La Suisse s'est préparée à ce moment pendant plusieurs années. Le temps est enfin venu: une cérémonie des drapeaux... ce 3 janvier, devant le quartier général de l'ONU à New York, est officiellement marquée par l'entrée de la Suisse au Conseil de sécurité, en tant que membre non permanent pour les années 2023 et 2024. Elle fera ainsi partie de l'organe politique le plus puissant du monde.
Un peu plus de 20 ans après son adhésion tardive à l'ONU, il s'agit d'une étape importante pour la politique étrangère suisse. La candidature au Conseil de sécurité avait été lancée par Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères de 2003 à 2011. Le Conseil fédéral et le Parlement ont ensuite confirmé cette candidature de nombreuses fois, malgré la forte résistance de l'UDC. Pour celle-ci, l'adhésion au Conseil de sécurité est une violation flagrante de la neutralité suisse.
Une tentative de l'UDC de stopper la candidature à la dernière minute a été rejetée par le Parlement au printemps. En juin, l'Assemblée générale de l'ONU a donc élu la Suisse au Conseil de sécurité. Ce résultat n'était pas très étonnant, puisque seules la Suisse et Malte étaient candidates pour les deux sièges revenant au groupe d'Etats occidentaux.
Les critiques n'ont toutefois pas émané uniquement des fondamentalistes de la neutralité. Même Jenö Staehelin, premier ambassadeur de la Suisse à l'ONU à New York à partir de 2002 et défenseur convaincu de l'organisation mondiale, a qualifié la candidature de «risquée» dans une interview accordée à la NZZ il y a deux ans. La Suisse sera selon lui inévitablement mise sous pression par les grandes puissances.
Ce risque ne s'est pas amoindri, car la Suisse prend place au Conseil à un moment de tensions géopolitiques qui n'ont pas été aussi fortes depuis longtemps. La guerre en Ukraine est devenue une énorme épreuve pour le Conseil de sécurité. En tant que membre permanent, la Russie a opposé son veto à toutes les résolutions condamnant la guerre.
En tant que membre, la Suisse devra se positionner face à diverses problématiques. En principe, elle peut s'abstenir, mais cela pourrait être interprété négativement comme une tentative de se soustraire à ses responsabilités. La pression des puissances occidentales disposant d'un droit de veto, à savoir les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, pour qu'elle se positionne clairement de leur côté dans la guerre en Ukraine, sera sûrement non-négligeable.
Les critiques à l'encontre de l'adhésion de la Suisse ne sont donc pas dénuées de fondement. Pourtant, au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), on souligne en premier lieu les opportunités. Ainsi, la Suisse, qui a si longtemps hésité à adhérer, s'est forgé une excellente réputation au sein de l'ONU. Malgré, ou justement grâce à sa neutralité, elle est appréciée en tant que médiatrice.
Le Conseil de sécurité ne se laisse pas paralyser par la guerre en Ukraine. Au contraire: des réunions ont lieu presque quotidiennement et des résolutions continuent d'être adoptées. Ces derniers temps, il y a eu des «progrès remarquables sur des dossiers bloqués», a déclaré l'actuelle ambassadrice de l'ONU Pascale Baeriswyl lors d'un point de presse avant Noël.
Cela concerne par exemple l'Afghanistan ou le Myanmar, a déclaré Baeriswyl, qui correspondait en direct de New York par vidéo. Depuis octobre, elle peut participer aux réunions en tant qu'observatrice pour se familiariser avec les mécanismes du Conseil. Elle a parfois même pu prendre part à des discussions. En novembre, elle s'est en outre exercée à la prise de décision avec la centrale du DFAE à Berne.
Ce «camp d'entraînement» était nécessaire, car en cas de crise, il faut parfois aller vite. C'est un défi pour le monde politique bernois, réputé pour sa lenteur.
Au cours des deux prochaines années, il y a un risque qu'il «saute» à nouveau. Outre la guerre persistante en Ukraine, des escalades dans d'autres foyers de crise menacent, comme une attaque chinoise sur Taïwan. La Suisse serait alors mise au défi.
Toutefois, il est rare que quelque chose se produise du jour au lendemain.
Par exemple, une réunion sur la menace de guerre en Ukraine avait déjà eu lieu fin janvier, environ un mois avant l'invasion russe. Pour la réaction de la Suisse, le Conseil fédéral disposera donc d'un délai correspondant.
C'est sans doute là que réside la plus grande chance de l'adhésion de la Suisse: elle peut contribuer à combler les déficits stratégiques de la Berne fédérale. En effet, la Suisse a trop souvent paru totalement prise au dépourvu lors de l'éclatement d'une crise, malgré les signaux d'alarme. Le Conseil fédéral a par exemple été pris de court par la guerre en Ukraine et la violente réaction de l'Occident.
Si la Suisse avait déjà fait partie du «thermomètre de la situation mondiale», elle aurait probablement remarqué que les Etats occidentaux prévoyaient des sanctions massives contre la Russie. Et que la Confédération ne pouvait pas se «cacher» derrière la neutralité, comme elle a tenté de le faire au début avec une conférence de presse aussi mémorable qu'embarrassante.
Dans le meilleur des cas, la Suisse en profitera au-delà des deux ans d'adhésion. Cela ne change rien au fait qu'elle devra s'attendre à devoir prendre des décisions délicates au sein du Conseil de sécurité. Ainsi, elle assumera également la présidence de l'un des 15 comités de sanctions. Pour 2023, il s'agira très probablement de celui concernant la Corée du Nord, a-t-on appris lors de la conférence de presse à Berne.
Cela promet d'être explosif au sens propre du terme, car le régime de Pyongyang enfreint ces derniers temps de plus en plus ouvertement l'interdiction d'essais de missiles de toutes sortes décrétée par le Conseil de sécurité dans plusieurs résolutions. En outre, selon la NZZ, ce sont surtout des entreprises chinoises qui sont soupçonnées d'aider la Corée du Nord à contourner les sanctions.
En outre, la Suisse présidera à deux reprises le Conseil de sécurité, en mai 2023 et en octobre 2024. Elle sera alors encore plus exposée. Pour les puristes de la neutralité, c'est une horreur. Mais malgré les risques et les attaques possibles de la part des grandes puissances, le siège au Conseil de sécurité est pour la Suisse une chance qu'elle doit saisir.