Suisse
Interview

Artem Rybchenko, ambassadeur ukrainien en Suisse, repart à Kiev

L'ambassadeur d'Ukraine à Berne dit ce qu'il pense vraiment de la Suisse

Artem Rybchenko a été ambassadeur ukrainien en Suisse de 2018 à 2022, il a quitté la capitale mardi. Avec le début de la guerre le 24 février, il s'est retrouvé sur le devant de la scène. Il revient désormais à Kiev en tant qu'ambassadeur spécial pour la reconstruction.
27.12.2022, 06:1027.12.2022, 12:38
Artem Rybchenko, Ukrainischer Botschafter in der Schweiz, posiert zwischen der Ukrainischen und der Schweizer Flagge, nach einer Medienkonferenz in der Ukrainischen Botschaft, am Dienstag, 23. August  ...
Artem Rybchenko, l'ambassadeur ukrainien en Suisse, retourne à Kiev.Image: sda
Othmar von Matt / ch media
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Vous étiez à Kiev et êtes revenu brièvement à Berne. Combien de temps cela vous a-t-il pris?
Artem Rybchenko:
Environ deux jours. J'ai fait le trajet en voiture de Kiev à Vinnytsia, car le train ne circulait pas pendant quelques heures. Ensuite, j'ai pris le train pendant quinze heures jusqu'à Vienne. Et de là, j'ai pris l'avion jusqu'à Zurich.

Comment avez-vous vécu l'ambiance à Kiev après les épuisants tirs de roquettes?
C'est la sixième fois que je me rends en Ukraine depuis le début de la guerre, le 24 février 2022. Lors de ces visites, le tableau était à chaque fois différent. En été, il y avait nettement moins de problèmes d'énergie et de chauffage qu'aujourd'hui. La situation était également meilleure dans les hôpitaux. Mais cette fois-ci, quelque chose m'a particulièrement impressionné: à quel point les gens sont forts intérieurement. Ils veulent absolument gagner cette guerre.

«Ils pensent même que la Russie l'a désormais perdue»

Vraiment?
Oui. Regardez ce que font les Russes: ils perdent sur le plan militaire. C'est pourquoi ils se réfugient dans des solutions bon marché et attaquent nos infrastructures civiles depuis l'extérieur du pays. Ils l'ont déjà fait cet été. Ils ont alors empêché le transport maritime de produits agricoles. En hiver, ils s'en prennent au secteur de l'énergie. Et au printemps, ils tenteront probablement de s'attaquer au système hydraulique de l'Ukraine.

Pourquoi cela?
Nous avons parfois des inondations au printemps, lorsque l'eau s'écoule des montagnes de l'ouest de l'Ukraine vers la plaine. Nous devons alors nous attendre à ce que les Russes attaquent le système d'infrastructures critiques avec des missiles, ce qui poserait à nouveau problème pour l'agriculture en raison des inondations.

A quoi ressemble la vie à Kiev?
Savez-vous ce qui se passe, aujourd'hui, dans un immeuble typique de Kiev?​

Non. Dites-le nous.
Dans l'ascenseur se trouve une boîte d'urgence pour le cas où il n'y aurait plus d'électricité après un bombardement et que l'ascenseur resterait bloqué. Dans cette boîte, il y a de l'eau, des biscuits et des produits médicaux.​

Les gens osent-ils encore prendre l'ascenseur?
A Kiev, il y a de très nombreux immeubles avec ascenseurs. Si l'on vit au deuxième ou au troisième étage, on peut bien sûr monter les escaliers. Mais c'est différent si l'on vit au 25e ou au 35e étage...

Après quatre ans et demi en tant qu'ambassadeur en Suisse, vous avez pris congé, mardi dernier, du président de la Confédération Ignazio Cassis. Comment se sont passés ces adieux?
Très amical et chaleureux. Ignazio Cassis est un grand ami de l'Ukraine. En tant que médecin, il comprend les sentiments des personnes qui perdent leurs bras ou leurs jambes dans la guerre. Il est aussi toujours resté humain. Et en tant que président de la Confédération, il doit suivre de près les événements mondiaux.

Qu'avez-vous pensé de votre travail avec lui?
L'année précédant la guerre, j'étais déjà avec lui à Vilnus, Odesa et Kiev; et pendant la guerre à Lugano et Kiev. Nous avons également longuement parlé ensemble lors du voyage en train de la Pologne à l'Ukraine. La communication avec lui et son équipe a toujours été très positive, ouverte et transparente.​

Que ferez-vous à votre retour en Ukraine?
Je serai ambassadeur spécial pour la reconstruction de l'Ukraine.​

C'est un travail à forte responsabilité.
Ce n'est pas un travail. C'est ma vie. Aujourd'hui déjà, je m'endors en pensant à ma nouvelle mission et je me réveille avec elle. Celui qui travaille pour l'Etat en cette période de guerre essaie de faciliter les meilleurs contacts et de prendre les décisions les meilleures et les plus rapides. Il veut rendre la sécurité à son pays et à son peuple.

«En cette période, on n'est pas seulement responsable de sa propre famille, mais de toute la nation»

Le président Volodymyr Zelensky et notre équipe en sont la preuve.​

Vous venez de rencontrer Zelensky à Kiev. Comment s'est passée la discussion?
De manière positive, comme toujours. Dans cette guerre, il est le meilleur président possible pour l'Ukraine. Certes, ce n'est pas un homme politique classique, mais il rayonne de courage et d'envie. Il donne de l'énergie à ses visiteurs et on veut tout faire pour l'aider.​

La conversation a-t-elle également montré que la nouvelle ambassadrice Irina Venediktova doit se montrer plus ferme en Suisse à propos des fonds des oligarques russes?
Franchement, nous avons davantage parlé de l'époque où j'étais à Berne. Durant cette période, l'accent a été mis sur la reconstruction de l'Ukraine. La conférence de Lugano a donné le coup d'envoi. Nous avons discuté de la manière de poursuivre ce processus.

Malgré tout, l'ambassade ukrainienne cible-t-elle davantage les fonds des oligarques russes en Suisse?
Il n'est pas facile de donner une réponse claire à cette question. Chaque ambassadeur reçoit des instructions du président et du ministre des Affaires étrangères pour travailler dans «son» pays. Bien sûr, nous savons que la Suisse est une place financière et bancaire très importante en Europe et dans le monde.

«De mon temps déjà, nous mettions l'accent sur les fonds des oligarques»

Ainsi, Oleksii Makeiev, le représentant spécial pour la politique des sanctions, a rencontré des experts au département des Affaires étrangères (DFAE) et au Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco). Makeiev est entre-temps devenu le nouvel ambassadeur ukrainien en Allemagne.

Les oligarques russes et leurs fonds en Suisse vont donc effectivement être davantage au centre de l'attention?
Ils pourraient être au centre de l'attention. Mais cela n'est pas dirigé contre la Suisse. Notre objectif est que les oligarques russes qui ont de l'argent en Suisse et qui sont impliqués dans cette guerre ne puissent pas simplement utiliser cet argent pour leur hobby ou le transmettre à leurs enfants. Il n'est approprié que si cet argent est utilisé pour la reconstruction de l'Ukraine. Mais je voudrais insister ici sur un autre point.

Lequel?
Nous respectons les lois internationales, nous respectons les lois des différents Etats et nous ne faisons rien contre le droit national des pays où se trouvent les fonds des oligarques. En Suisse, il faut de nouveaux instruments pour pouvoir déterminer à qui appartiennent vraiment certains fonds. Le Parlement doit les approuver.

Combien d'argent russe est gelé en Suisse?
Officiellement, il s'agit de 100 millions de francs, à ce jour.​

Ce n'est pas énorme.
Il pourrait y en avoir plus.

La Suisse devrait-elle en faire davantage pour l'Ukraine ? Le Sonntags-Blick a montré que l'aide est plutôt modeste par rapport à d'autres pays.
La Suisse fait partie des dix pays les plus importants lorsqu'il s'agit de soutenir l'Ukraine. Elle a lancé le processus de reconstruction à Lugano, elle vient d'approuver une deuxième enveloppe de 100 millions pour l'Ukraine, cette fois pour le secours d'hiver. La Suisse finance des maisons en Ukraine. Avec le président de la Confédération Cassis et la présidente du Conseil national Irène Kälin, les deux principaux représentants du pays étaient à Kiev en pleine guerre. Et la Suisse aide aussi grâce à sa grande expérience.

De quelle manière?
Pour le déminage des terres et la construction d'abris. Dans les deux cas, la Suisse apporte son savoir-faire. Dans un premier temps, une équipe de cinq à dix personnes d'Ukraine vient en Suisse pour apprendre comment fonctionnent le déminage et la construction d'abris. Par la suite, nous créons des groupes de travail en Ukraine, qui sont renforcés par des spécialistes suisses sur place, ainsi que par des politiciens comme Nik Gugger, le co-président du groupe d'amitié Suisse-Ukraine.

Les Ukrainiens en Suisse disent que la Suisse doit faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle devienne un pays sans corruption ni oligarques après la guerre. Comment voyez-vous les choses?
Le président Zelensky a clairement indiqué qu'il était temps de construire un tout nouveau pays. Une Ukraine toute neuve, sans corruption. Aujourd'hui déjà, nous avons cinq institutions contre la corruption. Et même en guerre, l'Ukraine a toujours un système présidentiel parlementaire. Bien sûr, la position du président est actuellement très élevée: en temps de guerre, il est, selon la loi, le commandant en chef de l'armée. Pour l'Ukraine, l'intégration européenne est centrale. Elle se rapproche ainsi de l'Europe. Et cela nous ouvre les portes de nombreux programmes financés par Bruxelles.

Avec quel sentiment rentrez-vous en Ukraine?
Avec un sentiment de grande gratitude envers la Suisse et sa population. Vous faites beaucoup pour notre pays et notre peuple. (aargauerzeitung.ch)

(traduction par sas)

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Un bâtiment en flammes après un bombardement russe, Kiev.
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