Suisse
Interview

Electricité: «La Suisse est vulnérable», selon Sommaruga

«Ich habe Bürokratie abgebaut»: Simonetta Sommaruga im Bundeshaus Nord in Bern.
«J'ai fait réduire la bureaucratie», revendique Simonetta Sommaruga, ici dans l'aile nord du Palais fédéral.Image: Severin Bigler
Interview

Sommaruga: «La guerre a montré que la Suisse était vulnérable»

Le mode crise est de retour. Après le Covid, c'est sur la question énergétique que la Suisse doit statuer. Aux manettes pour empêcher la catastrophe: la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, qui évoque notamment les conseils d'économie d'électricité pour la population et le manque de transparence de certaines entreprises.
08.09.2022, 06:1122.09.2022, 14:39
Stefan Bühler, Benjamin Rosch / ch media
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Madame la conseillère fédérale, vous désirez inciter la population à économiser de l'électricité via une grande campagne. Certaines des propositions semblent tout droit sorties du programme du Parti socialiste, auquel vous appartenez. La crise est-elle l'occasion de «rééduquer» le peuple sur le plan énergétique?
Simonetta Sommaruga: Ce que la campagne met en avant, c'est la manière de gaspiller le moins d'énergie pour qu'il y en ait assez pour tout le monde. Tout un chacun peut souscrire à cette idée, quelles que soient ses idées politiques. La campagne n'est qu'un élément parmi d'autres. Ce qui compte, ce sont les mesures mises en place par le Conseil fédéral pour prévenir les pénuries de gaz et d'électricité.

Il y a par exemple la réserve hydroélectrique, dans les lacs de barrage, qui pourra nous fournir de l’électricité à la fin de l’hiver, ainsi que des centrales supplémentaires de réserve. Et il y a le mécanisme de sauvetage pour la branche de l’électricité.

Vous venez justement d'accorder quatre milliards de francs au groupe Axpo...
Avec cet argent, sous forme de prêt, le Conseil fédéral veut éviter que le groupe ne connaisse des problèmes de liquidités qui pourraient mettre en péril l’approvisionnement énergétique de notre pays. Axpo n’a pas eu recours au crédit-cadre jusqu’ici. D’ailleurs, cet argent est lié à des conditions strictes comme une interdiction de verser des dividendes tant que les sommes ne sont pas remboursées.

Vos conseils d'économie sont pourtant déjà suivis par de nombreuses personnes. Pensez-vous vraiment que quelques suggestions vont suffire pour économiser 5% ou plus d'électricité?
Vous savez, même si moi aussi je connaissais une bonne partie de ces conseils, je trouve utile qu'on nous rappelle l'intérêt de baisser le chauffage d'un degré, prendre des douches plus courtes ou faire pré-chauffer l'eau de cuisson dans une bouilloire.

Ce sont des mesures que l'on peut mettre en œuvre rapidement et très facilement

Et les cantons, les villes et l'économie suivent le mouvement. Parallèlement, le Conseil fédéral a renforcé depuis le début cette année la sécurité de l'approvisionnement. Ne faisons par les choses à moitié: les réserves constituées sont une sécurité spécifiquement pour l'hiver prochain.

Malgré des mises en gardes depuis des années contre une pénurie d'électricité, la Confédération ne semble pourtant pas vraiment préparée à cette situation délicate...
La loi sur l'approvisionnement en électricité, entre les mains du Conseil des Etats depuis plus d'un an, contient pourtant toutes les mesures essentielles à la sécurité de notre approvisionnement: davantage de courant en hiver et le développement rapide de la production d'énergie indigène.

La réserve hydroélectrique dans les barrages en fait aussi partie. Cette loi a été un de mes premiers actes officiels lorsque j'ai pris mes fonctions au Département de l'environnement et de l'énergie, début 2019.

Pour moi, il a toujours été clair qu'il fallait renforcer notre sécurité en approvisionnement et réduire notre dépendance vis-à-vis de l'étranger en produisant plus d'électricité indigène

Mais c'est vrai que cela n'a pas progressé assez vite. Les records qu'affichent les installations solaires et de pompes à chaleur montrent que la population aussi veut se passer du pétrole et du gaz.

Vous présentez la situation comme si elle était bloquée au Parlement. Mais la Commission de l'énergie du Conseil des Etats veut aussi simplifier et accélérer la construction d'installations solaires de grande envergure dans les Alpes. Pourquoi n'avoir pas proposé cela plus tôt?
Pour moi, la question de la sécurité de l'approvisionnement était déjà centrale avant l'invasion russe de l'Ukraine. Mais je ne veux faire de reproches à personne.

La prise de conscience s'est étendue à l'ensemble du spectre politique

Si le Parlement veut aller plus vite encore dans certains domaines, comme les installations solaires alpines, c'est très bien. Mon département a déjà soumis des propositions aux Chambres à ce sujet.

Bundesraetin Simonetta Sommaruga, spricht an einer Medienkonferenz zum Thema Energie : Lancierung der Sparkampagne, am Mittwoch, 31. August 2022, im Medienzentrum Bundeshaus in Bern. (KEYSTONE/Anthony ...
Image: keystone

Vous avez toujours dit qu'en matière de législation environnementale, vous ne vouliez pas faire le jeu des restrictions. Mais la Commission compétente du Conseil des Etats le fait massivement avec sa proposition. Est-ce devenu nécessaire?
A mes yeux, il ne peut pas y avoir de coupes drastiques dans la protection de la nature. Mon département soumet cependant régulièrement des adaptations du droit au Parlement, là où cela est justifié. Lors de la table ronde sur l'énergie hydraulique, qui a identifié 15 projets de barrage prometteurs, nous nous sommes mis d'accord pour que les atteintes à la nature soient compensées par des mesures destinées à protéger la biodiversité et les paysages. Nous devrions en faire de même dans d'autres domaines.

Les organisations environnementales ont retardé ou bloqué de nombreux projets via des oppositions systématiques. Paient-elles le prix de ces méthodes?
Les organisations environnementales ne sont de loin pas les seules à avoir freiné des projets. Les milieux qui veulent absolument maintenir le business du pétrole et du gaz à tout prix sont aussi à la manœuvre.

Vendredi, la Confédération a conclu un contrat avec General Electric pour une première centrale de réserve mobile, à Birr, en Argovie. Elle fonctionnera au pétrole et pourra être utilisée en cas de pénurie d'électricité. En quoi cette centrale est-elle importante?
Nous avons fait des efforts pour que ce projet soit prêt le plus vite possible. Les négociations se sont terminées tard dans la nuit. Cette centrale de réserve sera déjà disponible pour la fin de l'hiver prochain, soit la période qui pourrait se révéler critique sur le plan énergétique. Les turbines ne seraient toutefois utilisées qu'en cas d'urgence, uniquement pour assurer la transition.

Nous renforçons ainsi notre sécurité d'approvisionnement

Cette installation peut fonctionner au gaz, au pétrole ou à l'hydrogène. De plus, elle est soumise au système d'échange de quotas d'émission.

La crise énergétique risque de durer, vous l'avez vous-même déclaré. Devrons-nous maintenir ces centrales d'urgence prêtes à l'utilisation en hiver durant plusieurs années?
Le contrat qui vient d'être conclu pour cette centrale de réserve court jusqu'à fin avril 2026. Mais cette couverture en cas d'urgence est une solution à court terme. Pour notre approvisionnement régulier, il s'agit de faire progresser le développement des énergies renouvelables plus rapidement. La guerre a montré que la Suisse était vulnérable si elle s'appuyait trop sur les importations énergétiques.

Vous avez mentionné la table ronde sur l'énergie hydraulique. Vous y avez investi beaucoup de capital politique. Pourquoi n'avez-vous pas fait de même pour l'énergie solaire?
La table ronde a permis de faire progresser des projets importants, pour éviter qu’il faille attendre 15 ans avant qu’un barrage puisse être surélevé. L'énergie solaire est moins controversée. Il n'y a pas besoin de table ronde!

Chaque année, nous enregistrons un nouveau record d'installation de panneaux photovoltaïques

Pour le solaire, le mot d'ordre est simple: «go!». J'ai fait réduire la bureaucratie sur ces questions. Il n'y a plus besoin d'autorisation pour installer des panneaux sur les toits plats, par exemple, une simple annonce suffit. Et puis sur les autoroutes, nous mettons gratuitement des surfaces à disposition.

La semaine dernière, le Conseil fédéral a appelé à économiser l'électricité. Disposez-vous déjà de chiffres sur les effets de cet appel?
C'est encore trop tôt, mais cela sera mesuré grâce à des sondages. Le Conseil fédéral ne va pas vérifier chaque jour qui consomme quelle quantité d'électricité ou si nos appareils sont éteints à la maison. Mais cette campagne permet de montrer que des économies sont possibles: 15% avec la chaleur tournante dans le four, 50% d'énergie avec la bouilloire, etc.

L'Office fédéral de l'énergie fournit publiquement des tableaux Excel avec le bilan électrique hebdomadaire du pays, mais il n'y a rien en temps réel. On se croirait revenu aux débuts de la pandémie, lorsque la Confédération avait un temps de retard dans la publication des chiffres. Quand verra-t-on des chiffres en temps réel concernant l'énergie?
Swissgrid, la société qui gère le réseau électrique, informe le Conseil fédéral en temps réel de la situation. L'important pour moi n'est toutefois pas tant de savoir si on importe ou exporte plus ou moins d'électricité à un temps T, mais d'avoir la vue d'ensemble sur la situation internationale.

Si l'Allemagne a des problèmes de gaz, par exemple, cela aura des répercussions en Suisse

Nous informerons évidemment la population s'il y a des économies par rapport aux années précédentes.

En ce moment, la Suisse exporte de l'électricité, mais elle sera tributaire des importations en hiver et au printemps. Serons-nous alors en position de faiblesse au sein du commerce international?
Les dépendances des pays européens les uns envers les autres sont réciproques. Si nous exportons de l'électricité maintenant, nous contribuons à ce que moins de gaz ne soit transformé en électricité en Europe. Nous contribuons ainsi à réduire le risque global de pénurie de gaz cet hiver. Et nous en profiterons aussi.

Le problème, c'est que personne, ni à la Confédération ni à l'Elcom, l'autorité de surveillance fédérale, ne sait quelle quantité d'électricité les entreprises énergétiques suisses ont promis aux clients étrangers pour les mois d'hiver à venir...
Ces transactions commerciales ne sont pas transparentes. C’est pourquoi nous avons renforcé les prescriptions en matière de transparence dans la loi sur le mécanisme de sauvetage, déjà devant le Parlement. L'Elcom a besoin d'avoir une vue d'ensemble relativement précise de ces transactions pour pouvoir évaluer les risques.

Ce que je peux vous dire, c'est que nous allons proposer des dispositions supplémentaires en matière de transparence

En cas de pénurie de gaz, le Conseil fédéral a prévu un plan de rationnement. Mais il n'y a pas de scénarios similaires concernant la pénurie d'électricité. Pourquoi?
Notre objectif principal reste d'éviter une situation de pénurie. Concernant le gaz, l'Europe est plus dépendante de la Russie et le risque augmentera à mesure que les chauffages deviendront nécessaires en hiver. Le Conseil fédéral a proposé des mesures à cet effet.

Le risque d'une pénurie d'électricité pourrait survenir plutôt vers le printemps, lorsque les niveaux des barrages sont au plus bas

Si, malgré tous les efforts d'économie d'énergie, une telle situation devait se produire, le Département de mon collègue Guy Parmelin interviendra.

Bundesrat Guy Parmelin, rechts, und Bundesraetin Simonetta Sommaruga diskutieren auf dem Weg zu einer Medienkonferenz ueber die Beschluesse des Bundesrates zur Gasmangellage, am Mittwoch, 24. August 2 ...
Simonetta Sommaruga et Guy Parmelin travaillent ensemble sur la question de l'approvisionnement énergétique.keystone

L'économie souffre déjà de la hausse des prix de l'électricité. Le Conseil fédéral va-t-il faire quelque chose pour y remédier?
Pour les cas de rigueur, il faut déterminer qui est compétent: est-ce la Confédération, les cantons ou encore les villes, qui sont souvent propriétaires des entreprises électriques — et qui font des bénéfices importants en ce moment?

Les communes où le coût de l'⚡️ augmentera le plus:

Vous voulez donc mettre à contribution les cantons, les villes et les collectivités qui possèdent les groupes énergétiques?
Les prix augmentent pour les entreprises et les particuliers et dans le même temps, les producteurs d'énergie font des bénéfices importants. Personne ne comprendrait qu'on élude cette problématique. Le Conseil fédéral en tiendra compte lors de ses discussions.

Car oui, il y a des perdants mais aussi des gagnants dans la crise actuelle

Face à la crise qui menace, le tournant énergétique décidé par le peuple est sous le coup des projecteurs. La Suisse en a-t-elle trop fait en décidant simultanément de sortir des énergies fossiles et du nucléaire?
Contrairement à l'Allemagne, nous n'avons pas fixé de date d'arrêt pour les centrales nucléaires existantes: elles peuvent fonctionner tant qu'elles sont sûres. C'est l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), une autorité de surveillance indépendante, qui en décide.

Nous avons des centrales qui peuvent fonctionner jusqu'au milieu des années 2040

Une sortie progressive du nucléaire est judicieuse. Mais nous devons utiliser le temps qui nous reste pour développer la production d'énergie locale, ici, chez nous.

Le PLR propose d'utiliser l'argent public pour moderniser les centrales nucléaires existantes afin qu'elles puissent fonctionner plus longtemps. Qu'en pensez-vous?
Au vu des gains élevés dans le secteur de l'électricité, ce n'est certainement pas le moment de venir quémander auprès de la Confédération. En Suisse, nous ferions bien de miser sur nos points forts: développer massivement notre sécurité d'approvisionnement grâce à l'énergie hydraulique et solaire. Et sans attendre 2040, mais maintenant. Nous disposons pour cela de 12 milliards de francs — dont 7 d'entre eux jusqu'en 2030—, auxquels s'ajoutent 4 milliards pour remplacer les systèmes chauffages dépassés et assainir les bâtiments. Nous sommes sur la bonne voie... mais chacun doit y mettre du sien.

Traduit et adapté par Alexandre Cudré

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