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Six mois de guerre en Ukraine et la Suisse cherche sa place

Bundesratin Viola Amherd, Bundeskanzler Walter Thurnherr, Alain Berset, Simonetta Sommaruga, Guy Parmelin, Bundespraesident Ignazio Cassis, Ueli Maurer und Karin Keller-Sutter, von von links nach rech ...
Le Conseil fédéral sur le rocher des chutes du Rhin pendant «sa course d'école» 2022.image: keystone
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Six mois de guerre en Ukraine... et la Suisse cherche encore sa place

L'attaque russe contre l'Ukraine a fait voler en éclats l'illusion d'un ordre mondial pacifique basé sur des règles. Beaucoup, y compris la Suisse, ont du mal à accepter ce changement d'époque.
24.08.2022, 18:5225.08.2022, 07:48
Peter Blunschi
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Jusqu'au bout, beaucoup n'ont pas voulu l'admettre. Mais la catastrophe était là depuis longtemps. L'automne dernier, la Russie avait déjà commencé à déployer des troupes à la frontière avec l'Ukraine. De vives critiques avaient prévenu que Vladimir Poutine s'apprêtait plus que jamais à envahir le pays voisin. Mais en Europe, tout le monde ou presque a fait la sourde oreille.

Pourtant, en été 2021, le chef du Kremlin avait écrit, dans un essai, que l'Ukraine n'était pas une nation à part entière, mais une sorte de province sécessionniste qu'il fallait ramener «chez lui», dans l'empire russe. Il avait déjà tenu des propos méprisants à l'égard du pays voisin, mais l'Occident ne les avait pas pris au sérieux, même après l'annexion de la Crimée en 2014.

Ce n'est que lorsque la menace est devenue de plus en plus concrète que des tentatives frénétiques ont été mises en place pour éviter une guerre. Mais Poutine avait pris sa décision: le matin du 24 février 2022, il y a exactement six mois, l'Europe a connu un réveil brutal, au sens propre du terme. Les troupes russes avaient envahi l'Ukraine.

La maladresse du génie

Le «génie stratégique» de Poutine s'est confronté à sa maladresse. Il a surestimé la force de son armée et sous-estimé la volonté des Ukrainiens de défendre leur liberté et leur indépendance. Il n'a pas non assez considéré la détermination de l'Occident à soutenir le peuple ukrainien, notamment à travers des sanctions à son encontre.

Le retour de la guerre en Europe a brisé l'illusion de 30 ans d'un ordre mondial pacifique et fondé sur des règles. L'espoir, surtout des Allemands, de pouvoir intégrer la Russie avec le «changement par le commerce» a éclaté en mille morceaux.

Un nouvel ordre mondial difficile

Il devient de plus en plus clair que le monde se dirige vers une nouvelle guerre froide. D'un côté l'Occident démocratique, de l'autre un bloc autoritaire autour de la Chine et de la Russie, dont les dirigeants cultivent des sentiments de revanche. Beaucoup sont aux prises avec ce nouvel «ordre mondial», y compris – et surtout – en Suisse.

Demonstranten ziehen vor dem Sitz der Nord Stream vorbei, anlaesslich dem sogenannten Putin-Rohstoffrundgang durch die Stadt Zug mit Besuchen bei russischen Rohstofffirmen wie Nord Stream, Metal Trade ...
Manifestation contre la guerre le 3 mars devant le siège de Nord Stream AG à Zoug.image: keystone

Notre pays avait acquis une position plutôt confortable dans le monde post-guerre froide. La Suisse a attiré les entreprises russes de matières premières comme Gunvor ou Nord Stream AG en leur proposant des impôts peu élevés, et a même conclu en 2013 un accord de libre-échange avec la Chine que la moitié du monde nous enviait, sous les acclamations des citoyens et des entreprises.

Le visage agressif de la Chine

Puis l'euphorie s'est dissipée. Pékin ne veut même pas parler de la mise à jour de l'accord de libre-échange souhaitée par les milieux économiques, car la Suisse aurait eu «le culot» de critiquer les violations des droits de l'homme. C'est là que se révèle le «nouveau» visage agressif de la Chine de Xi Jinping.

A Berne, personne non plus n'a vu venir l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Exactement trois mois auparavant, le rapport du Conseil fédéral en date du 24 novembre 2021 sur la politique de sécurité annonçait une situation compliquée. Les lignes de fracture entre l'Europe et la Russie se sont encore renforcées, pouvait-on y lire:

«Ce qui aura des conséquences directes pour les Etats voisins occidentaux de la Russie, mais pourrait également impacter les intérêts suisses.»

Un Conseil fédéral incompris

Mais, il n'a jamais été question d'une menace d'invasion. Le Département de la défense (DDPS) ne pouvait manifestement pas s'imaginer une telle éventualité. Le gouvernement a donc réagi sans réfléchir, surtout face à la force des sanctions occidentales. Il a d'abord tenté de s'y soustraire, comme à son habitude, sans toutefois définir une ligne claire.

Ce n'est qu'après des critiques massives et une forte pression de politique intérieure et extérieure que la situation s'est inversée. Le Conseil fédéral a repris les sanctions de l'Union européenne, y compris celles contre des personnes et des entreprises russes en Suisse. «Même la Suisse!», s'était étonné le président américain Joe Biden, ce qui en disait long sur l'image du pays et son historique neutralité à Washington.

Manque de solidarité sur le gaz

Cette réaction tardive, mais d'autant plus précipitée, est typique d'un pays qui aime se replier sur lui-même et s'étonne régulièrement lorsqu'une tempête venue de l'étranger le submerge. Un autre exemple qui va dans ce sens est la crise énergétique qui menace en hiver. Elle met à nu notre dépendance vis-à-vis de l'Europe.

Cela s'applique particulièrement au gaz naturel. Comme nous ne disposons pas de nos propres installations de stockage, nous dépendons en tout temps du gaz entrant dans le pays. Cependant, lorsque l'Union européenne (UE) a fixé un objectif d'économies de 15% fin juillet, la Suisse a d'abord agi comme si cela ne la regardait pas. Le problème est que nous ne pouvons exiger la solidarité sans nous montrer nous-mêmes solidaires.

Quel avenir pour la neutralité?

Lors de la séance de mercredi, le Conseil fédéral se décidera, espérons-le, à suivre l'objectif de l'UE et à présenter ses propres mesures d'économie. Il reste à noter que Berne doit se pencher sur les déficits stratégiques mis en évidence par la crise. Cela concerne également la relation de la Suisse avec la «vache sacrée» que représente sa neutralité.

Le président de la Confédération et ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis (PLR), qui a fait preuve de peu de leadership et a semblé se disperser sur des sujets secondaires (quelqu'un se souvient-il encore de la très médiatisée conférence de Lugano?), veut réagir à ce changement d'époque avec le concept dit de «neutralité coopérative». Un rapport à ce sujet devrait être publié prochainement.

Hors du temps

Pour les partisans d'une conception dogmatique de la neutralité, réunis autour du doyen de l'UDC, Christoph Blocher, cela va beaucoup trop loin. Ils veulent ancrer leur conception d'une neutralité rigoureuse dans la Constitution par le biais d'une initiative populaire. Sauf qu'il n'y a pas lieu d'en avoir peur. L'initiative populaire semble tout aussi hors du temps que Blocher lui-même, âgé de bientôt 82 ans.

Le président du Centre Gerhard Pfister l'a bien compris. «Notre politique étrangère pragmatique et en partie opportuniste ne fonctionne plus», a déclaré le conseiller national zougois dans une interview accordée aux journaux de Tamedia. Selon lui, l'évolution géopolitique actuelle «se résume à une lutte entre les Etats démocratiques et les Etats autocratiques».

Des relations perturbées avec l'UE

La Suisse est «contrainte de prendre position sur des questions que nous préférions jusqu'à présent garder diffuses. Cela ne fonctionne plus», conclut Pfister. Il a averti que le pays devait «se préparer à une perte de prospérité». En d'autres termes, nous ne pouvons plus nous cacher dans notre niche et faire du commerce avec des régimes jugés «peu recommandables».

Jusqu'ici, de tels propos étaient audibles. Mais les choses se compliquent depuis que Gerhard Pfister a déclaré que la Suisse devait «clarifier sa relation avec l'UE». Il y a un an, le Conseil fédéral avait déclaré de manière unilatérale la fin des négociations sur l'accord-cadre institutionnel, faute de soutien à l'intérieur du pays. Le président du parti du centre faisait également partie des opposants.

Report jusqu'en 2023

Ce dernier rejette maintenant la faute sur les conseillers fédéraux PLR qui ont «imprudemment» rompu le consensus de politique intérieure des partenaires sociaux en 2017. Pfister n'a pas tout à fait tort, mais c'est surtout la manière dont la Suisse a mis en jeu la relation avec son principal partenaire politique et économique qui a été imprudente.

Aucune amélioration n'est à l'ordre du jour et des prochains. Le Conseil fédéral peine à renouer ses relations. A Berne, on spécule, non sans raison, sur une volonté d'enfermer le sujet «tabou» dans une armoire jusqu'aux élections de 2023. Ce qui ne sera probablement pas apprécié à Bruxelles.

Où se placer?

La Suisse a du mal à trouver sa place dans le monde post-guerre en Ukraine. C'est compréhensible, nous avons (trop) longtemps réussi à nous en sortir en faisant preuve de roublardise helvétique. Les limites de cette «stratégie» nous avaient déjà été montrées avant la guerre d'Ukraine, par exemple en ce qui concerne le secret bancaire.

Nous devons désormais définir une bonne fois pour toutes notre place. La réponse est évidente, mais elle donnera encore lieu à quelques batailles de tranchées en politique intérieure.

(Traduit et adapté de l'allemand par mndl)

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