Consommation d'énergie par l'IA en Suisse: «On n'a aucun chiffre fiable»
Parmi les préoccupations qui accompagnent l'avènement de l'IA générative, il y en a une qui prend de plus en plus d'ampleur: la consommation d'énergie de cette technologie, très gourmande en eau et en électricité. C'est ce qui ressort d'un «sondage représentatif» mandaté par l'ONG AlgorithmWatch Suisse, dont les résultats ont été diffusés ce lundi.
Concrètement, sept Helvètes sur dix craignent que la consommation d’eau des centres de données récemment construits puisse nuire à l’écosystème environnant, tandis qu'une proportion équivalente de la population demande que ces structures soient alimentées par de l'énergie renouvelable. Nous avons profité de l'occasion pour échanger avec Angela Müller, directrice d'AlgorithmWatch Suisse. Interview.
Les résultats du sondage sont très clairs. Cela vous a-t-il surpris?
Oui et non à la fois. D'un côté, nous avons constaté qu'une partie de la population ne sait pas que les centres de données consomment beaucoup d'énergie. De l'autre, les personnes qui sont au courant sont très concernées par ce problème et réclament des solutions. Ce décalage montre qu'il n'y a pas de transparence autour de ce sujet, ni de débat public. Et cela rend les résultats du sondage encore plus impressionnants.
Quelles sont les pistes que vous envisagez pour améliorer la situation?
Nous avons besoin d'une stratégie à long terme, puisque la consommation d'électricité et d'eau des centres de données va augmenter de plus en plus au cours des prochaines années, y compris en Suisse.
Quelle est la situation en Suisse?
Nous savons qu'il y a beaucoup de centres de données en Suisse, notamment par nombre d'habitants. On estime qu'ils représentent 6 à 8% de la consommation d'électricité du pays. Pourtant, les entreprises n'ont aucune obligation de fournir des chiffres, ce qu'elles ne font par ailleurs pas. La situation n'est donc pas transparente.
Les acteurs du secteur peuvent-il jouer un rôle, malgré tout?
Oui. Beaucoup de centres de données cherchent à développer ou à appliquer des solutions pour être plus efficaces, par exemple en utilisant la chaleur résiduelle. Des approches intéressantes existent, mais nous avons également besoin de certaines règles. Nous ne pouvons pas dépendre uniquement de la bonne volonté des entreprises concernées.
A quelles règles pensez-vous?
Le premier pas consiste à obtenir plus de transparence. C'est essentiel. A l'heure actuelle, nous ne disposons pas de chiffres fiables sur la consommation d'énergie et d'eau de cette technologie. OpenAI a fourni quelques chiffres, mais celles-ci ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante.
Deuxièmement, les centres de données et les entreprises d'IA devraient être obligés de prendre des mesures pour réduire leur consommation et leur impact environnemental.
Cela doit-il également passer par l'usage d'énergies renouvelables?
Oui, c'est un point fondamental. Les centres de données doivent être alimentés par des énergies renouvelables, même si cela s'annonce compliqué: selon les estimations des spécialistes, la production totale d'énergie verte prévue par la loi suisse ne suffira pas à couvrir les besoins de ce seul secteur d'ici 2030. En particulier pour les nouveaux centres de données, on a donc besoin d’énergies renouvelables supplémentaires, qui ne sont pas soustraites à d’autres secteurs qui en auraient un besoin urgent pour décarboner. C'est donc une question de politique énergétique.
Justement, quelle est la situation au niveau politique?
La durabilité de cette technologie ne figure pas dans le mandat chargé d'élaborer une réglementation sur l'IA, que le Conseil fédéral a confié à l'administration au début de l'année. C'est problématique, puisqu'il s'agit d'un thème très important. En revanche, on voit que les choses commencent à bouger au Parlement fédéral.
Il y a finalement un décalage entre la politique énergétique, la politique climatique et la politique de la technologie. Pourtant, le développement technologique et la protection du climat devraient aller de pair. Nous avons besoin de dialogue entre ces deux sphères.
Les particuliers peuvent-ils jouer un rôle?
La responsabilité ne doit pas tomber sur les simples individus, c'est important de le souligner. La solution ne consiste pas à dire non à cette technologie. Il faut plutôt se demander quel type d'IA on veut. Aujourd'hui, le récit dominant veut qu'on utilise tout le temps les plus grands modèles de l’IA générative, dans tous les domaines de notre vie. Il faudrait se demander où elles sont indiquées et où d'autres approches sont plus judicieuses.
Est-il vraiment utile d'agir en Suisse, sachant que le problème est global?
Beaucoup d'entreprises de la big tech sont présentes en Suisse, mais nous ne savons pas grand-chose sur leurs activités. L'utilisation et le développement de certaines technologies peuvent se faire dans un pays, alors que la consommation se produit dans un autre.
