Blocher a un projet pour UBS qui embarrasse l'UDC
Depuis un an et demi, la Suisse se heurte à une question centrale: comment maîtriser son dernier acteur bancaire d’envergure mondiale, éviter qu’il ne cède à nouveau à ses propres ambitions et ne redevienne un risque pour le pays, les contribuables et la prospérité nationale?
Dix-huit ans après la crise financière de 2008, lorsque UBS avait frôlé la catastrophe dans ses activités américaines liées aux prêts hypothécaires, l’ancien conseiller fédéral et figure de proue de l’UDC Christoph Blocher affirme dans la Sonntagszeitung qu'«UBS, en tant que banque universelle suisse, est "Too big to Fail", autrement dit trop grande pour la Suisse».
Un risque pour la stabilité financière de la Suisse
A 85 ans, Christoph Blocher dit tout haut ce que beaucoup de citoyens pensent, et ce que partagent aussi certains responsables d’autorités influentes, sans toutefois le dire publiquement. Selon lui, la question ne se résume ni à multiplier des règles, ni à les renforcer, ni à exiger davantage de fonds propres. UBS représente simplement «un risque trop important pour la Suisse».
Avec un bilan total de 1632 milliards de dollars à la fin septembre, la banque pèse presque le double du produit intérieur brut annuel du pays. Si ses fonds propres, à hauteur de 90 milliards de dollars, ne suffisaient pas à absorber les pertes lors d’une prochaine crise, il deviendrait très probable que la Confédération et la Banque nationale devraient à nouveau intervenir. Il s’agirait alors de protéger la stabilité du système financier. UBS est en effet systémique et, à ce titre, «Too big to Fail».
La solution proposée par Christoph Blocher semble d’une grande simplicité:
Un cimentier comme exemple à suivre
Le politicien cite le cimentier Holcim en exemple. L’été dernier, ses actionnaires ont décidé de séparer les activités nord-américaines et ont reçu pour chaque action Holcim un titre Amrize. L’ancienne Holcim Nordamerika est ainsi devenue une entreprise indépendante basée aux Etats-Unis.
Christoph Blocher sait bien que l’activité bancaire est plus imbriquée et complexe que celle d’un cimentier. Pourtant, souligne-t-il, tout comme les grandes banques suisses ont pu racheter de grandes banques américaines ces 40 dernières années, elles pourraient aujourd’hui les revendre. Une séparation des activités américaines d’UBS resterait, cependant, techniquement complexe et ne serait pas sans désavantages.
Mais le principal obstacle du modèle Holcim vient du fait que le conseil d’administration et les actionnaires voulaient eux-mêmes la séparation et l’ont décidée volontairement, ce qui n’est pour l’instant pas le cas chez UBS. Pour l’heure, leur position reste inchangée:
Un contexte global changé
Si l’on suivait le scénario de Christoph Blocher, UBS serait contrainte de se séparer de ses activités américaines. Une telle obligation serait probablement difficile à imposer juridiquement et risquerait de créer un précédent dont d’autres entreprises privées préféreraient se passer.
La situation était différente en 2009, lorsque Christoph Blocher, le défunt patron de Swatch Nicolas G. Hayek et l’ancien président du Parti socialiste Christian Levrat avaient appelé pour la première fois à une scission des grandes banques.
A l’époque, la ligne de rupture passait entre les activités de négoce (Investment Banking), qui avaient généré les pertes les plus lourdes durant la crise financière et s’étaient avérées dangereuses lorsqu’elles se combinaient avec les fonctions traditionnelles des banques universelles, à savoir l’octroi de crédits et la gestion de l’épargne.
Les Etats-Unis appliquaient un tel système de séparation depuis les années 1920, lorsque les faillites bancaires se multipliaient, jusqu’aux années 1980, lorsque le président américain Ronald Reagan a déréglementé le secteur financier.
Une séparation légale des grandes banques selon des critères géographiques serait plus difficile à justifier que ne l’était autrefois le système de banques séparées. Pourtant, la régulation proposée par le Conseil fédéral en juin 2024, à l’initiative de la conseillère fédérale chargée des finances, Karin Keller-Sutter, pourrait donner forme à l’idée de Christoph Blocher de manière plus subtile.
Des idées qui peinent à convaincre
Le projet de loi exige qu’UBS couvre désormais à 100% avec ses fonds propres la valeur de ses filiales étrangères, notamment américaines, et non plus seulement à 60% comme aujourd’hui. Cette exigence renchérirait fortement les acquisitions à l’étranger.
UBS semble pourtant avoir des visées aux Etats-Unis. 25 ans après l’acquisition coûteuse de Paine Webber, la banque espère enfin y renouer durablement avec la croissance.
C’est dans ce contexte qu’UBS dénonce avec vigueur les propositions «extrêmes» du Conseil fédéral, qui créeraient, selon elle, un handicap concurrentiel majeur dans ses activités américaines. Elle passe toutefois sous silence le fait que les exigences en fonds propres pour les filiales étrangères lui offrent un avantage non négligeable lors d’acquisitions. Avec les nouvelles règles, elle perdrait cet avantage, mais elle conserverait intactes ses capacités de croissance organique.
Si l’activité américaine devenait malgré tout moins attrayante sous la nouvelle régulation, cela relèverait moins d’une distorsion volontaire de la concurrence que d’un rééquilibrage des conditions du marché. La séparation ne constituerait alors pas une perte majeure.
L'UDC fragmentée sur la question
Au sein du groupe parlementaire de l’UDC, la proposition de Christoph Blocher ne suscite guère d’enthousiasme. On s’abstient toutefois de critiquer ouvertement celui qui demeure la figure la plus influente du parti.
Interrogé, Thomas Matter, membre de la Commission de l’économie du Conseil national et responsable du dossier UBS dans le groupe UDC, estime que «la proposition de Christoph Blocher de séparer les activités américaines d’UBS est une idée supplémentaire pour résoudre le problème du "Too big to Fail"». L’impression donnée est qu’il existerait de nombreuses autres idées de ce type, ce qui n’est pas le cas.
Par ailleurs, les propositions du Conseil fédéral sur la couverture en fonds propres des filiales étrangères sont pour l’UDC une épine dans le pied.
Cette approche réglementaire, la plus proche de l’objectif de Christoph Blocher, ne serait «pas une bonne solution, car elle restreint fortement la compétitivité de la banque», affirme Thomas Matter, reprenant presque mot pour mot l’argumentaire des lobbyistes d’UBS. Il ajoute:
Christoph Blocher, figure tutélaire de l’UDC, ne croit plus qu’une telle grande banque puisse encore exister en Suisse.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
