Credit Suisse (CS) a mis la clé sous la porte le dimanche 19 mars 2023. C'est à cette date que la ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, avait annoncé la reprise de la grande banque par UBS.
Un sauvetage d'urgence dont les échos résonnent aujourd'hui encore. Au niveau politique, une querelle fait rage au sujet de règles plus strictes en matière de fonds propres. L'UBS s'y oppose. Sur le front juridique, des centaines de plaintes sont en suspens. Elles concernent par exemple la disparition de seize milliards de francs d'obligation. L'autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) a entièrement radié les emprunts dits AT1, et les investisseurs ont tout perdu.
Il ne s'agissait pas seulement de gros investisseurs professionnels avec un capital-risque, mais aussi de Monsieur et Madame Tout-le-Monde qui avaient placé leurs économies et faisaient confiance à la banque. Trois petits investisseurs ont jusqu'à présent demandé des compensations au Département fédéral des finances. L'un d'eux a retiré sa requête, les deux autres ont entamé une procédure judiciaire.
L'un des deux cas en suspens concerne un couple âgé qui a investi dans un Credit Suisse chancelant et à une mauvaise période: les 10, 13 et 15 mars, il a acheté 38 000 actions pour 84 636 francs. Le 20 mars, un jour après la conférence de presse historique sur la chute du CS, le couple a revendu les titres – avec un déficit de 54 000 francs. Un mois plus tard, il a demandé un dédommagement au Conseil fédéral. Celui-ci a refusé. Il est convaincu d'avoir agi correctement et de manière proportionnée lors de la «fusion d'urgence».
Le couple s'y oppose par une action en responsabilité de l'Etat. L'affaire sera jugée publiquement vendredi au Tribunal fédéral; il s'agit d'une décision de première instance. Alors, comment les principaux intéressés justifient-ils leur plainte? Ils affirment avoir acheté les actions en mars 2023 sur la base des déclarations du gouvernement. Berne assurait alors que Credit Suisse était très bien capitalisé. Ce jugement était faux, soutiennent les plaignants, car l'exécutif était au courant de la situation compliquée de la banque.
La critique du couple vise Ueli Maurer. Le ministre des Finances sortant avait déclaré fin 2022 dans une interview à la NZZ que CS réduisait ses risques, diminuait ses coûts et avait augmenté son capital.
Deux semaines plus tôt, le conseiller fédéral UDC avait déclaré à la SRF que les dernières nouvelles de CS étaient bonnes, qu'il fallait maintenant juste le laisser tranquille pendant un ou deux ans.
Le rapport de la commission d'enquête parlementaire de décembre 2024 montre toutefois que les autorités et les organes en charge des banques sont passés en mode «crise» dès l'automne 2022. Un vent de panique s'est mis à souffler, 100 milliards de francs ont été retirés rien qu'en octobre 2022. Très tôt, les responsables ont élaboré différents scénarios - de l'aide en liquidités à la nationalisation en passant par un assainissement et la vente de Credit Suisse. En février dernier, le couple a présenté des extraits du rapport de la CEP comme nouveaux éléments de preuve.
L'avocat des plaignants pointe du doigt le rejet d'un accord extrajudiciaire par le gouvernement. Le couple se serait contenté d'environ la moitié du montant réclamé en justice. Selon l'avocat, une telle indemnisation n'aurait pas créé de précédent. L'avocat reproche, en outre, au Conseil fédéral d'avoir considéré que la plainte n'était pas suffisamment motivée. Or, le Conseil fédéral n'a pas fourni les documents de délibération relatifs à la décision de CS, qui lui auraient probablement permis de mieux justifier l'action en responsabilité de l'Etat. L'avocat remet aussi en question le recours au droit d'urgence.
En définitive, les plaignants ont-ils une chance d'obtenir gain de cause? Ils devront franchir bon nombre d'obstacles. Il faudrait pouvoir prouver que l'exécutif a gravement manqué à ses devoirs de fonction. La CEP a toutefois attesté que celui-ci - et les autres autorités impliquée - avaient bien travaillé dans la gestion de la crise. Le Financial Times britannique a félicité Karin Keller-Sutter, parvenue selon lui à éviter une crise financière internationale. Il a classé la ministre PLR parmi les 25 femmes les plus influentes du monde en 2023.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)