Avant le 23 août 2017, Anna Giacometti était une présidente de commune ordinaire dans une vallée de montagne isolée que la plupart des Suisses ont du mal à situer géographiquement. Mais ce mercredi matin d'août 2017, à 9h30, trois millions de mètres cubes de roche se sont détachés du Piz Cengalo et sont tombés dans le Val Bondasca. L'énorme éboulement a déclenché plusieurs laves torrentielles. Des éboulis, de la boue et des torrents ont atteint le village de Bondo, dans la vallée de Bergell, dans le sud des Grisons.
Anna Giacometti a couru de maison en maison, frappant aux portes. Son objectif: évacuer le village le plus rapidement possible. Mais certains ont ignoré son avertissement: ils ne savaient pas qui était cette femme en sandales qui se tenait devant eux. Un jour plus tard, toute la Suisse connaissait son visage.
Anna Giacometti a été énormément sollicitée dans la période qui a suivi l'éboulement. Elle était à la tête de l'état-major de la commune, debout jour et nuit, donnait d'innombrables interviews et a reçu la présidente de la Confédération Doris Leuthard. La gestion de crise d'Anna Giacometti l'a fait connaître dans tout le pays – et lui a sans doute permis d'être élue au Conseil national pour le PLR en 2019.
Mais aujourd'hui, l'éboulement rattrape Anna Giacometti. Le ministère public grison a déposé plainte contre cinq personnes «pour homicide multiple par négligence», comme l'a révélé le Beobachter la semaine dernière. Sont accusés, outre deux collaborateurs de l'Office cantonal des forêts et des dangers naturels (OFDN), un expert externe ainsi qu'Anna Giacometti, qui avait dirigé l'état-major de conduite de la commune. Celle-ci avait alors suivi la recommandation de l'office et avait renoncé à fermer les chemins de randonnée.
Un nouveau rebondissement dans une longue histoire. La justice n'a toujours pas terminé son enquête sur une éventuelle coresponsabilité des autorités dans la mort des huit alpinistes. Une décision de classement prise par le ministère public grison en 2019 a été annulée par le Tribunal fédéral en 2021, à la demande des proches.
Mais lors de la réouverture de l'enquête, le ministère public grison a mandaté un expert considéré comme partial. Après un jugement du tribunal cantonal des Grisons en février 2023, un nouvel expert a dû être trouvé. Il s'agit de Thierry Oppikofer.
Les conclusions du géologue vaudois donnent une mauvaise note aux autorités. Il estime que l'éboulement avait été «annoncé par de nombreux signes précurseurs». En décidant de laisser les chemins de randonnée ouverts, les autorités auraient pris un «risque inacceptable».
Sur la base de cette expertise, le ministère public grison a ouvert une nouvelle procédure pénale en début d'année. Les cinq accusés auraient «commis une erreur d'appréciation de la situation de danger, contraire à leurs obligations». Selon le Beobachter, l'acte d'accusation stipule qu'«une fermeture préventive des voies d'accès menacées se serait notamment imposée à court terme».
Interrogée, la présidente de la commune de l'époque, Anna Giacometti, écrit: «Environ une semaine avant l'éboulement, la commune de Bregaglia a suivi la recommandation des géologues et des spécialistes des dangers naturels de l'OFDN de renoncer à fermer les chemins de randonnée». Elle s'est fiée à cette expertise:
Une chose est sûre: on tranchera sur la question au tribunal régional de Maloja, devant lequel les cinq accusés devront répondre de leurs actes. En cas d'homicide par négligence, ils risquent jusqu'à trois ans de prison ou une amende.
Traduit et adapté par Tanja Maeder