L'invasion de l'Ukraine par la Russie ne finit pas d'avoir un impact sur la politique suisse. Tout d'abord sur la politique de défense: si le Parlement s'était rapidement mis d'accord pour augmenter les dépenses de l'armée, c'est plus compliqué dans la pratique. Au sein de la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats, les membres du Centre, du PS, des Verts et des Vert'libéraux se sont mis d'accord sur la création d'un fonds spécial: l'armée suisse devrait recevoir 10,1 milliards de francs supplémentaires d'ici 2030.
Cela concerne aussi l'aide directe à l'Ukraine, qui devrait recevoir 5 milliards pour sa reconstruction. Cette somme supplémentaire est à rajouter à l'aide au développement déjà existante pour d'autres pays. Le total de ces dépenses, soit 15,1 milliards, devrait être comptabilisé comme «extraordinaires» et échapperait aux effets du frein à l'endettement.
De leur côté, les parlementaires de droite veulent également que l'armée reçoive plus de moyens plus rapidement que ce que le Conseil fédéral prévoit dans son «plan de développement 2035». Mais ils préfèrent le financer via une augmentation temporaire de la TVA.
Et cela crée des levées de barrière à gauche. Le coprésident du PS, Cédric Wermuth, rejette catégoriquement de telles propositions. Il préfère puiser dans le fonds spécial pour l'Ukraine. Au milieu de tout cela, le Centre est partagé.
Le conseiller aux Etats Peter Hegglin (Centre/ZG) rejette également cette proposition. Tout comme son collègue valaisan Beat Rieder:
Il déroule: «Ce frein a permis de maintenir l'équilibre du budget fédéral depuis des années. Je vérifie la constitutionnalité et la légalité de chaque proposition.»
Le problème soulevé par Beat Rieder mérite de s'y attarder: le contournement du frein à l'endettement est-il conforme à la loi? Selon l'Administration fédérale des finances, deux conditions doivent être remplies: il doit s'agir d'un événement extraordinaire et sur lequel la Confédération ne peut avoir d'influence sur le développement.
Et si le Conseil fédéral considère la guerre en Ukraine comme un événement extraordinaire, il classe la gestion de l'armée suisse et la reconstruction de l'Ukraine dans la catégorie des «développements gérables».
Un autre point est controversé: les dépenses extraordinaires comme celles du fonds ne sont pas des dons. Il est prévu qu'elles soient reversées au budget fédéral à une date ultérieure. Et la motion de la commission ne prévoit pas de contre-financement. Ce point suscite des critiques également au Conseil national.
La voix de Markus Ritter, président de l'Union des paysans, a un certain poids au Centre. S'il a osé élever la voix publiquement, d'autres membres du parti au Parlement, qui ne souhaitent pas être cités sur la question, confirment également s'opposer à ouvrir la boîte de Pandore financière en faveur de l'Ukraine et aux dépens du frein à l'endettement.
Et même le président du parti, Gerhard Pfister, préfère ne pas se mouiller sur la question. Il botte en touche et renvoie nos questions aux membres de la Commission de la politique de sécurité.
Il faut dire que le Zougois est embêté. L'homme a critiqué à plusieurs reprises le principe du frein à l'endettement, qu'il trouve trop rigide. Mais l'élu n'est pas favorable à l'idée de créer un fonds spécial aux côtés de la gauche.
Au Centre, ce sont plutôt les conseillères aux Etats Andrea Gmür-Schönenberger (LU) et Marianne Binder-Keller (AG) qui ont mené la danse. Contactée, cette dernière précise toutefois que les parlementaires ne se sont pas réellement encore concertés sur la question. Une réunion de groupe sur le sujet doit avoir lieu fin mai, au début de la prochaine session.
D'ici à cette date, il semble toutefois que les partisans du fonds avancent leurs pions parmi leurs camarades centristes et tentent de les persuader de se rallier à leur position. Parmi les arguments invoqués, l'urgence de la situation: l'Ukraine a besoin d'aide pour réparer ses infrastructures, comme les centrales électriques détruites. Et la menace que fait planer Poutine.