouvoir vivre confortablement grâce à l’argent que je gagne, c’est évidemment agréable, tout comme ne pas avoir à vérifier mon portefeuille à chaque fois que j’entre dans un restaurant.
Vous avez déjà dit que vous aimiez dépenser votre argent.
C’est aussi quelque chose de plaisant, non?
Pour quoi le dépensez-vous? Les motos?
(Rires) D’où vous vient cette idée? Le motocross n’est pas un hobby bon marché, entre le matériel, le transport et l’hébergement. Mais oui, en général, j’aime bien investir dans mes passions.
Dans les vieilles voitures aussi, apparemment. On dit que vous aimez bricoler les véhicules anciens.
C’est vrai.
En possédez-vous une vous-même?
Oui, ce n’est pas nouveau.
Laquelle?
Une Golf de première génération, millésime 1983.
On dit aussi que vous avez toujours une chambre individuelle parce que vous ronflez fort.
(Rires) Plus maintenant. Je la partage avec Lars Rösti.
Vous avez arrêté de ronfler?
Si seulement c’était vrai.
Préféreriez-vous une chambre individuelle?
Non.
La vie en communauté ne vous prive-t-elle pas d’intimité?
On se crée son propre espace. On s’habitue très tôt à partager une chambre, nous avons toujours dormi à deux ou trois. J’apprécie ces moments d’échanges le soir. Et quand on a besoin de calme, il y a toujours les écouteurs ou une petite promenade.
L’équipe aide-t-elle à gérer les déceptions?
Oui. Quand ça ne se passe pas bien pour vous, vous pouvez absorber l’énergie positive de ceux qui ont réussi. Et quand ça se passe bien, vous pouvez transmettre cette énergie à vos coéquipiers, que ce soit lors des entraînements ou dans la chambre.
Et pourtant, vous êtes tous des sportifs individuels. Il n'y a jamais de jalousie?
C’est ce qui est beau dans le ski. Le résultat dépend uniquement de sa propre performance.
Est-ce vraiment aussi simple?
Oui, au sein de notre équipe, la compétition et l’ambition se concentrent uniquement sur ce qui se passe sur les pistes.
Mais il peut arriver que votre concurrent ait eu de meilleures conditions.
Notre sport se pratique en extérieur. Parfois, ça tombe sur vous, parfois sur l’autre. Je reste totalement concentré sur moi-même.
C'est un discours mature. Etiez‑vous déjà comme ça enfant?
Parfois plus, parfois moins. Mais je pense que c’est quelque chose que l’on apprend avec les années. Dans notre sport, le fair-play fait partie du jeu.
Vous ne communiquez pas vos objectifs publiquement. Pourtant, un événement important aura lieu en février…
Vraiment? (Rires).
Vous y pensez déjà?
A peine. Notre équipe est tellement forte qu’il n’est même pas certain que je sois sélectionné. La situation est similaire à celle qui existait avant les Championnats du monde l'hiver dernier.
Donc vous allez participer, skier comme un diable et décrocher l’or?
(Rires) Je ne sais pas comment skie un diable. Moi, je skie en souriant, pas avec des cornes. On verra bien.
