A combien se montent les pertes de rendement en blé cette année?
Pierre-Yves Perrin: Il est difficile d’apporter une réponse précise, car nous n’avons pas encore recensé les rendements de toutes les exploitations céréalières suisses. Mais d’après les échos en provenance de certaines régions et de certains producteurs, on peut avancer un ordre de grandeur entre 20% et 30% de pertes par rapport à l’année dernière.
Quelles en sont les causes?
On a eu beaucoup d’humidité et de pluie depuis les semis du mois d’octobre, et ce, quasiment jusqu’à la récolte de ces dernières semaines. Cette humidité a eu un impact négatif sur la fécondation et la formation des grains. Elle a favorisé, par ailleurs, le développement de maladies, avec l’apparition de champignons. Le moment le plus critique a été celui de la floraison des céréales, en avril et mai, en raison d’une période très humide plutôt fraîche. Or, c’est précisément à cette période que les plantes ont besoin d’apport de chaleur et d’ensoleillement.
Le changement climatique est-il un sujet de réflexion pour le secteur céréalier suisse?
Bien sûr. La réflexion est engagée depuis de nombreuses années déjà. Nous avons une sélection de blés adaptée à nos conditions de production. La chose difficile à gérer, ce sont les extrêmes, avec des années parfois très sèches, comme typiquement en 2023, et des années fraîches et humides comme 2024. Notre défi est d’avoir des plantes capables de s’adapter à tous ces types de conditions.
D'où l'importance des variétés de blés...
Il importe que nous ayons des variétés, d’une part, résistantes, d’autre part, tolérantes à la plupart des maladies. Il faut des variétés adaptées à nos climats et à nos types de sols. On a en Suisse une sélection pour le blé panifiable, destiné à la production de pain, et on tient à la conserver, c’est primordial.
Quelle est la production moyenne de blé en Suisse?
Elle est environ de 400 000 tonnes par année. Sur les 141 000 hectares dédiés à l’agriculture céréalière, la part panifiable occupe environ 90 000 hectares, dont 80 000 en blé panifiable. Le reste, ce sont des céréales fourragères, destinées à nourrir les animaux.
Quels sont les noms des variétés de blés cultivées en Suisse?
Il y en a toute une série. J'en citerai une, la variété Nara.
Cette variété doit-elle être adaptée?
On ne peut pas vraiment adapter ou corriger une variété existante. Il s’agit plutôt, si nécessaire, de sélectionner à la place de nouvelles variétés. La sélection y travaille actuellement et depuis longtemps. Cela n’a pas commencé avec la problématique du réchauffement climatique. Il faut savoir que la sélection d’une variété est un processus long, qui peut durer une dizaine d’années.
De quoi faut-il tenir compte?
Plusieurs paramètres entrent en jeu: la nature des sols, le climat, le rendement, etc. Cela dit, si on teste une variétés deux années de suite, avec des conditions climatiques différentes d’une année à l’autre, et qu’on obtient de bons résultats, on pense qu’on aura là une variété adaptée à nos conditions de production. A l’inverse, une variété qui ne résisterait ni au sec ni à l’humidité ne serait pas prometteuse, comme on s’en doute.
L’idéal est-il d’avoir une variété qui résiste aux fortes chaleurs comme au froid humide?
Le secteur céréalier est-il confronté à des restrictions d'emploi de produits phytosanitaires pour lutter contre les dégâts causés par l’humidité, par exemple?
La question ne se pose pas vraiment comme ça, puisque l’essentiel de blé panifiable en Suisse est produit sans le recours à des produits phytosanitaires, autrement dit, sans fongicides (contre les champignons), sans insecticides et sans régulateurs de croissance. On dispose de variétés pour la plupart résistantes aux maladies qu’on rencontre en Suisse. En revanche, on utilise des herbicides.
Y a-t-il des conditions à l’emploi de fongicides dans l’agriculture céréalière?
Les exploitants qui le souhaitent peuvent avoir recours à des fongicides, notamment lorsque la maladie est trop forte. Pour ce faire, ils doivent se désinscrire en cours d’année du programme d’agriculture extensive, par quoi on entend une agriculture sans produits phytosanitaires. Il y a là une certaine souplesse.
Il y a par ailleurs la question sensible des assurances contre les pertes de rendements. La Confédération devrait prendre à sa charge, on parle d’un tiers, le montant de l’assurance contractée par l’exploitant. Aujourd’hui, des agriculteurs renoncent à prendre une assurance, jugée trop chère.
La Confédération pourrait en effet intervenir à hauteur d’un tiers pour les assurances récoltes. A ce stade, cela reste encore flou. Il faudra bien mesurer l’intérêt pour l’exploitant de contracter une assurance avec ce nouveau régime.
Les fortes pertes de rendement cette année vont-elles durement affecter certains producteurs céréaliers?
Oui, je peux m’imaginer que l’année sera financièrement délicate pour plusieurs exploitants. Mais beaucoup dépendra des résultats des autres cultures. Une exploitation suisse ne comprend pas que des céréales. On y trouve aussi du colza, des pommes de terre, de la betterave et encore des animaux, par exemple. Le revenu global est un ensemble de revenus partiels.
Doit-on s’attendre à l’avenir à une diminution de la production céréalière en Suisse de manière structurelle, étant donné les aléas climatiques?
Les agriculteurs sont habitués à se baser sur des moyennes et pas sur une année en particulier. En 2022 et 2023, les rendements céréaliers ont été corrects. Si on se fonde sur des moyennes, les rendements de céréales panifiables sont assez satisfaisants. On espère que ces surfaces-là ne diminueront pas.
La Suisse est-elle autonome en céréales produites?
Elle l’est à 90%. Elle l’est au deux tiers pour tout ce qui concerne les produits de boulangerie.
Les Suisses risquent-ils de manquer de blé panifiable à cause de la forte de baisse des rendements cette année?
Nous ferons un bilan dans la filière au mois d'octobre. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne va pas manquer de blé. Au pire, on pourrait envisager d'en importer un peu plus que d'habitude. Notre objectif, pour des raison économiques, c'est de transformer la même quantité de blé qu'à l'ordinaire dans les moulins. Ce que nous voulons surtout éviter, c'est l'importation de produits finis. Les consommateurs n'ont pas de craintes à avoir: ils ne manqueront pas de pain.