L'Occident fait pression, l'Ukraine espère, mais la Suisse s'obstine. C'est ce qui s'est passé dernièrement dans la controverse sur la réexportation d'armes et de munitions suisses par des pays tiers vers le pays envahi par la Russie. Le Conseil fédéral a rejeté les demandes du Danemark, de l'Allemagne et de l'Espagne.
Le gouvernement helvétique se réfère à la convention de La Haye de 1907, qui exige des pays neutres un traitement égal de tous les belligérants. Ainsi, la Suisse devrait également approuver les demandes de réexportation vers la Russie, si elle fournissait des armes à l'Ukraine. Le Conseil fédéral souligne en outre que la loi sur le matériel de guerre, récemment révisée, ne lui laisse aucune marge de manœuvre.
Les tentatives d'assouplissement au Parlement ont échoué lors de la session de printemps en raison des querelles des partis. Le président de la Confédération Alain Berset a dénoncé dans des interviews une «ivresse de la guerre». Et ce, non pas chez l'agresseur russe, mais dans les cercles occidentaux et suisses qui veulent aider l'Ukraine à se défendre.
La ministre de la Défense Viola Amherd est l'une des victimes de ce blocage. Elle ressent directement la pression de l'étranger et s'est exprimée à plusieurs reprises d'une manière que l'on peut presque qualifier d'appel à l'aide. Ainsi, la semaine dernière, après sa visite à l'OTAN à Bruxelles, la conseillère fédérale a déclaré que l'interdiction de réexportation était «un sujet important».
Viola Amherd a été la première conseillère fédérale à participer à une réunion du Conseil de l'Atlantique Nord, l'organe de décision le plus important de l'OTAN. L'automne dernier, le Conseil fédéral avait décidé de renforcer la collaboration avec l'alliance de défense. Les exercices communs sont au centre de cette démarche, comme l'a expliqué le chef de l'armée Thomas Süssli.
L'OTAN est en principe ouverte à cette idée, mais plusieurs Etats membres ont émis des réserves «parce que la Suisse ne leur a pas permis de transmettre des munitions à l'Ukraine», a déclaré le secrétaire général Jens Stoltenberg dans une interview aux journaux du groupe Tamedia. Auparavant, Scott Miller, l'ambassadeur des Etats-Unis à Berne, avait déjà critiqué la Suisse de manière peu diplomatique dans la Neue Zürcher Zeitung (NZZ).
Une chose est claire: tant que la guerre en Ukraine se poursuit, la Suisse peut s'attendre à ce que la pression de l'étranger continue. Et de fait, une nouvelle dynamique s'est instaurée ces derniers jours. Mardi, la Commission de la politique de sécurité (CPS) du Conseil national a proposé de mettre hors service 25 chars Leopard de l'armée suisse.
La CPS veut permettre la revente au fabricant allemand Rheinmetall. Et ainsi remplacer indirectement les Leopards livrés par l'Allemagne à l'Ukraine. Les 18 premiers exemplaires de blindés sont arrivés en Ukraine lundi. L'initiative de la commission devrait toutefois se heurter à la résistance du Parlement.
Une remise de chars «excédentaires» à l'Allemagne ne violerait guère le droit de la neutralité. De toute façon, l'interprétation orthodoxe de la neutralité par le Conseil fédéral est remise en question par des experts. Parmi les critiques, on trouve le professeur de droit émérite bernois Thomas Cottier ainsi que les historiens Sascha Zala et Marco Jorio.
Pour eux, l'accord de La Haye de 1907 est tout simplement obsolète. Il a été dicté par les grandes puissances de l'époque, qui exigeaient un traitement égal de la part des Etats neutres. Mais avec les deux guerres mondiales, le droit international a évolué. Depuis lors, les guerres d'agression sont proscrites, notamment dans la Charte des Nations Unies.
«Avec la charte de l'ONU, un nouveau droit international est né, qui fait la distinction entre l'agresseur et la victime, entre les belligérants injustes et justes», a déclaré Marco Jorio dans une interview au Tages-Anzeiger. Les Etats neutres doivent également s'y conformer, estime l'historien qui a écrit un livre sur la Suisse et sa neutralité.
En d'autres termes, il y a une différence entre une guerre d'agression contraire au droit international et la légitime défense. Le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg souligne également cet aspect:
Même les partisans d'une interprétation restrictive de la neutralité ne le contestent pas. Mais ils soulignent que pour établir qu'il y a guerre d'agression, il faut une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Et dans le cas de l'Ukraine, ce dernier est paralysé par le veto russe. Mais sur ce point aussi, les choses commencent à bouger.
Les partisans de la livraison d'armes font référence à la procédure «Uniting for Peace». Celle-ci entre en jeu lorsque l'Assemblée générale de l'ONU condamne une attaque. Depuis le début de la guerre en Ukraine, cela s'est produit deux fois à une nette majorité. En mai, la commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats souhaite organiser des auditions sur le sujet.
On peut s'attendre à ce que l'exportation d'armes revienne devant le Parlement lors de la session d'été en juin. Il est peu probable qu'une décision soit prise rapidement, mais les derniers développements montrent que le dernier mot n'a pas encore été dit sur ce sujet.