Séisme dans le Vieux-Pays. Pour le nouveau président de l'UDC du Valais romand élu le 9 octobre, l'Ayentôt Donald Moos, «une sorte de convergence malsaine d’intérêts particuliers dirige la société». Une citation tirée de son entretien avec Le Nouvelliste paru ce 29 octobre, qu'il assume. Tout comme ses sorties sur le Covid-19 «qui a été élaboré en laboratoire». Selon lui, «on a la preuve» de la création de cette «arme biologique». Ou encore «le contrôle de la population à travers le pass sanitaire et le traçage systématique [qui] font partie de l’agenda mondialiste».
Et n'allez pas lui parler de complotisme: pour lui, «les complotistes sont ceux qui organisent le complot, pas ceux qui identifient les problèmes». Oubliant, sciemment ou pas, qu'il parle là des «comploteurs» (les «complotistes» étant ceux qui croient, sans justification suffisante, à l'existence de ces complots. Mais passons...).
Ces déclarations, qui font déjà beaucoup parler, font furieusement penser à celles de Claude Pottier, alors chef de service cantonal de l'orientation professionnelle, qui avaient défrayé la chronique en juillet dernier. Parmi ses propos remarqués:
Alors, pour tout observateur, le bon mot est vite trouvé: les Valaisans ont-ils un problème avec la vérité? L'habitant type de cette terre prend-il la liberté d'expression pour la liberté de dire n'importe quoi, sans source fiable, et de penser qu'il a autant raison que les autres, voire raison tout seul, contre tous? Bref, le Vieux-Pays est-il propice au complotisme et à la culture, non pas du mensonge, mais de la foutaise, du «blabla» dont on se fiche de vérifier le bien-fondé?
Il y a quelque chose de vrai dans ce préjugé. Le sang valaisan crée volontiers des esprits critiques. Parole de Valaisan. (Ça y est, je suis immunisé.) Mais il n'est pas interdit de s'interroger sur les manifestations de ce caractère. Toute action ou pensée est critiquable et toute qualité a son revers négatif. La liberté de penser à la valaisanne n'y échappe pas. (Ça y est, cette fois-ci, j'ai lâché les chiens.)
La liberté à la valaisanne, c'est quoi? Une certaine idée d'indépendance. Une attitude qui parfois part de contours purement géographiques: du «passeport valaisan» au «y en a point comme nous» en passant par les fréquentes critiques envers la Confédération. Cet indépendantisme colle aux basques des Valaisans parce qu'eux-mêmes l'entretiennent en permanence. Mais passée la posture, l'indépendance comme état d'esprit prend une allure plus profonde et intéressante, s'incarnant dans des valeurs comme la compétence, le mérite ou encore, last but not least, la responsabilité individuelle.
Et justement, c'est là qu'on revient à notre sujet: comme l'indique le titre de l'éditorial du jour du Nouvelliste, la «liberté» d'expression implique une «responsabilité». L'étymologie de ce second mot dit tout: on est censé pouvoir répondre de ce que l'on dit. Il n'est pas question ici du niveau juridique (à moins que l'on n'enfreigne la loi), mais du simple plan de la discussion, du débat.
En l'occurrence, il s'agit d'un débat citoyen, puisque touchant à la société, aux affaires de la cité. Bref, à la politique. Et le nouveau président de l’UDCVr, par définition, a une responsabilité politique, une parole publique qui compte. En tant que représentant d'une famille de pensée, il dit quelque chose de son parti par ses prises de position dans un journal, fussent-elles personnelles...
Or, en déclarant, sur le mode affirmatif, que le SARS-CoV-2 a été créé en laboratoire ou qu'un groupe d'intérêts malsains dirige le monde, nul sérieux ne peut être accordé à ses opinions. Et ce, même si certaines des questions qu'il soulève sont pertinentes: intérêts des pharmas, origine du virus, manque de curiosité de la presse...
Alors bien sûr, il y a un parfum d'Oskar Freysinger dans ce genre d'interviews. Grosso modo: «Si on parle de moi, en positif comme en négatif, c'est bien». L'ancienne figure de l’UDCVr, qui fait partie de l'actuel comité exécutif, a d'ailleurs soutenu le nouveau président de son parti:
Idem pour le cas Claude Pottier: l'homme avait reconnu vouloir «provoquer un débat sur cette sorte de pensée unique qui se développe à la faveur de la crise». Quitte à provoquer tout court. Il y a donc un aspect «opération de communication» dans ces démarches, qui ne sont pas sans rappeler, dans d'autres registres, les saillies d'un Christian Constantin, d'un Bernard Rappaz ou d'un Jean-Luc Addor. La première intervention médiatique du leader des UDC valaisans attirera sûrement quelques antisystèmes au sein du parti. Tout en faisant partir d'autres, plus centristes, dans la ligne agrarienne...
Mais attention: il se pourrait bien que derrière cette utilisation plus ou moins dévoyée de la liberté d'expression se cache aussi une facette sombre de la mentalité valaisanne. Rappelons par exemple que l'UDCVr, avec le soutien des démocrates-chrétiens, demandait encore en 2015 à ce que les députés francs-maçons du Grand Conseil s'annoncent publiquement. Le soupçon de double allégeance, vieille marotte obscurantiste, n'est pas mort dans les milieux conservateurs, pour qui l'indépendance passe par la traque à la modernité, au progrès, à la science, à l'élite, à l'esprit d'entreprise. A l'interdépendance. Triste tradition.
Il y a une liberté propre au Valais, oui, et elle est noble. Mais qu'elle se mette au service du meilleur. La liberté d'expression, quand elle n'a pas pour objectif la délibération éclairée et donc la recherche de la vérité, est au service du pire. En pleine crise, dont on peut discuter de la nature comme de l'importance, mieux vaut retrouver des boussoles communes et nous tirer vers le haut. Que cette mini-polémique régionale serve au moins à ça.