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9 millions en Suisse: «Comment la démographie est devenue un problème»

Large group of people seen from above, gathered in the shape of a circle, standing on a concrete background
Neuf millions d'habitants en Suisse. Olivier Meuwly (médaillon).Image: Shutterstock

9 millions: «Comment la démographie est devenue un problème en Suisse»

Historien, proche du Parti libéral-radical, Olivier Meuwly commente les derniers chiffres, en hausse, de la population suisse. Il explique le rôle politique joué par la démographie au fil des décennies, comment ce qui était un atout est devenu une source d'angoisse.
20.09.2023, 18:4721.09.2023, 09:07
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watson: C’est officiel. La Suisse compte 9 millions d’habitants, 3 millions de plus qu’il y a trente ans. Cette augmentation, perçue plus ou moins comme inéluctable, provoque des angoisses de surpopulation. A-t-on connaissance dans le passé d’un rapport angoissé des Suisses à leur démographie?
Olivier Meuwly: Cette angoisse est assez récente. Elle n'était pas présente au 19e siècle. Il s’agissait à l'époque de construire quelque chose de nouveau, qui allait de pair avec un accroissement de la population. L'émergence de la population comme un possible problème s'est faite avec l’immigration. Fallait-il ou pas l’encourager? Le faut-il ou non aujourd'hui? Mais longtemps ce fut moins une question tenant aux chiffres qu’à la composition du pays. Comment allait-on s’y prendre pour accueillir les ouvriers venus d’ailleurs? Je n'ai donc pas souvenir qu’il y ait eu, au 19ᵉ siècle, comme au début du 20ᵉ, et par la suite aussi, une angoisse par rapport à l’extension de la population proprement dite.

Et par rapport à ce que la terre pouvait donner?
Ce n’était pas la question il y a un siècle ou plus. La terre pouvait et devait donner assez pour nourrir les Suisses comme les autres peuples.

«On est encore au 19ᵉ siècle où domine l’idée de progrès, une idée qui va durer très longtemps. Même si, à l’époque déjà, des craintes se font jour sur les ravages des progrès économiques sur l’intérêt de la nature»

De qui émanent ces craintes?
Des milieux conservateurs. Ces craintes ne sont pas dues au nombre de personnes, mais, leur reprochent ces mêmes milieux, aux menées des capitalistes qui n’ont que le profit à l’esprit et ne pensent qu'à construire partout où ils le peuvent des voix de chemins de fer. Jusqu’à l’intérieur du Cervin, un projet qui échouera. Jusqu'à l'intérieur de la Jungfrau, un projet qui aboutira et donnera naissance à la station mondialement connue du Jungfraujoch.

Les pessimistes ne sont pas à la fête.
En effet. Le discours qui ne voit pas de problème à l’augmentation de la population restera dominant jusqu’à relativement récemment. Souvenons-nous que Malthus, l’économiste britannique qui prônait à la fin du 18ᵉ siècle une régulation des naissances chez ceux qui n’avaient pas les moyens de subvenir à leurs besoins, était très critiqué par les premiers libéraux, tel Benjamin Constant, pour qui tout cela était foutaise.

Pourquoi ne craignait-on pas, à l’époque, l’augmentation de la population?

«Parce que plus de population signifie plus de puissance, plus de consommateurs, plus de vigueur, plus de santé, plus de progrès, plus de protection face à l'ennemi»

Tout le monde voit alors l’accroissement de la population comme une chance. Avoir une population nombreuse, c’est la garantie de perpétuer la race, un terme en vogue à l'époque. Cela dit, comme noté plus haut, et ce n’est pas contradictoire avec la notion de race ou de peuple, c’est aussi à cette époque, au début du XXe siècle pour être précis, qu’est créé le Parc national suisse, dans les Grisons. L’idée est qu’on ne peut pas aimer la patrie sans aimer sa nature.

A partir de quand la Suisse devient-elle un pays d’immigration?
Les prémices ont lieu à la fin du 19ᵉ siècle, principalement de la main-d’œuvre italienne appelée pour de grands travaux. Le phénomène migratoire prendra son réel envol après la Seconde Guerre mondiale.

La réponse pourra paraître évidente, mais pourquoi une distinction apparaît-elle entre la population suisse et la population étrangère présente en Suisse?
Se sont toujours posées les questions de quoi faire des étrangers arrivant en Suisse, de comment les intégrer. Ces questions vont prendre de l’ampleur progressivement avec la venue de nouveaux immigrés accompagnant la croissance économique.

«On voit émerger un double discours dans les années 1970. D’abord le constat que le nombre accru d’immigrés bouscule les équilibres. Cela donnera les initiatives Schwarzenbach pour le renvoi des étrangers, toutes rejetées»

Et par ailleurs?
En même temps, il y a une prise de conscience de la finitude de la nature. Je fais ici référence au rapport Meadows de 1972, intitulé «Les Limites à la croissance (dans un monde fini)».

«Les nouvelles gauches seront en partie influencées par ce discours préécologiste»

Droite nationaliste et gauche internationaliste main dans la main?
Ce qui est sûr, c'est qu'à droite et à gauche, il y a des réactions à une croissance qui apparaît à certains comme illusoire. Les crises économiques des années 1970, en mettant un terme aux Trente Glorieuses et à l’extension qu’on pouvait penser sans fin de l’Etat providence, vont renforcer ce sentiment de finitude. C’est à partir de là que se met en place un discours pronature et anticroissance. Lequel va rencontrer un propos sur les risques d’une démographie perpétuellement en hausse, qui voudrait qu’«on ne peut pas avoir plus de gens que de raison».

On a vu monter un discours identitaire ces vingt dernière années en Suisse. On n’y entend pas trop l’expression «grand remplacement», mais la crainte d’une «submersion migratoire» est bien là, forte de considérations d’ordre sécuritaire et culturel, comme en atteste la campagne de l'UDC alémanique sur les réseaux sociaux en vue des élections fédérales. Au fond, c'est la suite et le développement de votre constat valant pour les années 1970.
On peut même remonter aux milieux nationalistes de la fin du 19e siècle et à la montée en leur sein de l’antisémitisme. Mais ces milieux ne sont alors pas majoritaires. L’idée de nation va même être réduite en bouille après la Seconde Guerre mondiale, par la gauche surtout. Elle va reprendre du poil de la bête et devenir un objectif pour certains dans les années 1990, la chute du mur de Berlin contribuant au retour des nations.

«Se pose à ce moment-là la question de savoir ce que sont les peuples dans ce vaste ensemble bureaucratique, technocratique et socialo-libéral tant qu’on y est»

Pensez-vous que l’initiative en cours de l’UDC fixant le seuil maximum de la population en Suisse à 10 millions d’habitants ait des chances de l’emporter en votation?
Je ne le pense pas. Il y a là quelque chose d’artificiel, d'arbitraire. Quelle différence y a-t-il entre 9 999 999 et 10 000 001 habitants? En revanche, je ne doute pas que cette initiative aura un écho très grand si elle aboutit.

«Se referont alors ces liens informels entre dégâts écologiques et surpopulation»

Les contradictions à ce propos sont-elles tenables chez les Verts?
On verra, mais elles sont tenaces. La présente initiative de l’UDC a le mérite de la franchise. On ne pouvait pas en dire autant de l’initiative Ecopop, rejetée par les Suisses en 2014. Elle était combattue par tout le monde. Elle mêlait préservation de la nature et lutte contre la surpopulation.

«Les Verts à l’avenir vont être embêtés: comment vont-ils justifier d’accueillir toujours plus de gens sur un territoire qui, d’après eux, ne peut plus le faire?»
Le discours poignant de ce rugbyman fait craquer ses coéquipiers
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