«J'aurais pu tuer pour de la glace»: cette Romande raconte son addiction
Quand et comment cette «addiction à la nourriture» a-t-elle commencé?
La nourriture a toujours été une partie importante de ma vie. J’ai grandi dans une famille où l'on aimait manger. Ça a pris une tournure différente - beaucoup plus malsaine - quand j'ai atteint l'âge adulte.
Y'a-t-il eu un déclencheur?
C'est assez flou. Je traversais une période stressante au travail. Habituée à faire des régimes pour perdre quelques kilos ici ou là, j'avais compris depuis longtemps le fonctionnement des calories: on peut manger ce qu’on veut, tant qu’on reste dans les clous.
En partant de cette hypothèse, j’ai voulu essayer de me nourrir exclusivement d’aliments sucrés. Je mangeais des montagnes de cochonneries - sans prendre un gramme.
Par «montagnes de cochonneries», vous entendez quoi?
Biscuits, viennoiseries, crème glacée, bonbons, chocolat... Uniquement des aliments ultra-transformés. Le soir venu, après une journée entière de privation, je pouvais défoncer des paquets ou des pots entiers.
A vous entendre, c'est aussi alléchant qu'écœurant... Est-ce qu’il vous arrivait de vous faire vomir?
Pas du tout. Comme je savais que je «maîtrisais» mon total calorique à la fin de la journée, j'étais sereine. Je savais pourtant précisément le mal que j’infligeais à mon corps et les répercussions possibles sur ma santé à long terme. C'est un miracle que je ne sois pas diabétique. Mais je refusais de voir la réalité en face.
Et puis, pour assouvir mon besoin en sucre, j’ai commencé à développer des habitudes de plus en plus «étranges».
Par exemple?
Avant la pandémie de Covid-19, par exemple, j’allais régulièrement acheter de la nourriture dans les supermarchés français où je trouvais plus de choix pour assouvir mes pulsions en sucre. J'ai continué cette habitude lorsque les frontières ont fermé.
A l'époque, j'aurais pu tuer pour ma glace préférée. Je cachais un peu partout des dizaines et des dizaines de paquets de sucreries par peur du manque. Il y avait de quoi nourrir une armée (rires).
Vous arrivait-il de vous couper socialement? De refuser des restaurants avec des gens pour votre «shot de sucre»?
Oui, bien sûr. Il m'est arrivé d'esquiver un restaurant ou une soirée avec des amis parce que je préférerais grignoter seule dans mon coin. C’était mon rituel tous les soirs. Me poser devant un film ou une série et savourer mon énorme plateau de sucreries.
Avez-vous observé d’autres aspects négatifs? Notamment sur votre santé physique?
Je n'ai pas pris de poids, mais, physiquement, j'étais très fatiguée. La journée, j'avais mal à la tête, parfois même des vertiges. La nuit, je m’éveillais en sueur, comme si mon corps devait évacuer tous ces excès de sucre que je lui infligeais jour après jour.
Et psychologique?
C'est sur le plan mental que c'était le pire. Sur le moment, je n’avais pas l’impression de souffrir d’un trouble du comportement alimentaire, encore moins d’une addiction. Pourtant, j'étais complètement habitée par cette obsession du sucre. Je ne pensais qu’à ça. Mes journées étaient construites là-dessus. Je ne profitais plus des bons moments, de mes amis, de ma famille, de mon emploi... Je voulais seulement arriver à la fin de la journée et avoir mon shot sucre.
des paquets de biscuits sous leur lit»
Comment avez-vous fait pour vous en sortir?
J’ai eu la chance de pouvoir me confier, notamment auprès de mon compagnon et d'une excellente psychologue qui m’ont accompagnée dans mon sevrage. Ça n’a pas été facile. Maux de tête, humeur maussade, fatigue... Sans parler d’une immense frustration. J’ai appris petit à petit à recalibrer mon alimentation. Ça a été dur, mais ça en avait la peine. L’habitude s’est perdue.
Que conseillez-vous aux personnes qui peuvent être atteintes de problèmes similaires avec la nourriture?
Il faut absolument en parler à quelqu'un de confiance, qui ne vous jugera pas. Faire appel à un professionnel de santé qui est spécialisé des troubles du comportement alimentaire. Il faut dépasser la honte et l'appréhension d'être catégorisé comme bizarre.
Lire d'autres témoignages m'a beaucoup aidé. J'ai découvert des travaux comme ceux de la psychologue clinicienne britannique Jen Unwin, qui a souffert de cette addiction et se bat désormais pour la faire reconnaître au niveau international. C'est grâce à elle que j'ai décidé d'en parler. Pour faire savoir aux autres que ça existe et, surtout, qu'on peut en guérir.