Pourquoi la Suisse risque d'enterrer un projet pour les enfants harcelés
Céline Pfister aurait eu 22 ans le 3 décembre. Mais durant l’été 2017, à seulement 13 ans, elle avait mis fin à ses jours. L'adolescente avait auparavant été victime de cyberharcèlement. Depuis, ses parents se battent pour que la Suisse reconnaisse le harcèlement en ligne comme une infraction pénale. A Berne, un vote est maintenant imminent.
Comment la nouvelle infraction serait-t-elle formulée?
Le destin de Céline Pfister avait ému le public, ainsi que Gabriela Suter (PS/AG), à l’origine d’une initiative parlementaire. La conseillère nationale réclamait l’ajout d’un article contre le cyberharcèlement dans le code pénal suisse.
Après des années de discussions, l’administration a présenté une proposition. Gabriela Suter explique:
Selon la proposition, lorsque le harcèlement se déroule en public, par exemple sur les réseaux sociaux, des sanctions plus sévères devront être possibles. Mais la majorité de droite de la commission juridique du Conseil national souhaite désormais classer le dossier. Le 19 décembre, ce sera au plénum de décider.
Quels arguments plaident en faveur d'une nouvelle infraction pénale?
Pro Juventute soutient le fait de dénoncer ce phénomène. L’organisation explique:
Celui-ci sera explicitement interdit en Suisse au 1er janvier prochain. Pro Juventute ajoute:
Les messages sont variés:
- «Je reçois constamment des messages du genre "t'es trop grosse" et des émojis de cochon et de poubelle. Du coup, je pleure souvent chez moi.»
- «Aujourd'hui, à l'école, des filles m'ont pris mon téléphone. Pour le récupérer, j'ai dû faire des choses embarrassantes qu'elles ont filmées. J'ai tellement peur qu'elles diffusent la vidéo.»
- «Bonjour, j'ai besoin d'aide. Mon petit frère a 14 ans et n'ose pas écrire. Il se sent harcelé en ligne car un ancien collègue publie des photos compromettantes de lui sur les réseaux sociaux. Est-il possible de le signaler?»
La plupart des formes de cyberharcèlement sont déjà punissables, notamment la contrainte. Il existe toutefois une petite lacune juridique. Lorsque les victimes subissent de nombreux actes qui, pris séparément, semblent mineurs, mais qui, dans leur ensemble, deviennent blessants, elles ne peuvent pas se défendre sur le plan pénal. La diffusion de photos embarrassantes ou suggestives n’est pas non plus punissable lorsque les images ne sont pas à caractère pornographique.
Quels sont les arguments contre?
Que le droit pénal ne se prête pas à la politique symbolique. Les menaces de sanction n'auraient aucun effet dissuasif, estime le camp qui s'oppose à la proposition. En particulier en matière de droit pénal des mineurs, où l'objectif n'est pas de punir les jeunes, mais de les guider vers une vie sans criminalité.
En Autriche, où le cyberharcèlement est punissable depuis dix ans, les dépôts de plainte sont certes nombreux, mais il n'existe presque pas de condamnations.
La majorité de la commission juridique avertit ainsi qu’un nouveau délit ne ferait qu’entraîner des incertitudes juridique supplémentaires, et conduire à de délicats problèmes de qualification des infractions.
Quelles sont les chances au niveau politique?
La conseillère nationale avait lancé son initiative en ne recueillant le soutien que de son propre cercle politique. Au sein de la commission, seuls les élus du Centre et de la gauche sont favorables au projet. Le Conseil national va vraisemblablement écarter le dossier.
Une opération de sauvetage est toutefois en cours en coulisses. Des organisations comme Pro Juventute avancent que le Parlement devrait au moins ouvrir une procédure de consultation. Enseignants, directions d’école ou procureurs pourraient ainsi s’exprimer sur le sujet.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
