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Suisse: nous devons (enfin) parler sérieusement d'immigration

Commuters wear face masks to curb the spread of COVID-19 as they get on a public train in Zurich on Tuesday, November 30, 2021. (KEYSTONE/Michael Buholzer)
Dans les transports publics, comme ici dans le RER zurichois, on est déjà souvent à l'étroit.Image: keystone
Analyse

Nous devons (enfin) parler sérieusement d'immigration

Si la Suisse – prospère mais vieillissante – veut rester ce qu'elle est, elle continuera de dépendre de la main-d'œuvre étrangère. Pourtant, il n'existe aucun débat constructif sur les conséquences de l'immigration. Commentaire.
07.01.2024, 15:4407.01.2024, 16:25
Peter Blunschi
Peter Blunschi
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«L'immigration revient sur la table – pour le plus grand bonheur de l'UDC». Voilà le titre d'un article que j'avais publié il y a un an. Comme toujours dans de tels cas, les réactions négatives n'ont pas manqué. Dans notre pays, on se brûle facilement les ailes sur ce thème. Mais mon pronostic s'est réalisé: l'UDC a progressé lors des élections d'octobre.

En brandissant «l'épouvantail» d'une Suisse à 10 millions d'habitants, le parti a obtenu le troisième meilleur résultat de son histoire. Ce faisant, l'UDC a profité d'un «mal» bien connu: les médias, les partis et les acteurs économiques se dérobent à tout débat sur l'immigration. Cette attitude avait déjà contribué à l'acceptation de l'initiative contre l'immigration de masse il y a dix ans.

ARCHIV - Ein Plakat mit der Aufschrift "Masslosigkeit schadet! Masseneinwanderung stoppen - Ja"" wirbt fuer ein Ja zur SVP-Volksinitiative "gegen Masseneinwanderung ...
Avec l'initiative contre l'immigration de masse, l'UDC avait connu un succès en votation populaire il y a dix ans.Image: KEYSTONE

Le oui à l'initiative avait été un choc pour beaucoup. Au final, elle n'a été mise en œuvre que de manière très rudimentaire, car l'Union européenne n'était pas prête à faire des concessions sur l'accord de libre circulation. Cela n'a guère joué de rôle dans un premier temps, car la migration économique a reculé pendant quelques années. Mais depuis la fin de la pandémie, elle est repartie à la hausse.

De plus en plus de personnes

En 2022, le solde migratoire s'élevait à plus de 80 000 personnes, selon l'Office fédéral de la statistique. La raison en est simple: la génération du baby-boom prend progressivement sa retraite. Mais en raison du faible taux de natalité en Suisse depuis des années, les jeunes ne sont pas assez nombreux. On fait donc appel à la main-d'œuvre étrangère.

Cette situation pose cependant un «problème»: en raison de l'augmentation de l'espérance de vie, les personnes âgées ne «disparaissent» pas du pays. Par conséquent, la population totale augmente. La barre des 9 millions de personnes devait être franchie en 2023. On se rapproche donc de la fameuse «Suisse à 10 millions» de l'UDC. Avec des conséquences dans plusieurs domaines, par exemple dans les transports publics et privés.

De moins en moins de logements

Les trams, les bus et les trains sont pris d'assaut, et pas seulement aux heures de pointe. Mais l'extension des capacités n'est possible que de manière très limitée en raison de l'horaire déjà très chargé en Suisse. Sur les routes aussi, le nombre d'heures d'embouteillage augmente. L'agrandissement des autoroutes décidé par le Parlement est tout au plus une «politique du sparadrap».

Sicht auf ein Mehrfamilienhaus mit 13 Wohnungen am Centralweg, am Dienstag, 4. April 2023, in Bern. Das Bauprojekt mit guenstigen Mietzinsen hat eine 13-jaehrige Vorgeschichte das sich wegen politisch ...
De plus en plus de personnes viennent en Suisse, mais la construction de logements est en berne.Image: keystone

Une véritable crise se dessine aussi sur le marché du logement. Malgré une demande toujours élevée, la construction a ralenti ces dernières années. Plusieurs hypothèses tentent d'expliquer ce phénomène: la pénurie de terrains à bâtir, le manque de personnel qualifié, les goulets d'étranglement dans la livraison et le renchérissement. Selon CH Media (dont watson fait partie), une inversion de la tendance ne se dessine que très lentement.

Colocation par nécessité

Mais une offre limitée signifie une hausse des loyers, surtout si la population croît et qu'on relève simultanément le taux d'intérêt de référence. La situation est particulièrement critique dans les agglomérations comme Genève, Lausanne ou Zurich. Selon la NZZ am Sonntag, même les coopératives d'habitation y pratiquent des prix qui ne peuvent plus guère être qualifiés d'«utilité publique».

Les politiciens et les représentants de l'économie se réfèrent volontiers au besoin croissant de surface et à l'augmentation du nombre de ménages d'une seule personne. Mais les ménages composés de plusieurs personnes se sont aussi multipliés récemment. Cela n'est pas dû à un nouveau sentiment communautaire. De plus en plus de personnes ne peuvent simplement plus se permettre d'avoir un logement rien que pour elle et le partagent par nécessité.

L'exemple de l'Irlande

Si on ne bâtit pas plus vite ni davantage, le problème risque de s'aggraver. Avec le risque de suivre le modèle de l'Irlande. Fin novembre, de graves émeutes ont éclaté à Dublin après qu'un citoyen irlandais «issu de l'immigration», apparemment désorienté, a attaqué une femme et trois enfants avec un couteau.

A car burns as Irish policemen stand at the scene of an attack in Dublin city centre, Thursday Nov. 23, 2023. A 5-year-old girl is receiving emergency medical treatment in a Dublin hospital following  ...
Fin novembre, une attaque au couteau a provoqué des éclats de violences à Dublin. La grave pénurie de logements a joué un rôle important dans ces événements.Image: keystone

Les réactions habituelles ne se sont pas fait attendre: les conséquences de la politique migratoire ont été pointées du doigt. Mais la police n'a trouvé aucun indice d'un motif terroriste. Et l'agresseur a été arrêté par un chauffeur-livreur brésilien. Il est par ailleurs prématuré d'affirmer que les émeutes ont été provoquées par des extrémistes de droite.

D'un pays d'émigration à un pays d'immigration

Les participants aux émeutes ne se seraient pas «déchaînés» pour des motifs xénophobes, mais par ennui et frustration. Car la crise du logement touche surtout l'agglomération de Dublin, comme le prouve la présence de nombreux sans-abris. La forte migration économique vers la ville joue aussi un rôle.

En 2022, la population irlandaise a augmenté de près de 100 000 personnes, sur un total d'un peu plus de cinq millions. Même si l'on exclut les quelque 40 000 Ukrainiens, le taux de croissance est supérieur à celui de la Suisse. Pourtant, jusque dans les années 1980, l'Irlande était un pays d'émigration.

Surface utile limitée

Les géants américains de la technologie, en particulier, s'y sont installés à cause de la langue et d'impôts peu élevés. Même Google a établi son siège européen à Dublin. Mais la construction de logements n'a pas suivi ce développement – et les maisons qui s'effritent ne sont qu'une «question secondaire».

In close vicinity of apartment buildings, cows are grazing in Ittigen, near Berne, June 17, 2014. (KEYSTONE/Gaetan Bally) 

Angrenzend an Wohnblocke in Ittigen grasen Kuehe am 17. Juni 2014 auf einer  ...
Plus d'habitants, c'est plus de conflits d'intérêt pour la surface habitable.Image: KEYSTONE

Les conditions seraient pourtant réunies. L'ensemble de l'île, y compris le nord britannique, est deux fois plus grand que la Suisse, pour une population nettement plus faible. Chez nous, la situation a encore empiré parce que la surface exploitable est fortement limitée. Cela conduit à des conflits d'intérêts exacerbés entre la protection de la nature, l'agriculture et l'urbanisation.

Problème permanent de densification

Et c'est généralement la nature qui trinque. Mais une population croissante doit se nourrir et se loger. Des besoins qu'on ne peut combler que par la densification, souvent plus facile à évoquer qu'à atteindre. Il existe de nombreux obstacles, comme les réglementations en matière de bruit et les voisins qui s'opposent.

Si le niveau d'immigration se maintient, le problème du logement devrait prendre de l'ampleur dans les années à venir en Suisse. Comment éviter les «conditions de Dublin»? Depuis des années, on demande de mieux exploiter le potentiel de main-d'œuvre locale. Dans les faits, il se passe (trop) peu de choses, par exemple en ce qui concerne la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.

Matière à débat

Il est également irritant de constater que, selon l'Office fédéral de la statistique, près de 700 000 personnes sont «sous-employées» en Suisse. Cela s'explique notamment par les algorithmes RH qui éliminent automatiquement tous les profils qui ne correspondent pas parfaitement à un poste.

Il y aurait suffisamment de matière pour un débat sur l'immigration sans polémique. Car l'UDC n'a rien à proposer, à part revendiquer que la Suisse doit régler la question «de manière autonome». Les Vert-e-s militent pour des logements plus petits. Mais quand on les interroge sur leur propre surface habitable, le silence de leur réponse est assourdissant.

L'UDC fait partie du problème

L'UDC aura donc toujours le champ libre. Pourtant, même la NZZ a souligné peu avant Noël que le premier parti de Suisse faisait partie du problème et non de la solution:

«Sa politique fiscale favorise l'arrivée d'entreprises internationales et de personnel qualifié»

Pour l'UDC, la lutte contre la croissance démographique ne sert «qu'à thématiser la politique d'asile».

Mais les autres partis ont peur de se brûler les doigts avec ce sujet. C'est encore plus vrai pour les associations économiques. On admet qu'il y a des problèmes d'infrastructure, mais même l'Union suisse des arts et métiers, qui aime polémiquer, reste muette là-dessus. Comme s'il n'existait aucune alternative à la migration de la main-d'œuvre.

Nouvelles victoires pour l'UDC

On pourrait se demander comment font les autres, comme le Japon, qui vieillit encore plus vite et qui est traditionnellement «hostile à la migration». Là-bas, on mise sur l'automatisation. Pas sûr que la Suisse soit prête pour des robots de soins. Mais si nous voulons maintenir notre niveau de prospérité, un débat honnête sur l'immigration est absolument nécessaire.

Sinon, le scénario de la NZZ se réalisera:

«Si les autres partis ne s'en emparent pas, le sujet reviendra sans cesse en votation, promettant à l'UDC encore de nombreuses victoires électorales»

Nous l'aurions bien mérité.

Adaptation française: Valentine Zenker

Un atterrissage flippant met un caméraman dans tous ses états
Video: watson
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