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Ski alpin: comment la discipline peut-elle devenir mondiale?

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Marco Odermatt et Mikaela Shiffrin skieront-ils bientôt en Chine ou au Japon?Image: keystone

Le ski alpin fait face à un grand défi

Pour se développer, la Coupe du monde de ski alpin doit s'internationaliser. Mais comment? Des experts répondent.
01.04.2024, 07:00
Rainer Sommerhalder / ch media
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27 victoires, 56 podiums, sept globes de cristal pour les classements des disciplines plus les deux sacres au général de Marco Odermatt et Lara Gut-Behrami: les Suisses ont cartonné en Coupe du monde cet hiver. Mais cette compétition intéresse-t-elle vraiment hors de notre pays et celui de notre grand rival, l'Autriche? En Allemagne, l'engouement pour le ski alpin a été plus faible que d'habitude cette année. N'est-il pas un sport de niche à l'échelle mondiale?

Le président de Swiss Ski, Urs Lehmann, est clairement partisan d'une mondialisation de cette discipline. Il balaie l'idée selon laquelle l'intérêt se limite principalement aux deux pays où le ski est un sport national:

«Seules les personnes qui n'ont jamais skié en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis ou au Canada peuvent émettre de telles thèses. Sans parler de la France et de l'Italie, où le ski alpin fait partie de la culture et de l'économie.»
Urs Lehmann
Urs Lehmann, President of Swiss-Ski, center, speaks with Diego Zueger CEO Commercial of Swiss-Ski, right, and Philipp Baertsch, head of communication of Swiss-Ski, in the finish area during the women& ...
Urs Lehmann, président de Swiss Ski.Image: keystone

Selon lui, le défi consiste à rendre le ski attractif à une époque de grande diversité des offres de divertissement en Occident. Il estime que ce sport jouit d'une belle cote de popularité au niveau international.

Kilian Albrecht, manager de Mikaela Shiffrin depuis 2011, voit également une portée dépassant largement la Suisse et l'Autriche. «Avec 20'000 spectateurs par jour, les courses de Killington aux Etats-Unis ont fait partie des moments forts du calendrier féminin cet hiver. Mais les courses en Slovaquie ou plus tôt à Zagreb ont également connu un grand succès». Selon Albrecht, dans toutes ces destinations, une star locale a été le moteur de l'enthousiasme. Ainsi, le quinquagénaire plaide pour que la Coupe du monde se déroule en premier lieu là où il y a des idoles.

Différence américaine et désavantage physique

Michael Schiendorfer, responsable marketing de Marco Odermatt, est également sceptique quant à la thèse de l'intérêt limité. Il relève qu'il est très difficile d'évaluer objectivement ce constat et ajoute:

«Grâce à des nations comme la Slovaquie, la Nouvelle-Zélande ou la Grande-Bretagne, il y a aujourd'hui quelques pays passionnants en dehors de l'espace alpin, qui forment même des skieurs de podium. Sous nos latitudes, nous ne le percevons peut-être pas de la même manière.»
Michael Schiendorfer, responsable marketing de Marco Odermatt

Dans ce contexte, il se réjouit du changement de nation de Lucas Braathen, qui a choisi de skier désormais pour le Brésil. «C'est passionnant de voir ce que cela va éventuellement déclencher». Grâce aussi aux relations avec Red Bull, sponsor de l'athlète.

Norway's Lucas Braathen speaks during a press conference in Salzburg, Austria, Thursday, March 7, 2024. Brazil now has a top Winter Olympics medal prospect. Alpine ski star Lucas Braathen has ann ...
Le très charismatique Lucas Braathen skiera désormais pour le Brésil.Image: keystone

Kilian Albrecht souhaite, lui, une nette montée en puissance de l'équipe allemande. «Le marché télévisuel allemand est le plus important d'Europe. Et là-bas, les courses de ski ont actuellement la vie dure». En revanche, il se réjouit de ce que «son» skieur, Dave Ryding, a déclenché en Grande-Bretagne. «Là-bas, les audiences montent en flèche lorsqu'il est au départ».

A la question de savoir où Mikaela Shiffrin est la plus grande star – aux Etats-Unis ou en Europe centrale – Albrecht ne doit pas réfléchir longtemps. «C'est logique que plus de gens te connaissent là où a lieu le sport que tu pratiques». Autrement dit, en Suisse et en Autriche. L'Américain Bode Miller avait déjà l'habitude de dire: «I am big in Europe!» («Je suis grand en Europe!»)

Kilian Albrecht souligne à cet égard les particularités de la conception du sport en Amérique du Nord:

«Aux Etats-Unis, le ski de compétition, comme beaucoup d'autres sports, intéresse les gens tous les quatre ans, à l'approche des Jeux olympiques»

Mikaela Shiffrin a récemment été le centre de la fascination de ses compatriotes pour les records. Celui du nombre de victoires en Coupe du monde, qu'elle a battu, a suscité un intérêt croissant pour elle. Elle a ainsi été invitée à plusieurs talk-shows TV et a été élue, l'an dernier, sportive américaine de l'année. Mais tout cela ne lui permet pas encore d'obtenir un statut durable d'icône.

United States' Mikaela Shiffrin sings the national anthem on the podium after winning an alpine ski, women's World Cup giant slalom, in Kronplatz, Italy, Tuesday, Jan. 24, 2023. Shiffrin won ...
Mikaela Shiffrin est la reine du ski en Europe, mais aux Etats-Unis, c'est surtout sa course au record qui a attiré l'attention.Image: keystone

Mais pour cette «starisation», le ski alpin part avec un désavantage: avec leur casque et leur masque, les skieurs sont quasiment anonymes. «Et dans un pays comme les États-Unis, où l'apparence physique et le visage sont si importants, c'est tout sauf un avantage», analyse Kilian Albrecht. Par contre, grâce à l'égalité des droits, par exemple en ce qui concerne les prix, le ski alpin est bien placé dans la discussion sur le genre, qui est importante dans le sport nord-américain.

Nouveaux marchés et Netflix

Quelle est la situation de Marco Odermatt? Sa notoriété grandit également à l'international, assure son responsable marketing. Et ça tombe bien: «Les Jeux olympiques 2026 se profilent. Là-bas, les partenaires internationaux sont aussi toujours à la recherche de figures de proue», se réjouit Michael Schiendorfer.

Outre des sponsors suisses, Odermatt a plusieurs partenariats internationaux. Red Bull, en particulier, offre des opportunités dans le monde entier.

«Il est donc tout à fait possible que nous envisagions une diversification un peu plus globale dans les années à venir»
Michael Schiendorfer

Par exemple: pousser pour une course de plus aux États-Unis plutôt qu'à Adelboden.

«Les nouveaux marchés ne sont pas seulement intéressants pour le skieur, mais aussi pour les partenaires. Il faudrait ici développer ensemble des stratégies pour mieux exploiter les potentiels sur les nouveaux marchés.»
Michael Schiendorfer
Der Manager, Michael Schiendorfer, rechts, und der Schweizer Skirennfahrer Marco Odermatt, links, anlaesslich einer Medienkonferenz beim Schweizer Skihersteller Stoeckli Ski in Malters im Kanton Luzer ...
Michael Schiendorfer avec son protégé, Marco Odermatt, et le grand globe de cristal 2023.Image: keystone

Mais l'expert en marketing prévient: «La santé, le plaisir du sport et la joie de vivre qui en découle doivent toujours être plus importants que la maximisation des recettes publicitaires. La commercialisation totale des sportifs serait très dangereuse».

Le manager d'«Odi» voit aussi un potentiel pour le ski dans les documentaires sportifs, par exemple sur Netflix. «Le ski est souvent comparé à la Formule 1. Nous parlons du «cirque blanc», or il se passe toujours beaucoup de choses dans un cirque, sur différentes scènes». Mettre cela en scène a du potentiel. Mais il y a des limites: de nombreuses régions du monde n'ont pas de neige. Et donc, pas de ski. Avec, forcément, moins d'engouement.

Avis divergents sur l'Asie

Mais où le ski alpin a-t-il, géographiquement ou commercialement, un potentiel? Urs Lehmann voit des possibilités de développement de la Coupe du monde à différents endroits. Il pense aux États-Unis et aussi à la Nouvelle-Zélande.

«Et on peut en penser ce que l'on veut. Mais le marché qui se développe le plus rapidement dans les sports d'hiver est la Chine»
Urs Lehmann

Mais le ski doit d'abord se poser la question de savoir ce qu'il veut: devenir plus global ou continuer à se positionner principalement au niveau européen? Veut-on intégrer les superbes domaines skiables de Nouvelle-Zélande? Et les milliers de skieurs en Chine? «Ce n'est qu'ensuite que l'on peut réfléchir à la manière dont on veut intégrer ces cultures du ski. Ce n'est pas un processus qui se fait du jour au lendemain. Nous devons développer ces marchés et non pas simplement y organiser rapidement trois courses», tranche le président de Swiss Ski.

Lehmann constate qu'il manque encore un consensus au sein de la Fédération internationale (FIS):

«Chaque fois que quelqu'un dit que la Chine est intéressante, il doit presque avoir honte de cette déclaration. Mais il est tout simplement faux de dire que le ski n'intéresse personne là-bas. Et je trouve dangereux que nous, Européens, émettions des jugements sans connaître la situation globale là-bas.»

Les deux managers des deux plus grandes stars du ski sont davantage sceptiques. Michael Schiendorfer, d'abord. «Personnellement, je pense que l'attribution des trois derniers Jeux olympiques d'hiver à la Russie, à la Corée du Sud et à la Chine n'a pas eu l'effet escompté en termes de marketing».

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Lara Gut-Behrami (au centre) et Michelle Gisin (droite) ont fêté des médailles aux derniers JO d'hiver, organisés en 2022 à Pékin.Image: keystone

L'Autrichien Kilian Albrecht, collaborateur de Mikaela Shiffrin, affirme certes que «les nouveaux marchés sont toujours passionnants», mais il voit plusieurs problèmes avec les potentielles nouvelles destinations de la Coupe du monde: «Les uns se plaignent quant au climat, les autres du trop grand nombre de courses». En ce qui concerne l'Asie, il est catégorique:

«Au Japon, le ski est complètement mort et il n'y a pas eu d'effet en Corée du Sud n'ont plus. Même en ce qui concerne la Chine, un développement prometteur ne serait pas possible sans héros locaux.»
Kilian Albrecht

Une rotation et l'eldorado US

Michael Schiendorfer reconnaît également l'argument selon lequel il n'y a actuellement pas de figures de proue dans certains marchés potentiels. Pour lui, l'objectif de la Coupe du monde devrait être, néanmoins, de conquérir ces nouveaux marchés:

«Il faudrait commencer là où il y a une culture et une tradition du ski. Des marchés comme le Japon, l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud ou la Nouvelle-Zélande peuvent offrir un potentiel, bien que cela nécessite un calendrier chargé et questionnable au niveau du climat.»

L'idée de l'expert en marketing? Organiser une Coupe du monde dont le cœur serait en Europe, mais qui s'étendrait chaque année à d'autres régions selon une sorte de rotation. «Les jeunes athlètes doivent pouvoir voir les stars en direct, sinon ils perdent le lien avec leur sport», ajoute-t-il.

Urs Lehmann est également de cet avis. Selon lui, pour développer un produit, il faut des ambassadeurs. «Le sport de compétition sert de moteur au sport de base. Les gens se laissent motiver et inspirer par un Marco Odermatt».

Notre trio d'interlocuteurs s'accorde en voyant le plus grand potentiel aux Etats-Unis. Mais il y a, actuellement, deux barrières dans ce pays, comme l'explique Kilian Albrecht:

«Les courses ne passent pas à la télévision et la discipline y est très élitiste, car incomparablement plus chère qu'en Europe»

C'est pourquoi l'ancien slalomeur plaide pour que les courses se déroulent dans des endroits moins connus, comme justement Killington ou Mont-Tremblant, où il y a un véritable enthousiasme pour le sport et les athlètes, notamment chez les jeunes, et pas seulement pour le folklore autour du ski comme dans certaines stations de ski «nobles».

Mais, pour Albrecht, le plus important est ailleurs. «A la FIS, les dirigeants doivent enfin tirer à la même corde. Ce qui se passe actuellement est un poison pour le ski alpin, les athlètes et les sponsors. Ils ne doivent pas régler leurs conflits en public», conclut le manager de Mikaela Shiffrin.

Adaptation en français: Yoann Graber

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