Pour la mort, c'est certain. Mais pour les impôts, on repassera: car en Suisse, près de 25,8% des contribuables ne paie aucun impôt fédéral direct sur le revenu. Oui, vous avez bien lu. Un quart des déclarations d'impôts n'aboutit à aucun prélèvement. Et quand on dit «aucun», c'est vraiment 0.0 franc. Niet, nada, niente.
L'Administration fédérale des contributions (AFC) a transmis les chiffres à watson. Il s'agit des chiffres de l'année fiscale 2020, «la plus récente disponible», nous dit-on. Ils concernent l'impôt fédéral direct sur le revenu. Les résidents étrangers qui paient l'impôt à la source ne sont pas inclus dans ces chiffres.
Voici d'ailleurs la carte de la Suisse mais au niveau cantonal:
Partant de ce constat, on distingue quelques tendances:
En Suisse alémanique, c'est particulièrement la région de Zoug qui se démarque, avec une proportion basse. Mais si on regarde le plateau alémanique, on remarque que celui-ci est «tacheté»: de nombreuses communes rurales ou «dortoir» à moins de 20%.
Mais le contribuable imposable, c'est quoi, c'est qui? Il s'agit d'une personne physique qui remplit une déclaration d'impôts. Il s'agit des travailleurs adultes, mais aussi des mineurs en apprentissage ou qui travaillent ou encore des retraités. Un contribuable peut comprendre un célibataire comme un couple marié — raison pour laquelle le nombre de contribuables est passablement inférieur au nombre d'habitants d'une commune.
Prenons l'exemple de la ville de Lausanne: sur les 145 358 résidents de la commune en 2020, la ville compte 85 757 contribuables, un chiffre qui correspond à 59% de celui de la population. Parmi eux, 58 396 ont payé l'impôt fédéral sur le revenu, soit 68,1%. Il serait par contre illogique de calculer le taux d'habitants qui paient leurs impôts, les couples étant comptés comme un seul contribuable.
Au sein des villes, justement, on observe des différences notables. Pour le démontrer, nous avons pris la liste des vingt communes les plus peuplées de Suisse — auxquelles nous y avons rajouté les neuf plus grandes villes romandes (sans compter les communes de banlieue).
Parmi les vingt plus grandes communes, onze sont alémaniques, sept romandes et deux tessinoises.
La différence avec la moyenne nationale est frappante. La seule ville suisse qui compte moins de 20% de contribuables ne payant pas d'impôt sur le revenu est la 24e commune de Suisse: Zoug, avec 18,4%.
Comment expliquer qu'une partie si importante des contribuables ne paie pas du tout d'impôt fédéral direct sur le revenu? On est allé poser la question à Marius Brülhart, professeur en économie à la faculté des Hautes études commerciales (HEC) de l'université de Lausanne. Il explique:
«On y trouve par exemple des jeunes en cours d’études, des personnes en situation de handicap ou qui ont décidé ou ont été forcés d’interrompre leur vie active pour une raison quelconque. Mais aussi, de très petits revenus», illustre le professeur.
Il donne ainsi un exemple type: «A Lausanne par exemple, cela pourrait être un parent seul avec deux enfants et qui gagne 45 000 francs bruts par année. Les déductions fiscales font qu’une telle personne ne paie tout juste pas d’impôt sur le revenu. On pense à des femmes qui élèvent seules leurs enfants et doivent travailler dans des secteurs mal payés.» Le professeur note:
Celui qui est aussi le rédacteur en cheffe de la Revue suisse d'économie et de statistique tient d'ailleurs à préciser: «Même si ces gens ne versent pas d’impôt sur le revenu, ils en paient d’autres, comme la TVA et les contributions AVS.»
Aussi, ne pas payer d’impôt fédéral sur le revenu n’est pas forcément un problème, met en garde Marius Brülhart: «Je note que les communes où le taux est haut sont souvent plutôt pauvres ou rurales, peut-être avec un secteur agricole en difficulté et une démographie défavorable.»
Le professeur analyse: «L’impôt sur le revenu n’a pas juste vocation à renflouer les caisses de l’Etat. Il permet aussi de rétablir un certain équilibre social, ce qui est beaucoup moins le cas avec la TVA ou les primes d’assurance maladie, car ces contributions tout aussi obligatoires ne tiennent compte que partiellement de la capacité contributive des gens.»
Il complète: «Il faudrait impérativement creuser plus profond dans ces statistiques. Le fait qu’une partie de la société ne paie pas d’impôt sur le revenu peut être une bonne comme une mauvaise chose.»
«Prenons le cas des villes, par exemple, où ce taux est assez haut: qui ne paie pas d’impôt sur le revenu? Il peut s’agir d’un étudiant en médecine qui va ensuite bien gagner sa vie, tout comme d’une personne de 50 ans au social qui a des difficultés depuis des années et peine à s’intégrer sur le marché du travail ou la société.»