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Mariage pour tous: débat autour de cinq questions qui fâchent

Face-face mariage pour tous
Damien Clerc, philosophe, et Caroline Dayer, experte en questions de discrimination, ne sont pas d'accord sur le mariage pour tous.
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Mariage pour tous, les 5 questions qui fâchent

Faut-il définir le mariage comme l'union de deux individus, quel que soit leur genre? Damien Clerc, philosophe et professeur, et Caroline Dayer, chercheuse en sciences sociales, notamment sur des questions de genre, croisent le fer.
06.09.2021, 16:5624.09.2021, 14:57
Jonas Follonier
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Bien qu'ayant grandi tous deux en Valais, leurs visions du monde s'opposent. Caroline Dayer est experte en prévention et traitement des violences et des discriminations. Chercheuse, elle s'engage sur divers fronts comme féministe et en faveur des droits des personnes LGBTIQ. Damien Clerc, lui, vient du domaine de la philosophie, qu'il enseigne dans un lycée à Sion. C'est dans cette ville qu'il siège aussi à la Constituante cantonale sous l'étiquette démocrate-chrétienne – un terme important pour le Valaisan, qui voit d'un mauvais œil le nouveau nom de son parti fédéral «Le Centre».

Nos duellistes ont donc un autre point commun: ils ne fuient pas le débat citoyen. Cela tombe bien, l'initiative «Mariage pour tous», sur laquelle nous voterons le 26 septembre prochain, vise une évolution sociétale qui divise nos deux interlocuteurs. Que le débat commence.

1. En Suisse, les couples homosexuels n'ont pas les mêmes droits que les couples mariés, par exemple en ce qui concerne les droits de visite des enfants, les rentes de veuf, etc. Est-il temps de résoudre cette inégalité?

Caroline Dayer: Absolument! Le partenariat enregistré ne garantit pas autant de droits que le mariage, ce qui est discriminatoire. De plus, les personnes partenariées sont forcées de faire leur coming out à chaque fois qu’elles doivent remplir un formulaire qui demande d’indiquer l’état civil. Il est vraiment temps de mettre fin à ces inégalités.
Damien Clerc: Oui. Il faut saluer d’emblée les efforts de ceux qui ont œuvré pour une vraie place aux personnes homosexuelles dans notre société. Le partenariat prévu pour ces couples était pensé à une époque où les lobbys LGBT promettaient de ne jamais demander le droit à l’adoption et où la question des éventuels enfants préoccupaient peu les esprits. Tout ce qui concerne ces droits est intimement lié à la question parentale.

2. Le mariage pour tous redéfinit le mariage civil. Ce ne serait plus l'union d'un homme et d'une femme, mais de deux individus, quel que soit leur sexe. Serait-ce un bouleversement de la société et, si oui, est-il souhaitable?

Caroline Dayer: Un oui dans les urnes le 26 septembre ne changera rien du tout à la vie des personnes qui ne sont pas concernées. En revanche, il supprimera la discrimination des couples homosexuels, qui actuellement ne peuvent pas se marier, et constituera un pas vers l’égalité: les mêmes devoirs et les mêmes droits, ni plus, ni moins.
Damien Clerc: Pendant des décennies, les milieux progressistes ont cherché à minimiser le mariage et à le dévaloriser, et aujourd’hui, ils y attachent une importance capitale. Bien que la tendance au mariage diminue chez les hétérosexuels et reste faible chez les homosexuels, je peux comprendre un attachement à la force symbolique de ce dernier. On peut toutefois se demander si la valorisation des différences doit passer par une homogénéité des formes.

3. Le texte de l'initiative rend possible non seulement le mariage entre deux personnes du même sexe, mais aussi l'accès – pour les femmes – à la procréation médicalement assistée (PMA). N'aurait-il pas mieux valu voter sur deux objets séparés?

Caroline Dayer: Non, car il s’agirait, au sein d’un même régime, d’une discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Si Maya se marie avec Léo, ce couple peut accéder à la PMA. Si, en revanche, Maya se marie avec Léa, ce couple ne pourrait pas accéder à la PMA. Il s’agit donc de faire en sorte que tous les couples mariés aient les mêmes droits concernant la PMA.
Damien Clerc: Oui. Plusieurs questions se posent ici: banalisation du sperme? Arbitraire du lien parental? Peut-on changer une réalité en changeant son nom? Morphologie, métabolisme, caractère ou encore psychologie, en grandissant, un enfant se posera nécessairement la question de son origine physique. Que vivra-t-il en voyant qu’on a choisi arbitrairement de modifier son destin pour satisfaire des besoins d’adultes? Pour une société qui peine à mobiliser les hommes à la maison, dans l’éducation, mais aussi dans le respect des femmes, la banalisation de la paternité n’est-elle pas dangereuse?

4. La PMA est-elle la porte ouverte à la gestation pour autrui (GPA), à savoir les mères porteuses?

Caroline Dayer: Pas du tout car, en Suisse, la GPA est interdite pour tout le monde par la Constitution fédérale. Il faudrait une votation populaire passant par l’approbation des cantons et du peuple pour qu’elle devienne légale. L’objet du mariage pour toutes et tous ne contient pas la GPA.
Damien Clerc: Lors de l’introduction de la PMA, on promettait un cadre strict, dans lequel elle ne serait utilisée que comme ultime recours. Aujourd’hui, on en fait un principe de premier recours. Chaque nouveauté a des conséquences sur les raisonnements futurs. Le don de sperme et la GPA posent un problème fondamental irréductible: la traite humaine, le fait d’utiliser quelqu’un, consentant ou non, pour servir ses propres intérêts. On ne regarde la nature plus que sous l’angle de l’exploitation, de la domination. Lors de l’adoption d’un chiot, on attend qu’il soit assez grand avant de le séparer de sa mère biologique, pourquoi penser que pour l’homme, seul l’arbitraire crée le lien? Ni la substance génétique du sperme, ni la gestation n’aurait-elle d’importance?

5. L'importance des parents pour la construction de l'enfant reste très présente aujourd'hui. La complémentarité entre homme et femme vous parle-t-elle ou est-elle de toute manière présente quand deux personnes s'aiment?

Caroline Dayer: La littérature scientifique souligne que ce qui est déterminant pour le développement et le bien-être de l’enfant n’est pas l’orientation sexuelle d’un parent, mais la qualité des relations et le climat familial (réd: voir par exemple cette sélection, par l'Université de Cornell, de 79 études scientifiques consacrées au bien-être des enfants de parents homosexuels). Les recherches montrent également que les enfants grandissant dans une famille homoparentale ont un plus grand esprit d’ouverture et évoluent dans une configuration où la répartition des activités professionnelles et des tâches éducatives est plus égalitaire.
Damien Clerc: Il n’y a pas de modèle de famille comme il n’y a pas de famille modèle! Toutes les familles sont arc-en-ciel, car aucune n’est définissable. Quels que soient les aléas de la vie, ce qui donne un cadre favorable au développement de l’enfant, c’est l’amour inconditionnel qui l’entoure. Le problème est plutôt lorsque le projet parental est au-dessus de l’enfant. Une chose est d'assumer et compenser la disparition d’un géniteur ou d’un père, une autre est de décider pour l’enfant de cette séparation. Ce n’est donc pas une question d’homosexualité, c’est un problème de société. Celui qui ne sait pas renoncer à son projet ne peut qu’être dans une parentalité possessive. Donner la vie ou «avoir» un enfant? Qui peut inventer des droits qui n’existent pas?
Pour ou contre le mariage civil pour tous?

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