Lorsque Justin Murisier a fait ses débuts en Coupe du monde, il a été comparé aux plus grands du ski. Mais son parcours n'a ensuite pas été linéaire. Au lieu d'être un vainqueur en série, il est devenu un patient permanent. Il a fallu au Valaisan 14 ans et cinq opérations du genou pour qu'il devienne ce qu'il aurait toujours dû être: un vainqueur. Le Bagnard a remporté la descente de Beaver Creek, le 6 décembre.
Vous étiez considéré comme un grand talent. Mais vous avez dû attendre vos 32 ans pour remporter votre première course de Coupe du monde. Une sorte de happy end?
JUSTIN MURISIER: «Happy» oui, «End» certainement pas! (rires) Avant cette saison, j'avais déjà dit que je voulais skier encore cinq ans. Mais cette victoire m'a donné une nouvelle perspective. Jusqu'à présent, j'étais toujours un peu entre deux chaises et je me posais la question: «Suis-je un technicien ou un descendeur?»
Avant ce succès, vous n'aviez fêté qu'un podium à la fin de l'année 2020, après une interminable histoire de blessures. Vous aviez alors déclaré que tout ce qui allait suivre n'était que du bonus.
Je pense que beaucoup sous-estiment la difficulté de se battre pour aller de l'avant. Nous voyons ce que Marco Odermatt accomplit et pensons que c'est normal. Mais ce n'est pas le cas.
Cette première victoire, elle était d'autant plus particulière qu'elle a eu lieu en descente?
J'ai toujours rêvé que je deviendrais un jour un descendeur. Mais quand j'ai décidé de me lancer à 29 ans, j'ai dû me rendre à l'évidence. J'ai pensé: «Pfiou, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir...» Je me suis dit que je finirais peut-être un jour dans le top 10, ou sur le podium. Et maintenant, c'est une victoire!
Vous partagez votre chambre avec Marco Odermatt en Coupe du monde. C'était un moment particulièrement spécial de fêter votre victoire avec lui, sachant aussi qu'il a terminé deuxième?
En fait, cela n'aurait presque pas pu mieux se passer. Marco m'a ensuite remis le dossard rouge de leader de la Coupe du monde de descente. Bien sûr, c'était la première descente de la saison. Mais malgré tout, porter ce dossard, c'est encore un autre de mes rêves qui s'est réalisé.
A propos de Marco Odermatt, tous les skieurs sont régulièrement questionnés sur lui. Une tendance que vous avez critiquée par le passé.
Tout d'abord, je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas de jalousie. Pas du tout.
Ses succès sont impressionnants et beaux pour le ski. Mais pour tous les autres athlètes, cela peut aussi devenir un fardeau. Il est presque toujours seul sous les feux de la rampe. Et nous autres, nous passons pour des clowns à côté, parce que nous ne pouvons pas faire aussi bien que lui.
C'est quoi votre rôle dans l'équipe? Vous êtes considéré comme quelqu'un qui propage sa bonne humeur.
C'est vrai que je suis quelqu'un qui aime que l'ambiance soit détendue. Nous sommes sur la route environ 220 jours par an, alors si l'ambiance est mauvaise, cela m'affecte. On ne vit qu'une fois. Et puis, peu importe que l'on ait gagné ou non. Je pense qu'il est très important de profiter de ce que nous faisons. Combien rêvent d'une vie comme la nôtre?
Qui est le plus difficile à faire rire: les Suisses alémaniques ou les Romands?
Je ne voyage pratiquement qu'avec des Suisses alémaniques. Entre-temps, je sais ce qu'il faut faire pour les faire rire! (rires) Mais nous avons tous beaucoup d'humour, je n'ai pas de limites avec mes blagues.
L'humour vous a aidé à surmonter les moments difficiles de votre carrière?
Oui, assurément. Chaque athlète connaît des hauts et des bas. Et bien sûr, quand on est vraiment au fond du trou, c'est difficile de rire. Mais je suis quelqu'un qui aime voir le positif et qui ne veut pas s'attarder sur les choses négatives.
A propos de pensées positives, vous vous parlez aussi à vous-même juste avant le départ.
Oui, cela m'a beaucoup aidé dans ma carrière. Je parle le français, l'allemand, l'anglais et un peu l'italien, alors dans l'aire de départ, j'ai toujours entendu et compris tout ce qui se disait autour de moi. Je n'arrivais plus à me concentrer. Du coup, j'ai commencé à me parler à moi-même. A l'époque, je le faisais même pendant les courses. Mais plus maintenant.
Et vous vous dites quoi?
Ce sont surtout des points techniques de ski, que je passe en revue dans ma tête. Toutes des choses positives. J'évite par exemple le mot «pas». Je veux commander à ma tête ce qu'elle doit faire. Et non pas ce qu'elle ne doit pas faire. Il s'agit par exemple des mouvements de mes bras. Ou comment les hanches doivent avancer.
C'est vrai que vous portez un slip sous votre tenue de course ?
(Rires) Oui, c'est vrai. En 2018, j'ai partagé la chambre de Didier Défago (désormais retraité) à Sölden. J'ai vu qu'il portait un slip, ça m'a troublé. Moi, en tant que jeune homme, je portais naturellement des boxers larges.
À un moment donné, j'ai moi-même acheté un slip pour essayer. Et je dois vraiment dire que c'est mieux.
Et qu'en pensent vos coéquipiers?
Ils ont autant ri que moi à l'époque avec Didier. Apparemment, la couleur joue aussi un rôle. Quand j'étais à nouveau blessé, Marc Rochat et Luca Aerni (slalomeurs suisses) m'ont offert des slips roses. J'ai trouvé ça cool. Parce que ça ne correspond pas du tout à l'image des descendeurs soi-disant courageux. Du coup, je les ai portés.
Vous avez la réputation d'être quelqu'un de haut en couleur. Elle vient d'où?
J'ai toujours été un rebelle. Même à l'école. Quand on me dit de ne pas faire ça, je le fais encore plus. Je ne suis pas la personne la plus facile à vivre pour les figures d'autorité. (rires)
Je n'étais pas non plus un chauffard, mais les jeunes conducteurs sont censés être irréprochables avec leur permis à l'essai. J'ai dû le rendre plusieurs fois.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber