Un mardi matin de juillet 2024 à l'aube, Alexander (prénom modifié), 20 ans, quitte son appartement dans le quartier bâlois de Gundeldingen. Il va à la mosquée pour la prière du matin. Il s'y rend cinq fois par jour. Selon la doctrine, la première prière doit avoir lieu avant le lever du soleil.
Soudain, il est intercepté par des policiers masqués d’une unité spéciale. Ils l’arrêtent, le soupçonnant de soutenir une organisation terroriste. Il ne résiste pas et remet ses clés. La police enfonce pourtant la porte de son appartement pour procéder à une perquisition.
Alexander est perplexe. Il raconte:
Lors de son premier interrogatoire, il nie les faits qui lui sont reprochés. Mais après des mois de détention provisoire, la plupart du temps seul dans une cellule, il avoue tout. L'enquête prouve qu'il voulait rejoindre le groupe terroriste Etat islamique (EI). Grâce à ses aveux, il peut quitter la prison après neuf mois. Il comparaît, jeudi, devant le Tribunal pénal fédéral.
Son cas illustre une tendance dangereuse. Selon le dernier rapport annuel de Fedpol:
Alexander a un passé sans histoire. Il naît en 2003 à Bâle. Sa mère a alors 22 ans. Son père, un artiste, en a neuf de plus. Le jeune homme nous avait confie avoir grandi avec un déchirement intérieur, d'un père originaire de Palestine et d'une mère allemande.
Alexander est, lui aussi, en quête de sens. Il s'intéresse à toutes les religions et trouve la foi à 17 ans dans l'islam. Ce qu'il ne trouve pas en revanche, ce sont de vrais amis:
Il entretient des amitiés virtuelles via des plateformes comme Discord. Elles permettent, en autre, de discuter pendant que l'on joue en ligne.
Dans la vie réelle, Alexander a peu de contacts. Il est introverti et souffre de phobie sociale. Il ne se sent pas à l'aise avec les gens. Même à la mosquée, il ne noue aucune relation. Il se faufile dans la salle de prière avant de disparaître sans un mot. A Bâle, il a fréquenté l'école obligatoire et a ponctuellement travaillé pour une entreprise de sécurité.
Pourquoi a-t-il voulu rejoindre l'EI? «Par ennui», répond-il d'abord. Mais il se corrige et avoue ne pas le savoir exactement, en fait. Il aurait simplement eu de mauvaises fréquentations. L'acte d'accusation du Ministère public de la Confédération montre à quelle vitesse un aspirant djihadiste comme lui trouve des soutiens à son projet en ligne.
Alexander a utilisé l'application australienne Session. Elle permet une communication cryptée et n'exige ni adresse mail ni numéro de téléphone au moment de l'enregistrement. Depuis que son fondateur a reçu la visite de la police, c'est une fondation suisse qui en assure le fonctionnement.
Le 30 mai 2024, Alexander discute avec un certain Omar, de son nom de profil. Le jeune homme lui écrit qu'il souhaite vivre dans un pays où règne l'enseignement de la charia, et que cela n'est possible que chez «eux». Il souhaite mourir en martyr, le plus vite possible.
Le 11 juin, il reçoit un message lui annonçant qu'il doit se rendre dans les montagnes de Somalie et que l'organisation s'occupera pour lui de l'argent du visa et du voyage. Les terroristes d'Al-Shabab, liés à Al-Qaïda, contrôlent la zone. La Somalie est un état défaillant. Le département suisse des Affaires étrangères y déconseille tout séjour, de quel ordre qu'il soit.
Alexander porte la barbe d'islamiste et un tatouage sur le bras. Son contact lui conseille de les faire enlever pour ne pas attirer l'attention lors de son départ, prévu le 7 août. Pour des raisons de sécurité, il ne recevra les dernières informations que peu de temps avant.
En juin 2024, Alexander parle de la Somalie à sa mère. Il lui dit qu'il veut apprendre l'arabe dans les montagnes et qu'il rejoindra l'organisation Al-Shabab. Elle tente de l'en dissuader, mais il ne l'écoute pas.
Désespérée, elle s'adresse alors au centre d'accueil contre la radicalisation de la police cantonale. Il s'adresse aux personnes qui constatent des changements inquiétants dans leur entourage. Puis tout s'accélère. Le 4 juillet, la police judiciaire fédérale dépose une plainte pénale. Le Ministère public ouvre immédiatement une procédure. Elle ordonne l'arrestation et la perquisition du domicile.
Les enquêteurs parviennent à craquer les appareils d'Alexander. Ils découvrent ainsi des messages sur un chat, de la propagande illégale de l'EI et de la pornographie. Ils peuvent, en outre, prouver par un prélèvement ADN qu'il a commis un cambriolage dans un magasin de quartier, une erreur de jeunesse.
Grâce à un accord, Alexander est relâché plus tôt, en avril 2025. Il accepte une peine avec sursis de 18 mois et une thérapie de déradicalisation. Le Tribunal pénal fédéral se contentera donc de réexaminer son cas dans le cadre d'une procédure abrégée.
Il se plie, par ailleurs, aux mesures policières de lutte contre le terrorisme que la population suisse a approuvées en 2021. Cela l'oblige à rencontrer régulièrement un spécialiste de la prévention de la police et il doit remettre son passeport suisse pour six mois.
Actuellement, il vit à nouveau chez ses parents. Il semblerait qu'il pardonne à sa mère d'avoir déclenché la procédure pénale contre lui. Il cherche un emploi, se dit prêt à travailler sur un chantier ou dans le nettoyage:
S'il ne trouve pas de travail, il devra alors demander l'aide sociale. Il peine encore à se faire à son nouveau quotidien:
(Adaptation en français: Valentine Zenker)