Anton T. a 81 ans et a eu une vie riche – littéralement. Il a inventé un appareil qui est aujourd'hui essentiel à la médecine d'urgence. Son invention lui a permis de fonder une entreprise de technique médicale dans le canton de Zoug qui emploie plus de mille personnes et qui est leader mondial dans son domaine.
Anton T. est encore impliqué dans son entreprise: il est président du conseil d'administration. Mais il préfère éviter les feux de la rampe. Afin de protéger le droit de la personnalité de l'entrepreneur, ce texte ne contient pas tous les détails et utilise un pseudonyme. Sa personne en elle-même n'a pas d'intérêt publique, contrairement à son histoire. Celle-ci porte sur les astuces fiscales présumées d'un multimillionnaire et sur les preuves apportées par la justice dans le cadre d'un procès circonstanciel.
Tout a commencé par une simple transaction immobilière. Pendant des années, Anton T. a habité dans le canton de Zurich dans une grande maison avec une petite piscine. Valeur estimée: trois millions de francs. Mais ensuite, sa femme et lui ont acheté une deuxième villa dans le canton de Zoug – avec une plus grande piscine. Prix d'achat: six millions de francs.
Le couple a ensuite déplacé son domicile fiscal à Zoug. Ce déménagement leur économiserait tellement d'impôts qu'il rentabiliserait rapidement l'achat de la maison. Un tel déménagement dans un paradis fiscal ne vaut la peine que pour les personnes très fortunées, car les économies réalisées doivent compenser les prix plus élevés de l'immobilier.
L'administration fiscale zougoise a accueilli les nouveaux contribuables les bras ouverts et leur a envoyé une décision de taxation. Mais des enquêteurs fiscaux zurichois ont eu des soupçons et sont intervenus auprès de leurs collègues zougois. En effet, le couple continuait à utiliser les deux maisons. Les riches nouveaux arrivants avaient-ils vraiment déplacé leur lieu d'habitation?
L'administration zougoise a tenté de se débarrasser de l'administration fiscale zurichoise en insistant sur sa propre compétence. Cela marqua le début d'un litige fiscal intercantonal.
Comme les cantons n'arrivaient pas à se mettre d'accord, l'Administration fédérale des contributions a arbitré l'affaire. Ce cas n'est pas inhabituel. Au cours des quatre dernières années, des cantons se sont disputés à propos de contribuables dans 82 cas similaires. Ceux-ci suivent généralement le même schéma: des cantons aux impôts plus élevés se cabrent lorsque des personnes fortunées déplacent leur domicile dans des circonstances douteuses vers un canton à faible fiscalité. Notons le: ces procédures sont souvent dirigées contre Zoug.
Le canton défend sa première place au niveau national en matière de densité de millionaires: un Zougois sur six déclare une fortune de plus d'un million de francs. Dans le canton de Zurich, c'est tout de même un habitant sur dix. Dans le Jura, en revanche, il n'y a qu'un millionaire par 40 habitants.
Au cours des dernières décennies, la densité des millionaires a augmenté dans tous les cantons. Mais l'évolution a été particulièrement forte à Zoug: en 24 ans, la part des millionnaires y a presque triplé.
Le cas d'Anton T. montre que la justice ne voit pas toujours les méthodes zougoises d'un bon œil. L'administration fédérale des contributions a ainsi donné raison à Zurich, déterminant que le domicile fiscal n'avait pas changé. Le couple a ensuite porté le litige devant le Tribunal administratif fédéral. Celui-ci a toutefois également tranché en faveur de Zurich et contre Zoug. Le jugement donne un aperçu de la manière de procéder des spécialistes de la fiscalité.
Les indices suivants indiquent que l'entrepreneur et sa femme ont déplacé leur siège fiscal, mais pas leur lieu d'habitation de Zurich à Zoug.
Il existe également des indices qui suggèrent que la résidence principale est bel et bien à Zoug. Ainsi, le couple a remis au tribunal des photos de fêtes de famille à Noël et au Nouvel An dans leur nouvelle villa à Zoug. Le tribunal reproche toutefois au couple d'avoir choisi leurs preuves de manière sélective et non représentative.
L'Administration fédérale des contributions a énuméré les justificatifs que la famille fortunée aurait dû fournir. La liste remplissait une page A4 entière: les époux auraient dû présenter non seulement leurs décomptes de cartes de crédit et leurs achats de meubles, mais aussi leurs agendas ou les décomptes de leur raccordement au réseau fixe. Ils auraient, en outre, dû documenter qui a passé la nuit où et quand. Le couple d'entrepreneurs a manifestement trouvé que cela allait trop loin.
Ce cas montre que les riches ne reçoivent pas de traitement spécial. L'administration fiscale zurichoise a même été particulièrement sévère dans ce cas. L'autorité a pu démontrer que Zurich semblait plus probable que Zoug comme lieu de résidence, renversant ainsi la charge de la preuve. Le couple aurait donc dû prouver le contraire.
L'administration fiscale zougoise peut toutefois faire preuve de la même acuité lorsqu'elle essaie elle-même d'empêcher une fuite vers un autre paradis fiscal. Ainsi, en 2017, les fonctionnaires fiscaux zougois en sont venus à investiguer le lieu d'achat des capsules Nespresso de l'ex-patron de Novartis Daniel Vasella, qui cherchait à payer ses impôts à Monaco, paradis fiscal encore plus avantageux. Grâce aux capsules Nespresso et une multitude d'autres indices, les autorités zougoises ont pu prouver qu'il devait toutefois continuer à payer ses impôts dans le canton de Zoug.
Que dit Anton T. de l'action des autorités fiscales? Il reste fidèle à lui-même – et se tait.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci