Ma gorge se noue. Je commence à avoir un peu mal au ventre. Maintenant, c'est une larme qui roule sur ma joue. Puis une deuxième. Des larmes de compassion, de peur aussi. Mince, moi qui pensais assister à une projection presse comme on en fait régulièrement, celle-ci me prend littéralement aux tripes, mes entrailles, mon cerveau, mon cœur sont passés à la moulinette. Et lorsque les lumières se rallument, mes camarades journalistes ont, eux aussi, l'air remués.
Il faut dire que le film «Mother-to-be?» de Médecins Sans Frontières Suisse (MSF) réalisé avec l'artiste biennois Cee-Roo sur la base de témoignages de femmes enceintes aux quatre coins du globe a de quoi bouleverser. Le cadre, avec une projection immersive dans un silo et des images qui nous assaillent à 360 degrés, participe aussi à rendre cette expérience particulièrement déroutante.
Et c'est tant mieux, puisque ce projet a pour but pour nous sensibiliser sur la santé maternelle et infantile. On plonge dans les différentes réalités de ces femmes, avec leurs témoignages de grossesse à travers le monde. Un sujet important et, une fois n'est pas coutume, traité de manière originale. Ça titille votre curiosité? Laissez-moi vous raconter cette expérience qui m'a tiré les larmes, et qui vous donnera peut-être envie d'aller tester par vous-même.
Reprenons depuis le début. Nous sommes au Syllepse, sorte de grande citerne au Jardin des Nations à Genève, juste à côté du siège social de MSF. On nous demande, à mes confrères et moi, d'enlever nos chaussures, ou d'enfiler des chaussons par-dessus. J'y vais en chaussettes, histoire d'être confortable.
Avant la projection, on nous raconte que MSF aide 800 femmes à accoucher. «Ah oui, ça en fait plus de deux par jour, pas mal», me dis-je. «Par jour», précise Marc Joly, directeur de la communication. Ah. Ça fait un paquet de femmes qui n'ont pas la chance d'avoir les HUG, le Chuv ou je ne sais quel hôpital à portée de bus. Je commence à me demander ce que ce film immersif nous réserve. A ce propos, on nous explique encore le pourquoi du choix de ce silo pour la diffusion.
Calée dans mon pouf, j'écoute et lis les histoires de femmes qui racontent comment elles ont appris qu'elles étaient enceintes. Elles viennent d'une vingtaine de pays différents, et manifestement, le torrent d'émotions qui suit l'annonce est universel. «Suis-je prête?», se demandent-elles à l'unisson. En revanche, leurs problèmes ne sont pas les mêmes, loin s'en faut. Certaines veulent que leur bébé soit heureux, d'autres espèrent qu'il arrivera... à fuir. Ambiance.
La vidéo et le son à 360 degrés permettent à Cee-Roo, le Biennois qui a créé le film et la musique, de nous en mettre plein la vue. Littéralement. Des images fortes, des propos puissants, sont projetés du sol au plafond. Les témoignages s'enchaînent, l'artiste joue avec le rythme. Et avec nos tripes.
Face aux défis rencontrés par une partie de ces femmes, je n'arrive pas à retenir quelques larmes. Il est tout simplement atroce de réaliser à quel point dans certains pays, une grossesse est un parcours du combattant - au sens propre. Même si «on sait» que c'est plus violent ailleurs, le voir vraiment, c'est autre chose. Dans certaines régions, l'accès aux soins n'est pas juste un luxe, c'est aussi - bêtement - quelque chose qui n'existe presque pas.
Le film se termine sur des images de celles qui sont devenues mamans, leur bébé dans les bras. La projection a duré 17 minutes, mais on pourrait nous raconter, à mes confrères et moi, qu'elle a duré 17 secondes ou 17 heures, nous n'en aurions aucune idée. Nous restons tous dans nos poufs quelques secondes avant de nous regarder les uns les autres. A voir leurs visages, on a tous pris une claque. Pour autant, il n'y a pas eu d'images gores ou de récits dégoûtants. Cee-Roo et MSF n'en ont pas besoin pour nous emporter, les histoires de ces femmes se suffisent à elles-mêmes.
Le film s'adresse à une large audience, petits et grands, peut-être en particulier au public qui n'est pas vraiment sensibilisé aux activités de Médecins Sans Frontières. Et c'est bien vu de la part de l'organisation d'avoir confié le projet à un artiste pour «désinstitutionnaliser la chose», et la rendre plus humaine.
Que les adeptes des projets plus «classiques» se rassurent, l'expérience est complétée d'une exposition photo à côté du Syllepse. On y trouve des clichés de femmes aidées par MSF. Les photos sont accompagnées de témoignages et permettent, tout comme le film, d'apporter une réflexion sur l'importance de l'accès aux soins maternels, mais aussi à la contraception, à des consultations gynécologiques, à des avortements sûrs ou à un accompagnement pour les victimes de violences sexuelles.
Je rentre au bureau un peu chamboulée par cette expérience, mais contente d'avoir vu la réalité de ces femmes aux quatre coins du globe. Celle qui parle du futur père, actuellement au front. Celle qui espère que son bébé sera médecin. Celle qui souhaite de toutes ses forces qu'il puisse quitter le pays. Celle qui raconte que quelqu'un est mort, en route pour l'hôpital. Et je pèse la chance d'être en sécurité, en Suisse.
Le film immersif «Mother-to-be?» est accessible au public et aux écoles du 23 avril au 18 juillet les mardis, mercredis et jeudis, de 17h30 à 20h30, réservations sur www.msf.ch.