Les joueurs de loto suisses et les buralistes genevois sont en ébullition. Ce qui ressemble à une tentative de «hack» du tirage de ce soir du «Joker» a été repérée par de nombreux kiosquiers. C'est la Tribune de Genève qui a mis le doigt sur cette opération très particulière.
Un groupe de jeunes «avec des têtes de mathématiciens» a donc visité au moins une dizaine de bureaux de tabac à Genève, jouant pour 15 000 francs de billet de loto par-ci, 80 000 francs par là. Impossible de savoir exactement combien ces jeunes gens ont déboursé. Mais leur but semble clair: toucher le jackpot du tirage de ce mercredi soir du «Joker», de près de 2,6 millions de francs.
Visiblement organisés, ils étaient munis de listes pour être sûrs de jouer «l'ensemble des combinaisons», leur assurant ainsi théoriquement de décrocher le gros lot. Après avoir appris que le «gang» sévissait à Genève, la Loterie romande a bloqué les achats de Joker dans les kiosks, avant de les rétablir lundi. Mais hacker le loto en jouant toutes les combinaisons, est-ce vraiment faisable?
Pour Juhan Aru, mathématicien à l'EPFL et actif dans le domaine des probabilités, il est «tout à fait possible de calculer les chances de gagner pour une loterie de ce genre». Il déroule: «Une façon serait d'estimer le gain moyen attendu par billet investi».
«Ce type de calcul est à la portée de toute personne ayant suivi un cours d'introduction aux probabilités et statistiques», estime le mathématicien. Gagner le jackpot n'est d'ailleurs pas forcément le but ultime. Les gains secondaires, si proprement estimés, pourraient également être obtenus. Respectivement: cinq chiffres trouvés dans le bon ordre permettent de gagner 10 000 francs, quatre chiffres 1000, trois 100 et deux, 10 francs.
Ce genre de méthodes a déjà été utilisée par le passé, et avec succès. A l'exemple de Gerald et Marge Selbee, un couple de retraités américains qui ont gagné des millions de dollars entre 2003 et 2012. Leur méthode? Calculer leurs probabilités de chances et acheter le bon nombre de billets. Et il n'y avait rien d'illégal à cela.
Neuf ans et 18 millions de billets de loterie achetés plus tard, ils s'arrêtent enfin. Mais pas avant d'avoir empoché 26 millions de dollars. Leur histoire a été adaptée en film avec Bryan Cranston, en 2022, sous le titre Jerry and Marge go large.
A watson, on n'est pas les meilleurs en maths et on n'a pas suivi de cours de statistiques à l'EPFL. Mais on tout de même bricolé un coup pour calculer ce genre de trucs. Tout d'abord, voici ce que disent les règles du jeu du «Joker»:
Et puis:
Le premier rang, c'est donc le jackpot. Les autres permettent de gagner les sommes secondaires de 10 000 francs et moins. Les jeunes ont explicitement annoncé «avoir les moyens de jouer l'ensemble des combinaisons». Logiquement, toutes les possibilités d'une séquence de six chiffres existent entre 000 000 et 999 999, soit précisément un million de possibilités.
Les billets contenant quatre séquences, il est donc théoriquement assuré de trouver la bonne avec 250 000 billets. A condition de s'assurer que tous les numéros ont été rentrés — par exemple, en débarquant dans des bureaux de tabac avec une liste très précise et un demi-million dans les poches. Au hasard.
Autrement dit, avec un investissement de 500 000 francs (à deux francs les 250 000 billets), on est assuré le toucher le jackpot — ou tout du moins une partie, en cas de gagnants multiples.
Comme aux Etats-Unis, est-ce légal de jouer ainsi avec les usages de la loterie? Contacté, l'avocat Alexander Lindemann, associé du cabinet zurichois Lindemann law, estime pour sa part que la méthode respecte la loi:
«S'il s'agit de blanchiment d'argent, c'est illégal. Mais sinon, acheter des billets de loto en grand nombre en ayant fait des calculs statistiques personnels, je n'y vois rien d'illégal», estime l'avocat. Pour cela, encore faut-il avoir décoché l'un des billets gagnants.
De son côté, la porte-parole de la loterie romande, Danielle Perette, nous assure que «les deux tirages» du Joker et du Swissloto «auront bien lieu mercredi soir».
Et si les commandos du loto se retrouvent avec un chiffre gagnant, pourront-ils empocher le gros lot? La Loterie romande explique ne pas pouvoir répondre aux questions concernant ce cas pour l'instant, et ce tant que l'enquête menée avec l'autorité de surveillance des jeux d'argent, la Gespa, ne sera pas terminée.
Alors, le braquage à plus de deux millions de francs va-t-il se produire? Il faudra patienter encore un peu pour le savoir.