«Vous vous casserez encore les dents sur ce secret bancaire», déclarait le ministre des Finances Hans-Rudolf Merz, en mars 2008. Mais un an plus tard, UBS livrait aux Etats-Unis des dossiers de clients américains, et cinq ans plus tard, le Conseil fédéral s'engageait à introduire l'échange automatique d'informations, c'est-à-dire à livrer des données sur les comptes aux pays partenaires.
Depuis, la Suisse a partagé des informations avec plus de 100 états, de l'Albanie à Chypre en passant par la Malaisie. Elle ne se contente pas de fournir des données, mais reçoit également des informations en retour – l'an dernier, sur 2,9 millions de comptes. Grâce à cela, les autorités cantonales peuvent vérifier la conformité des déclarations de leurs contribuables. Ou si de l'argent sale traîne quelque part.
Combien d'argent l'échange automatique d'informations (EAI) a-t-il fait entrer dans les caisses depuis son instauration en 2018? Combien d'évasions fiscales ont été décelées?
CH Media (le groupe auquel appartient watson) a posé la question à tous les grands cantons. Tous ne tiennent pas de statistiques, certains font la distinction entre l'impôt cantonal, communal et fédéral direct ainsi que les amendes, d'autres indiquent un montant total non spécifié. Néanmoins, une tendance claire se dégage: l'EAI a permis l'ouverture de plusieurs milliers de procédures en cinq ans et l'encaissement de rappels d'impôts et d'amendes à hauteur de milliers de millions de francs.
L'échange d'informations a donc contribué à démasquer des évadés fiscaux par centaines. Face à ce phénomène, les cantons ne sont pas égaux du tout. Genève est clairement plus impacté, suivi de Bâle-Ville.
Pour ce dernier, les procédures ont généré des recettes supplémentaires d'environ 17,7 millions, selon un porte-parole. L'effet global est toutefois encore plus important, car les fortunes révélées et les revenus qui en découlent sont également imposés les années suivantes.
Zurich, en revanche, n'annonce que 4,6 millions de francs. C'est moins que Saint-Gall par exemple. Les chiffres des cantons ne sont pas toujours comparables entre eux, explique un porte-parole de la direction des finances zurichoise.
En effet, les cantons traitent différemment les dénonciations spontanées non punissables dans le cadre de l'EAI. Ces dénonciations posent la question suivante: puis-je faire une dénonciation spontanée pour mon compte non déclaré, même si les autorités possèdent déjà de l'information par le biais de l'EAI, (mais ne l'ont peut-être pas encore exploitée)?
Dans certains cantons, ce n'est pas possible. Une procédure de rappel d'impôt et d'amende est alors directement déclenchée. A Zurich en revanche, c'est le cas, de sorte que la somme est alors comptabilisée dans les dénonciations spontanées – voilà pourquoi le canton affiche des sommes moindres.
Philipp Zünd est conseiller fiscal chez KPMG. Pour lui, l'explication est ailleurs: certains cantons seraient plus attentifs que d'autres. Tous n'ont par ailleurs pas les mêmes ressources pour évaluer les déclarations.
Selon Philipp Zünd, l'expérience montre que ce sont surtout les petits cas qui sont découverts grâce à l'EAI. C'est ce que suggèrent les chiffres: dans le canton de Berne, par exemple, 314 procédures exécutoires ont permis de récolter 6,9 millions de francs, soit environ 22 000 francs par cas. Il explique:
Il explique encore que, souvent, de petits montants échappent au contrôle fiscal de manière non intentionnelle. Zünd cite l'exemple d'immigrés qui ont conclu une assurance-vie en Allemagne. «En Allemagne, il n'est pas nécessaire de la déclarer, mais en Suisse, oui. On l'oublie parfois.»
Les recettes générées par les déclarations EAI ne sont que la partie émergée de l'iceberg. L'effet indirect a été bien plus fort. Après l'annonce de l'introduction de ce système, de nombreuses personnes ont révélé elles-mêmes leur argent sale. Depuis 2010, les fraudeurs fiscaux peuvent se dénoncer une fois dans leur vie sans sanction. En 2019, les autorités ont dû traiter 29 541 dossiers du genre, un record.
«Les gens ont davantage saisi l'opportunité d'une dénonciation spontanée non punissable en prévision de l'entrée en vigueur des nouvelles mesures», explique le directeur des finances zougois Heinz Tännler. De plus et au vu du contexte, de nombreuses personnes auraient reconsidéré leur situation fiscale. Depuis, le nombre de dénonciations spontanées a de nouveau baissé. Heinz Tännler se l'explique ainsi:
L'ampleur de cet effet préventif se mesure bien dans les cantons les plus peuplés. A Berne, les dénonciations spontanées ont entraîné un surplus de recettes de 20,3 millions en 2017, année record pour les impôts cantonaux et communaux. C'est nettement plus que le montant encaissé grâce aux déclarations de l'EAI. Le bilan du canton de Zurich est encore plus impressionnant: rien que pour l'année record 2018, il a enregistré 122 millions de francs de recettes liées aux dénonciations spontanées.
En comparaison, les effets directs de l'introduction d'un nouveau système sont restés timides. Le canton de Saint-Gall a récemment constaté «que l'afflux de déclarations EAI n'a pas généré les importantes recettes fiscales attendues», car de nombreuses personnes ont favorisé la dénonciation spontanée. Le canton de Vaud concluait, lui, l'an dernier, que l'EAI exigeait un énorme travail pour peu de recettes.
Qu'en pense Philippe Zünd? «L'introduction de l'EAI a été très profitable pour la Suisse», évalue-t-il. Certes, les déclarations n'ont pas permis de collecter un montant énorme, mais cela a eu un effet psychologique considérable:
C'est pourquoi le nombre de dénonciations spontanées a grimpé en flèche depuis 2018, y compris concernant des comptes suisses pour lesquels le secret bancaire s'applique toujours. Zünd se souvient du cas d'un compte relativement petit à l'étranger découvert à cause de l'échange informatique. «Le client a ensuite tout révélé – et le total était bien plus conséquent.»
(Adaptation française: Valentine Zenker)