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Nouveau tunnel du Gothard: «Personne n'est venu ici avant»

Creusement de la seconde galerie du Tunnel du Gothard en Suisse.
Dans le tunnel du Gothard, des équipes hautement qualifiées œuvrent jour et nuit afin de tenir les délais de percement de la seconde galerie, sans négliger l'aspect sécuritaire de ce chantier titanesque. Andrea Zahler

«Aucun humain n'est venu ici»: Avec ceux qui percent le Gothard

Le creusement de la deuxième galerie du tunnel du Gothard bat son plein. Jour et nuit, des équipes œuvrent inlassablement à son avancement. Trouver suffisamment de personnel hautement qualifié pour cette tâche titanesque s’avère difficile et le projet fait aussi l’objet de critiques.
11.05.2025, 07:0211.05.2025, 07:02
René Fuchs / ch media
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Un mélange d’argile, de sable et de gravier ne cesse de tomber de l’extrémité du tunnel, appelée «front de taille». C’est ici que l’on procède aux explosions ou aux creusements, une opération que l’on désigne par le terme technique de «progression minière». En ce moment, l’intervention est particulièrement délicate: une pelleteuse équipée d’un marteau-piqueur détache prudemment la roche sédimentaire friable d’une zone de faille. A cet endroit, il n’y a pas de paroi rocheuse solide, seulement un matériau meuble.

Une plongée inédite dans les profondeurs

Nous sommes à 4,2 kilomètres de Göschenen, à 400 mètres sous la vallée d’Urseren, dans le «Secondo Tubo», la deuxième galerie du tunnel routier du Gothard, dont le percement est prévu pour 2027. Le nouveau tunnel sera situé à 70 mètres de distance en parallèle de la première galerie, mise en service il y a 45 ans.

Grâce à une bonne protection auditive, nous sommes bien équipés contre le bruit. L’air n’est pas du tout étouffant, grâce à la ventilation du tunnel. Avec toutes les lumières installées sur les parois latérales, l’intérieur de la montagne semble presque magique.

Des équipes de cinq mineurs et un contremaître travaillent ici en trois équipes, 24 heures sur 24. Ils avancent jusqu’à un mètre par jour. La «zone de faille», soit une zone de rupture entre deux blocs de roche, mesure environ 300 mètres de long: il y a des millions d’années, la roche sédimentaire y a été broyée entre les roches cristallines compactes du nord et du sud, lors de la formation des Alpes.

Les travaux se poursuivent au tunnel du Gothard pour finaliser le percement du second tube.
24 heures sur 24, mineurs, ingénieurs, machinistes et contremaîtres s'échinent au cœur de la montagne.Andrea Zahler

Le matériau d’excavation est transporté par camion-benne à travers la galerie d’accès construite entre 2022 et 2023 jusqu’à Göschenen. La section du tunnel, d’un diamètre de quinze mètres, doit constamment être sécurisée et stabilisée par des arceaux métalliques, du béton projeté et des ancrages. La montagne ne pardonne aucune erreur.

La montagne exerce une pression immense

Soudain, la pression de la montagne, c’est-à-dire une tension dans la roche, devient visible: dans un fracas, un arceau métallique mobile au plafond est comprimé. Un nuage de poussière se forme, immédiatement aspiré. Ici, l’avancement par méthode traditionnelle: marteau-piqueur, godet de pelle, dynamitage et béton projeté sont les seules options. Une machine de percement classique serait immédiatement coincée par le sable et le gravier qui s’effondrent constamment.

Chaque geste compte. Gian-Luca Levy, mineur de 23 ans, est fier de participer, depuis 2024, à la construction de la deuxième galerie du plus long tunnel routier d’Europe centrale. De Göschenen à Airolo, il y a 16,9 kilomètres. «Il n’y a pas beaucoup de gens qui font ce genre de travail», dit-il.

«Aucun humain n'est venu ici avant»
Gian-Luca Levy

Depuis son apprentissage de maçon, la construction de tunnels fascine ce jeune Uranais. «J’ai vite appris combien il est crucial de reconnaître tôt les dangers en montagne», raconte-t-il en regardant vers le plafond du tunnel.

Heureusement, aucune infiltration d’eau n’est survenue jusqu’à présent. Tout se déroule comme prévu. Il rêve de devenir un jour chef d’équipe ou contremaître dans la construction de tunnels.

«Je cherche donc à apprendre autant que possible de mes collègues plus expérimentés»
Gian-Luca Levy, chantier du second tunnel du Gothard
Gian-Luca Levy, 23 ans, à proximité de la zone de faille.Andrea Zahler

En voiture vers la machine de percement

Avec le chef de chantier Andreas Baumann, 35 ans, nous roulons quatre kilomètres en voiture de chantier et empruntons une galerie de liaison pour rejoindre le tunnel principal côté nord. Depuis le 14 février, une machine de percement de 110 mètres de long est en action ici comme à Airolo. Ici, hors de la zone de faille et sans besoins de sécurisation de la paroi, l’avancement est plus rapide: dans le granite, avec jusqu’à 4,5 tours par minute, la machine avance de deux mètres par heure. Il est à noter que cette approche est plus efficace et plus sûre que le creusement par explosifs.

Plongée au cœur de la montagne, sur le chantier du Tunnel du Gothard.
Pour se déplacer sur les kilomètres de galeries, une voiture de chantier est employée.Andrea Zahler

D’ici la fin de l’année, la machine atteindra la zone de faille déjà excavée. D’un diamètre de 12,3 mètres, pesant 1800 tonnes et développant une puissance de 7136 chevaux, elle compte parmi les plus grandes de son genre. Elle est baptisée «Alessandra», du nom de sa marraine, la vététiste suisse Alessandra Keller.

Trouver du personnel qualifié, un véritable défi

La machine est une géante blanche qui remplit tout le tunnel, sur laquelle les 15 opérateurs et mineurs en tenue rouge paraissent minuscules. On y installe actuellement de lourds éléments en béton, appelés «anneaux de tubbing», pour sécuriser le tunnel déjà creusé.

«La sécurité de mes collaborateurs est ma priorité absolue»
Andreas Baumann

Un conteneur de secours rouge avec sa propre alimentation en oxygène est prêt en cas d’incendie. Voir et être vu est aussi important que le contact visuel et radio avec l’opérateur de la machine. Le Wi-Fi est disponible partout.

«Nous sommes une petite famille sur le chantier du tunnel», confie Baumann. Grâce à ses études d’ingénieur civil à l’ETH Zurich, ce jeune père a réalisé son rêve d’enfant.

«Il est difficile de trouver du personnel hautement qualifié pour le travail souterrain. Même si le chantier du Gothard jouit d’une bonne réputation au-delà des frontières nationales.»
Andreas Baumann

Actuellement, environ 160 personnes de sept pays travaillent sur les chantiers de Göschenen.

Andreas Baumann, chef de chantier pour le percement du second tunnel du Gothard.
Le chef de chantier Andreas Baumann, 35 ans.Andrea Zahler

La plupart des mineurs expérimentés viennent du Portugal, d’Autriche, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne et de France. Ils sont logés dans une résidence spécialement aménagée avec cantine dans le village de Göschenen. Le salaire des mineurs s’élève à environ 6000 francs suisses, plus les primes.

Construction du second tube du tunnel du Gothard. Il est difficile de trouver du personnel qualifié en Suisse ou à l'étranger, malgré la popularité du projet.
Malgré la renommée internationale du chantier, trouver du personnel qualifié en Suisse comme à l'étranger reste difficile. Andrea Zahler

Première galerie rénovée à partir de 2030

Nous poursuivons jusqu’à une immense caverne où sont coulés les éléments en béton nécessaires aux anneaux du tunnel. En raison du manque de place dans la vallée de la Reuss, cette installation a été érigée à l’intérieur de la montagne. Pour cela, une ancienne galerie militaire a été considérablement élargie par dynamitage.

Avant de quitter le tunnel, une halte s’impose auprès de la sainte patronne des mineurs: une statue lumineuse de Sainte-Barbe trône dans une niche de roche non loin du portail. Sans elle, beaucoup de mineurs se sentiraient mal à l’aise en allant au travail.

Le 4 décembre, jour de la Sainte-Barbe, elle est célébrée. Car si beaucoup de choses peuvent être planifiées, la montagne reste imprévisible. Avec le salut traditionnel des mineurs «Glück auf!», «Bonne chance!» en français, nous prenons congé du chef de chantier.

Tunnel du Gothard: Sainte-Barbe veille sur les ouvriers du chantier.
La statuette de Sainte-Barbe, figure importante et protectrice des mineurs, veille sur le personnel.Andrea Zahler

Une inauguration prévue pour mi 2030

Selon Eugenio Sapia, porte-parole de l’Office fédéral des routes (OFROU), l’ouverture au trafic de la deuxième galerie du tunnel routier du Gothard est prévue pour mi 2030. Quatorze ans après la votation populaire décidant sa construction afin de pouvoir rénover la première galerie à partir de 2030, sans fermeture complète du tunnel pendant près de deux ans.

Une fois les travaux terminés, les deux galeries seront certes disponibles, mais, selon la loi, une seule voie de circulation pourra être ouverte par direction, ceci afin de ne pas augmenter la capacité d'accueil du tunnel et donc le trafic.

A la gare de Göschenen, nous croisons une dame âgée qui se souvient: «Ecolière, j’ai chanté lors de la cérémonie d’inauguration du premier tunnel routier du Gothard en 1980.» 45 ans plus tard, elle est plus critique vis-à-vis de la seconde galerie:

«Pour qui faisons-nous cela aujourd’hui? Pour les touristes, comme lors de ces longs week-ends?»

Traduit de l'allemand par Tim Boekholt

Les images exclusives du chantier du tunnel du Gothard
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Les images exclusives du chantier du tunnel du Gothard

Portail nord du tunnel.

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Un mélange d’argile, de sable et de gravier ne cesse de tomber de l’extrémité du tunnel, appelée «front de taille». C’est ici que l’on procède aux explosions ou aux creusements, une opération que l’on désigne par le terme technique de «progression minière». En ce moment, l’intervention est particulièrement délicate: une pelleteuse équipée d’un marteau-piqueur détache prudemment la roche sédimentaire friable d’une zone de faille. A cet endroit, il n’y a pas de paroi rocheuse solide, seulement un matériau meuble.

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