«Voilà, tu enlèves la sécurité comme ça. Garde le doigt hors de la détente. C'est lourd, hein?» Notre recrue, en veste de sport et pantalon de training, fait un geste de la tête pour ramener sa mèche de cheveux sur le côté.
Enfin, recrue, elle ne l'est pas encore. Océane, 18 ans, participe à la journée d'information sur l'armée, à Colombier, dans le canton de Neuchâtel. La sergente d'infanterie, qui la seconde, reprend l'arme et continue la démonstration, effectuant un changement de magasin et tirant la culasse en arrière. Cric-crac-clac. Un petit groupe de jeunes femmes observe avec attention.
Le Conseil fédéral ambitionne de rendre obligatoire cette journée d'information au féminin. Pour l'instant, un simple courrier est envoyé aux Suissesses, à leur majorité. La plupart d'entre eux finissent à la poubelle — mais pas pour ces 39 jeunes de la région neuchâteloise.
Les filles rencontrées dans l'enceinte du château de Colombier ont la gnaque. «Je regarde des films d'action depuis que je suis toute petite, je fais des sports de combat», lâche tout de suite Clarys. Celle qui a plutôt l'air d'une grande intellectuelle, avec ses larges lunettes et son petit chignon serré, est bien décidée à vouloir en découdre.
A ses côtés, Mayli, du même âge. «J'ai un fort caractère, je me suis toujours affirmée au milieu des garçons», lâche-t-elle. Elle aussi veut servir comme fantassin, mais s'intéresse également au cursus de pilote. Une longue formation complète et complexe et où les chances de finir dans le cockpit ne sont réservées qu'à une poignée d'élus.
«Il y a un intérêt pour toutes les fonctions», précise le colonel Yves Vuillermet. De nombreuses participantes voulaient ainsi intégrer l'infanterie, mais aussi les troupes de chars, la police militaire, l'aviation ou encore les cuisines.
Et le cliché selon lequel les filles qui s'engagent sont avant tout intéressées par l'aspect médical ou les animaux est daté.
Les femmes s'engageant en toute connaissance de cause, elles ont la possibilité de finalement refuser de servir, si la fonction qu'elles visent ne leur est pas attribuée.
Mais beaucoup veulent faire l'armée avant tout. Et ce n'est pas le soutien parfois inégal de certains membres de leur famille et amis qui va les retenir:
Les participantes autour d'elle éclatent de rire. «Mes parents m'ont dit que j'étais folle», lâche en face d'elle Océane. «Quand je dis que je veux faire l'armée, toutes les filles autour de moi font la grimace.»
«Si on veut quelque chose, on l'obtient. Mais il faut y croire», renchérit-elle. Comme cette autre jeune qui veut devenir sanitaire: «Mon père est soucieux. Il m'encourage, mais il a un peu peur.» Puis elle sourit en disant:
Le fait d'avoir, dans son entourage, une femme qui s'est engagée est parfois un critère déterminant. Rosanne a été inspirée par une connaissance. «Savoir que cela s'est bien passé pour elle m'a rassurée», dit-elle. Un ami qui sortait de l'école de recrues et l'a soutenue a terminé de la convaincre.
Si la motivation est intacte, elle devra passer l'épreuve du recrutement. Toutes les fonctions sont ouvertes aux femmes, mais le barème des tests sportifs — saut en longueur, lancer d'un ballon de 2 kg, équilibre, course et gainage — est unisexe. Pas de passe-droit: sur le terrain, une soldate devra porter les mêmes charges que ses camarades masculins. Sur l'exercice d'équilibre, les femmes feraient toutefois de meilleures performances, assure une officière présente.
Pour se confronter à cette réalité, on présente le «paquetage complet»: gilets pare-éclats (comprendre: pare-balles), sac à dos, harnais et fusil. «Ça pèse combien, tout ça?», demande une fille à Margot, qui est en train de terminer son école de recrue, et peine à faire pivoter le large sac kaki autour de ses épaules.
Un dernier détail d'importance est abordé: toutes les questions taboues — entre femmes. La première lieutenante faisant la présentation demande aux hommes de quitter la salle. Les ordres, ce sont les ordres. Yves Vuillermet et moi-même prenons la porte. Nous n'en saurons pas plus sur ce qui s'est dit exactement, mais ce moment permet de répondre à toutes les interrogations sensibles. Les filles disposent-elles de leurs propres dortoirs et douches? Ont-elles vécu des cas de harcèlement? Comment fait-on sur le terrain en cas de règles douloureuses?
«Il s'agit de briser la glace», m'explique le colonel autour d'un café et d'un paquet de biscuits militaires, dans la salle d'à côté. «Celles qui ont vécu l'armée peuvent directement répondre aux questions de celles qui veulent y aller.»
L'armée a intérêt à tout faire pour recruter tous les jeunes possibles, notamment pour certaines fonctions précieuses, comme les médecins militaires. Or, les étudiants en médecine sont en majorité des femmes — des crédits universitaires sont même débloqués à l'issue du service. C'est aussi pour cette raison que la journée est encadrée par des soldates et officières, histoire que les participantes puissent se projeter.
Certaines fonctions particulièrement physiques restent difficiles d'accès. Aucune femme n'a encore réussi son entrée chez les fameux «grenadiers». Mais les soldates sont nombreuses dans l'infanterie, où le challenge physique est bien réel, comme notre sergente qui a mis son fusil en bandoulière et répond à la question d'Océane, qui lui demande ce que cela fait de porter le fusil et le paquetage toute la journée.