De grands drapeaux violets, des jeunes en tous genres et un homme aux cheveux longs qui crie dans un mégaphone. Non, ce n'est pas la Grève féministe: c'est une manifestation de Mass-Voll, le mouvement anti-mesures Covid devenu en quelques mois une possible nouvelle force politique au Parlement.
Les différents mouvements opposés aux mesures sanitaires décidées par le Département fédéral de l'Intérieur durant la pandémie de Covid ont accouché de plusieurs formations. Les deux plus importants d'entre elles, Mass-Voll et Aufrecht, se sont décidées à transformer leurs manifestations en actions politiques. Ils sont en première ligne pour les élections fédérales à Berne, en octobre.
C'est surtout Mass-Voll qui se profile. Le groupe, qui désire terminer sa mue politique, cherche donc des soutiens pour les élections fédérales. Son objectif? Assurer cinq sièges sur les 200 que compte le Parlement pour pouvoir créer un groupe parlementaire. Il a ainsi tenté six rapprochements avec des sections locales de l'UDC, dans les cantons suivants (par ordre d'importance électorale):
A Zurich, c'est le leader du mouvement, Nicolas Rimoldi, qui convoite un siège. Et à Bâle-Ville, Lucerne et Schwyz, des pourparlers sont en cours, explique le Blick.
En Argovie, Mass-Voll a indiqué, tout récemment, qu'il ne partirait pas sur liste commune avec l'UDC. Le président de la section cantonale, le conseiller national Andreas Glarner, y était favorable. Mais devant la levée de boucliers de membres cantonaux, il a décidé de ne pas effectuer l'apparentement. Et ce, d'autant plus que le parti agrarien est déjà sur la même liste que le PLR.
Il faut dire que la question se pose surtout dans les partis où les «alliés naturels» préfèrent ne pas courir ensemble. Comprendre: dans les cantons où les libéraux-radicaux ne veulent pas faire campagne main dans la main avec l'UDC.
C'est le cas de Soleure, par exemple. Mass-Voll en a profité pour tenter le rapprochement. Mission accomplie: le parti violet et l'UDC ont annoncé, lundi dernier dans un communiqué, avoir créé une liste commune. Un arrangement purement électoral assumé, malgré quelques contestations au sein de la section cantonale agrarienne. Dans tous les cas, une première en Suisse.
Dans sa phase de renforcement, le mouvement n'hésite pas à aller récupérer des membres hostiles à la politique sanitaire du gouvernement que les autres partis avaient déçus. Si on trouve la plupart d'entre eux à l'UDC, la gauche est visée de la même manière. Comme Barbara Müller, cette Thurgovienne exclue de la section cantonale du Parti socialiste pour son opposition aux positions du parti durant le Covid, et qui court désormais sous la bannière violette.
En Romandie, les choses ne sont pas aussi bien lancées pour les opposants aux mesures Covid. La Genevoise Chloé Frammery est la seule figure de proue issue de ces mouvances à tenter l'aventure fédérale, et ce avec sa propre formation, sobrement intitulée «Liberté».
Mass-Voll se définit comme «mouvement pour les droits civiques». Et il s'engouffre dans la brèche sur tout un tas de sujets. Le Covid, évidemment, où le mouvement a pris son origine, parmi les coronasceptiques et les anti-vaccins. Sur son site, Mass-Voll pointe lourdement du doigt l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et son projet d'accord international sur le traitement des pandémies. A l'occasion de l'annonce de la démission d'Alain Berset, voici ce qu'on peut y lire:
En mars dernier, l'association a aussi organisé une «manifestation pour la paix» devant le Palais fédéral, dans le but d'arrêter la guerre en Ukraine. On pouvait, toutefois, y apercevoir des pancartes où était écrit «amitié avec la Russie» ou encore «Otan = guerre», alors que sur scène, les intervenants critiquaient avec virulence la couverture médiatique suisse de la guerre en Ukraine. Dans ses communiqués, Mass-Voll a plaidé pour la levée des sanctions contre la Russie et l'application d'une neutralité stricte.
Et à la tête de Mass-Voll: Nicolas Rimoldi. Cet ancien vice-président des Jeunes libéraux-radicaux lucernois s'est mué, durant la pandémie, en chef de file d'un mouvement qui refuse «les discriminations décidées par l'Etat». Comprendre, durant le Covid: la société «à deux vitesses» créée par l'application du pass sanitaire et depuis, en anticipation de toutes les autres.
Il faut dire que le Lucernois n'a pas le profil type de sonneurs de cloche de l'Emmenthal bernois. Initialement encarté au PLR, avec sa longue crinière sombre et fringué comme un dandy, on l'imaginerait plus volontiers au comité d'Opération Libero – ce mouvement libéral engagé en faveur d'une Suisse progressiste – que dans des manifestations populistes contre le gouvernement.
Il a d'ailleurs été condamné par la justice pour avoir organisé illégalement des manifestations contre les mesures sanitaires durant la pandémie. Depuis, il multiplie coups d'éclat et provocations de toutes sortes.
Mais entre provocations et liens réels avec des mouvements extrémistes, il n'y a qu'un pas. Celui-ci a été franchi, samedi dernier à Vienne: le leader de Mass-Voll a ouvertement marché et milité en faveur de la «remigration», ce concept qui veut voir les immigrés ou les citoyens d'origine extra-européenne être renvoyés dans leur pays d'origine. Diverses mouvances issues de l'extrême-droite ont participé à la manifestation qui comptait, selon les chiffres, entre 200 et 500 personnes. Parmi eux notamment, quelques membres de la Junge Tat, un groupe néonazi suisse.
Le jeune Lucernois ne cache pas du tout sa participation à la manif, aux couleurs jaunes appuyées et sans présence de drapeaux ou symboles liés au néo-nazisme. Il poste d'ailleurs plusieurs posts sur Twitter et Instagram, où il écrit notamment: «Défendre les droits fondamentaux: remigration!», avant de dérouler ses idées:
Il a également posé sur Twitter avec Martin Sellner, figure de l'extrême droite autrichienne et ancien membre de Pegida, mouvement des «Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident».
🇨🇭🇦🇹 Grüsse aus Wien! ✊🏻💜 pic.twitter.com/VJoljuIneD
— Nicolas A. Rimoldi 💜 (@narimoldi) July 29, 2023
Une présence d'autant plus incohérente (ou hypocrite, à vous de voir) que l'argumentaire de Mass-Voll pour lutter contre ce qu'elle juge être une présence excessive de l'Etat dans la vie de ses citoyens est la «non-discrimination». Sur leur site, on peut ainsi lire:
On peut aussi y lire, et mettre cela en rapport avec la présence de Rimoldi dans la manifestation:
Un autre «incident» a eu lieu sur le chemin du retour: Nicolas Rimoldi et un groupe d'amis, en route vers la Suisse, ont fait un arrêt, partagé sur Instagram, dans une petite bourgade de 15 000 habitants située à la frontière entre l'Autriche et l'Allemagne. Et le lieu est loin d'être anodin: Braunau am-Inn.
Le nom vous dit quelque chose? Il s'agit de la ville natale d'Adolf Hitler, parfois utilisée par les néo-nazis comme lieu de pèlerinage. Nicolas Rimoldi s'en défend:
La ville est en effet située à mi-chemin en voiture entre Vienne et Zurich, à la frontière entre l'Autriche et l'Allemagne. Le virage extrémiste de Mass-Voll est-il définitivement lancé? S'agit-il d'un coup d'un appel du pied aux néonazis, de complète naïveté ou de pure provoc? A la suite de cela, et alors que les captures d'écran de sa story Instagram circulaient dans les médias alémaniques, Nicolas Rimoldi s'est amusé à partager plusieurs autres références à la ville autrichienne.
L'espacade viennoise de Rimoldi va-t-elle plomber les alliances de listes ou sa lancée vers le Conseil national? Cela n'a en tout cas, semble-t-il, pas posé de problèmes à la section soleuroise de l'UDC dans son apparentement à Mass-Voll. Affaire à suivre.