Chaque année, les partisans des relations entre la Suisse et l’Union européenne se rassemblent au «Lucerne Dialogue». Lors de l’édition 2024, Simon Michel, conseiller national PLR et dirigeant de l’entreprise Ypsomed, a présenté une proposition pour le moins audacieuse: imposer une taxe de 10 000 francs aux entreprises suisses employant des travailleurs issus de l’UE.
Cette proposition vise à contrer l’initiative populaire de l’UDC contre une «Suisse à 10 millions», qui pourrait drastiquement limiter l’immigration en provenance de l’UE, forçant la Suisse à résilier les accords bilatéraux. Pour Simon Michel, cette initiative est dangereuse et un contre-projet est indispensable.
Il souligne que l’immigration nette, atteignant près de 100 000 personnes en 2023, accentue les tensions sur le marché du logement et sur les infrastructures. Si personne ne conteste le besoin de main-d’œuvre étrangère pour l’économie, la population exprime un mécontentement croissant face à ces chiffres.
La proposition de Simon Michel s'appuie sur le concept de «contribution de solidarité», dit-il. Soit, une taxe d'immigration: une entreprise suisse qui emploient plus de 250 personnes et qui embauche une personne de l'UE devrait payer 10 000 francs à la Confédération. Les secteurs de la restauration et de l'hôtellerie, qui peinent à pourvoir leurs postes vacants, seraient épargnés. Et bien sûr, la taxe ne serait prélevée que si l'immigration en Suisse est élevée sur le long terme.
Ce principe s’appuie sur des idées émises par des économistes tels que Rainer Eichenberger et Christoph Schaltegger. Ces derniers estiment qu’une taxe sur l’immigration pourrait réduire les flux migratoires. Cependant, Christoph Schaltegger juge le montant de 10 000 francs insuffisant et suggère même de le doubler.
Or, le contre-projet à l'initiative de l'UDC prévoit que ce ne soit pas le ressortissant de l'UE, mais son employeur qui doive s'acquitter d'une taxe.
En complément, Simon Michel propose d’adopter une formule élaborée par l’ancien diplomate Michael Ambühl. Celle-ci prévoit des restrictions d’immigration si la Suisse enregistre des niveaux nettement supérieurs à la moyenne des pays de l’UE. Selon cette formule, seule le Luxembourg connaît actuellement une immigration relative plus importante que la Suisse.
Mais deux questions se posent: comment Bruxelles réagirait-elle à une taxe d’entrée de 10 000 francs? Et pourquoi une telle mesure est-elle nécessaire, alors que l’UE semble prête à offrir une clause de sauvegarde dans le cadre des négociations bilatérales?
Sur ce dernier point, le conseiller national Simon Michel anticipe un conflit avec l’UE, qui pourrait engager une procédure contre la Suisse. Toutefois, il estime que cette procédure prendrait des années et que d’ici là, la taxe aurait rempli son rôle en réduisant l’immigration.
La Suisse assumerait donc un conflit avec l'Union européenne, mais - contrairement à l'initiative de l'UDC - sans mettre en péril les accords bilatéraux. Le président du centre, Gerhard Pfister, avait présenté un plan similaire l'été dernier.
Le centre politique, à travers son président Gerhard Pfister, soutient l’idée d’une clause de sauvegarde unilatérale. Philipp Bregy, chef du groupe parlementaire du centre, voit dans la proposition de Simon Michel une réponse directe à l’initiative de l’UDC. Le Parti socialiste, pour sa part, reste prudent et souhaite examiner les détails avant de se prononcer.
Du côté des Verts libéraux, Jürg Grossen invite à attendre les résultats des négociations sur les accords bilatéraux avant d’introduire de nouvelles mesures restrictives. Lisa Mazzone, présidente des Verts, critique vivement l’idée, qualifiant la taxe de bureaucratique et inefficace.
La présidente des Verts rappelle que la dernière initiative de l'UDC sur la limitation de l'immigration a été rejetée par plus de 60% des voix en septembre 2020. De 2016 à 2021, l'immigration annuelle nette vers la Suisse se situait entre 53 000 et 61 000 personnes. Selon elle, la solution serait d'investir dans les logements abordables et les transports publics pour répondre aux besoins d’une population croissante.
Après une accalmie, la hausse récente de l’immigration nette, qui a atteint 99 000 personnes en 2023, relance les tensions politiques. Simon Michel devra convaincre au-delà des rangs du PLR et du centre pour espérer voir son projet adopté. Pour l’heure, le chemin reste semé d’embûches.
Traduit de l'allemand par Anne Castella