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Economie

Des «changements tectoniques» menacent la pharma en Suisse

Les bouleversements dans l'industrie pharmaceutique touchent également Roche.
Les bouleversements dans l'industrie pharmaceutique touchent également Roche.Image: GAETAN BALLY

Des «changements tectoniques» menacent les milliards de la pharma suisse

De plus en plus de pays se disputent pour attirer les milliards d'investissements de l'industrie pharmaceutique. Et la Suisse y laisse des plumes.
07.11.2025, 05:3407.11.2025, 11:47
Pascal Michel / ch media

Dans une fosse de 20 mètres située sous les imposantes tours de Roche, le président du groupe a récemment mis en garde contre des «changements tectoniques» dans l'industrie pharmaceutique.

Severin Schwan a eu cette formule face à un parterre de personnalités politiques locales à l'occasion de la pose de la première pierre du Bau 12.

La menace Trump plane

Ce futur centre de recherche et développement accueillera jusqu'à 450 scientifiques à Bâle. Roche investit 500 millions de francs dans ce projet. Il s'agit là d'un «engagement clair en faveur du site rhénan», souligne le groupe.

Mais, depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, plus aucune certitude n'entoure ce type de chantiers, planifiés des années à l'avance. Le dirigeant américain menace d'imposer des droits de douane massifs pour inciter Roche, Novartis et les autres à produire davantage aux Etats-Unis. Dans le même temps, il aimerait faire baisser les prix des médicaments, qui ont atteint un niveau record dans le pays.

En résumé, les acteurs qui ne s'engagent pas à investir s'exposent à des sanctions douanières.

Severin Schwan, président du conseil d'administration de Roche, constate des «changements tectoniques».
Severin Schwan, président du conseil d'administration de Roche, constate des «changements tectoniques».Image: Roland Schmid

Certains pays rattrapent leur retard

Severin Schwan dresse un constat clair:

«Le protectionnisme croissant sur nos marchés principaux nous oblige à nous délocaliser. Conséquence: le gâteau des investissements ailleurs rétrécit»

Et, selon lui, cela n'épargne pas la Suisse. Ainsi, les géants de la pharma sont incités à investir sur d'autres marchés et la Confédération chute dans la liste des priorités.

Les chiffres reflètent bien ces «changements tectoniques». Dans le classement de la concurrence de la faîtière Scienceindustries, la Suisse a reculé d'une place et arrive désormais troisième. Ce résultat reste respectable. Mais les Etats-Unis (1e place) ont, eux, creusé l'écart. Ils sont suivis par l'Irlande (2e place). L'étude prend notamment en compte la valeur ajoutée, la capacité d'innovation et la qualité du site.

Voici la liste des sites pharmaceutiques les plus compétitifs:

  1. Les Etats-Unis
  2. L'Irlande
  3. La Suisse
  4. Le Danemark
  5. Les Pays-Bas
  6. Le Royaume-Uni
  7. La Belgique
  8. La Corée du Sud
  9. La Suède
  10. Le Japon

Ce qui plombe la Suisse

En termes de conditions-cadres, la Suisse a toujours beaucoup à offrir à l'industrie chimique et pharmaceutique: stabilité politique, qualité des infrastructures, fiscalité attractive. Le petit pays demeure d'ailleurs le leader mondial à cet égard.

Mais il en va autrement pour l'innovation, pour laquelle la Suisse est à la traîne. Des pays européens, comme le Danemark, la Suède ou les Pays-Bas, ont comblé leur retard. Michael Grass, auteur de l'étude chez BAK Economics, observe:

«Sur cinq ans, la compétitivité de la Suisse s'est progressivement détériorée»

Cela n'a pas seulement à voir avec Donald Trump. Les Etats de l'Union européenne tentent aussi d'attirer les entreprises pharmaceutiques. Les Etats-Unis, la Chine, la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni se disputent cette industrie. Ils misent sur des campagnes de subventions colossales, des allègements fiscaux ou des aides à la recherche.

Michael Grass illustre cette concurrence accrue en prenant l'exemple de la France: elle entend devenir une pionnière des biotechnologies grâce à son programme Innovation Santé 2030. Le gouvernement y consacre neuf milliards d'euros, soit six fois le budget actuel de l'EPFZ.

La faîtière rejette la politique industrielle

La Suisse doit-elle donc suivre le mouvement en matière de politique industrielle? «Non», estime Annette Luther, présidente de Scienceindustries. Jusqu'à présent, la Suisse s'en est bien sortie en restant prudente en matière de subventions publiques. Elle déclare:

«Plus l'Etat alloue des fonds, plus il a tendance à vouloir intervenir. Nous voulons préserver notre indépendance.»

Elle reconnaît néanmoins la nécessité de mesures:

«Il est devenu évident que la Suisse doit elle aussi viser une place de choix»

Pour que la Suisse puisse jouer dans la cour des grands, cela s'applique à d'autres domaines, estime encore la dirigeante. Et d'évoquer les accords avec l'UE, véritable «contre-modèle d'une politique commerciale arbitraire». Elle parle aussi d'incitations fiscales pour la recherche, d'une «mise en œuvre flexible» de l'impôt minimum de l'OCDE ou d'un enseignement supérieur solide.

Selon Annette Luther, ces éléments sont à intégrer dans une stratégie d'implantation de l'industrie pharmaceutique. Une motion en ce sens est actuellement en cours d'examen au Parlement. Le Conseil fédéral a déjà signalé qu'il avait pris conscience des difficultés rencontrées par les entreprises. Une table ronde a réuni en septembre les représentants du secteur, le ministre de l'Economie, Guy Parmelin et la ministre de la Santé, Elisabeth Baume-Schneider.

Pas d'inquiétudes pour la Suisse

La patronne de Scienceindustries met en garde contre tout alarmisme. Elle rappelle que les Etats-Unis et la Chine n'ont pas attendu le retour de Trump pour s'isoler. Elle ajoute:

«Nous constatons déjà depuis le Covid une volonté de produire davantage localement sur les marchés»

La plupart des entreprises auraient anticipé cette tendance depuis longtemps et réagi en conséquence. Elle est donc convaincue que la Suisse ne sera pas immédiatement touchée par une vague de délocalisations due à une concurrence accrue. Cela tient également à une très forte croissance du secteur dans notre pays ces dernières années. On percevrait donc à peine une stagnation ou une réduction des effectifs.

Mais les bouleversements tectoniques devraient avoir un impact à plus long terme. Selon les représentants du secteur, la survenue d'un séisme dépendra également de la réaction des responsables politiques. A 20 mètres sous terre, le patron de Roche, Severin Schwan, s'est en tout cas préparé à des temps difficiles et conclut:

«Nous devons devenir plus productifs»

(Adaptation en français: Valentine Zenker)

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