Plus d'une semaine s'est écoulée depuis l'accident du groupe de skieurs de randonnée à Tête Blanche, à 3500 mètres d'altitude, entre Zermatt et Arolla, et la stupeur est toujours aussi grande:
Pourquoi, malgré les signes avant-coureurs, n'étaient-ils pas suffisamment équipés? Et pourquoi n'ont-ils pas fait demi-tour avant que la tempête ne s'abatte définitivement sur eux? Etait-ce un mauvais calcul? De l'insouciance? La pression du groupe? Nous ne le savons pas et c'est sans doute pour ça que ces questions nous obsèdent.
Ce qui est sûr, c'est que les trois frères, leur oncle, leur cousin du village valaisan de Vex et une amie fribourgeoise voulaient parcourir le premier tronçon de la légendaire Patrouille des Glaciers. Mais ils n'ont jamais atteint leur objectif.
Voici l'opinion générale depuis une semaine: l'alpinisme est dangereux et déraisonnable. A croire certains, il s'agit d'une entreprise irresponsable qui consiste à vouloir lutter contre la puissance de la nature. Et de toute façon, l'alpinisme est souvent une torture, il s'agit d'escalader des parois abruptes, des arêtes exposées, des glaciers crevassés, de traverser des nuits sombres, de la glace, de la neige et du froid.
Même le légendaire alpiniste italien Reinhold Messner a un jour qualifié l'alpinisme d'activité totalement inutile. Une activité qui consiste à s'aventurer délibérément sur un terrain où l'homme n'est pas le bienvenu. Alors pourquoi ne pas prendre une décision radicale?
Nous sommes devenus une société obsédée par le contrôle et encline à gommer le moindre risque. De nombreux Suisses sont surassurés ou assurés plusieurs fois. Les tests génétiques, qui permettent de déterminer le comportement alimentaire et sportif prétendument adéquat pour une vie longue et saine, sont en plein essor. Et si un accident survient quelque part, des voix s'élèvent rapidement pour réclamer des réglementations et des lois plus sévères. La responsabilité est transférée aux conseillers, aux experts, aux autorités.
A écouter certains, même les sports de montagne devraient désormais pouvoir être pratiqués sans risque. Il suffit pour cela de disposer du matériel adéquat: airbags anti-avalanches, outils de planification numériques, autres gadgets techniques, et tout ira bien.
Seulement voilà, en fin de compte, en haute montagne, le risque ne peut pas être délégué, la sécurité ne peut pas s'acheter. Il n'y a pas de chemins balisés que l'on peut suivre aveuglément. Il n'y a pas d'alarme qui sonne lorsque les conditions sont trop délicates. Et il n'y a pas de garantie de sauvetage.
Les personnes vraiment expérimentées en matière de montagne l'acceptent sciemment, car elles sont récompensées du risque qu'elles prennent. Ils n'ont pas besoin qu'on leur dicte quel itinéraire emprunter, comment et quand. Ils peuvent se fier uniquement à leur propre jugement, peut-être même se montrer déraisonnables - et ressentir le sentiment de liberté.
Mais cette liberté implique d'accepter les risques et d'être conscient des conséquences. Pour soi et pour les autres. Car si vous risquez votre vie une fois de trop et que cela tourne mal, les sauveteurs peuvent, eux aussi, se trouver en danger de mort. Et il ne faut pas oublier ceux qui restent à la maison. Ce sont eux qui souffriront le plus.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)