La Grande Mosquée de Genève, au Petit-Saconnex, a eu la triste réputation d'être un foyer pour le terrorisme. C'est là que se serait radicalisé Daniel D., le djihadiste le plus dangereux de Suisse, parti il y a dix ans en Syrie rejoindre l'Etat islamique.
C'est avec un ami qui fréquentait également la mosquée genevoise qu'il est parti se battre avec Daesh, alors qu'il était âgé de 20 ans. Son compagnon d'armes a été tué en Syrie, tandis que Daniel D. est actuellement détenu dans des conditions précaires dans une prison syrienne. Le djihadiste attend en vain l'aide du Département fédéral des affaires étrangères.
Après le départ des deux hommes radicalisés en 2015, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) s'est mis à surveiller des personnes clés de la mosquée. Avec une capacité de 1500 fidèles, ce lieu de culte dont la construction a été financée par l'Arabie saoudite est le plus grand lieu de prière musulman de Suisse.
Embauché en 2016 à la suite de la radicalisation des deux jeunes hommes, le chef de la sécurité de la mosquée, un frontalier de nationalité française, a fait l'objet de toutes les attentions. Ce Français d'origine était fiché S, et figurait donc sur une liste de personnes représentant une menace pour la sécurité de l'Etat, selon le ministère français de l'Intérieur. La fonction de l'agent consistait à contrôler les allées et venues dans la mosquée, y compris l'accès au sous-sol, où se réunissait un petit groupe de fondamentalistes.
Mais les autorités suisses ont fait chou blanc et n'ont trouvé aucun indice d'infraction pénale, la police n'a alors rien pu faire pour prévenir la mise en place d'actes malveillants. La mosquée semblait certes constituer une menace pour la sécurité de la Suisse, mais celle-ci était trop vague pour justifier des mesures policières. Peu après, l'homme ainsi que trois autres personnes, toutes fichées S en France, avaient été licenciées par la Fondation culturelle islamique de Genève.
C'est précisément pour des cas comme celui-ci que la nouvelle loi sur le renseignement (LRens) a été adoptée en votation populaire, en 2016. Lors d'une campagne très tendue, les opposants ont mis en garde contre la mise en place d'un Etat de surveillance. Cependant, 65% des Suisses ont décidé de faire confiance au SRC et ont voté en faveur de la LRens.
Le cas genevois illustre pour la première fois en détail comment fonctionne la nouvelle loi, comment les personnes visées peuvent se défendre et comment se déroule une opération menée par les services secrets.
La LRens est entrée en vigueur le 1er septembre 2017. Quatre jours plus tard, le SRC demandait l'autorisation pour une surveillance rétroactive du responsable de la sécurité de la Grande Mosquée de Genève. Cinq numéros de téléphone qu'il aurait utilisés étaient concernés. Les opérateurs devaient indiquer avec qui il avait communiqué, quand et où. Il n'y a toutefois pas eu d'écoute des communications.
C'est une juge du Tribunal administratif fédéral, Salome Zommermann, qui fut chargée d'approuver cette mesure. La juriste de Saint-Gall devait statuer sur les cas de surveillance du SRC, le tout dans une salle sécurisée, qu'elle allait jusqu'à nettoyer elle-même pour des raisons de sécurité. Ses décisions étaient secrètes, et ne faisaient pas l'objet d'une publication. Afin de ne pas compromettre l'opération, elle n'entendait pas les personnes surveillées. Le ministre de la Défense de l'époque, Guy Parmelin, avait donné à son tour son aval à cette surveillance bien particulière.
Le SRC a ainsi obtenu les données qu'il réclamait. Mais les enquêteurs n'y ont pas trouvé de détails compromettants. Selon toute vraisemblance, pendant cette période, le responsable de la sécurité de la mosquée genevoise n'a pas communiqué avec des personnes en lien avec le terrorisme.
Dans une brève lettre, le SRC l'a informé a posteriori de son enquête, lui donnant ainsi loisir de porter plainte. C'est ce qu'il a fait, fort peu ravi d'avoir été l'objet de cette surveillance. Il s'agit ainsi de la première plainte déposée contre une collecte de renseignements de la part du SRC, qui a fini au tribunal. C'est à nouveau le Tribunal administratif fédéral qui a été saisi, mais cette fois-ci, une autre chambre était compétente.
Contrairement à ce qu'il en fut pour la décision initiale, le tribunal a l'obligation de publier son jugement, qui est désormais disponible. Le procès a duré des années, le SRC, n'ayant initialement pas fourni suffisamment de documents au chef de la sécurité, a dû par la suite compléter son envoi. Pour protéger ses sources, le SRC a envoyé une version complète des documents sensibles pour le tribunal, et une version caviardée pour la personne surveillée.
Le tribunal a fini par approuver une nouvelle fois cette procédure, ainsi que la surveillance qui a été menée. Le SRC a pu justifier de sa démarche, en prouvant qu'il existait bien un danger. Le tribunal a en outre estimé que le type de surveillance choisie était proportionné au regard de la situation.
Dans son jugement, il écrit:
Il ressort du recours interjeté par l'ex-responsable de la sécurité de la mosquée du Grand-Saconnex, que celui-ci a même collaboré avec le SRC pendant un certain temps. Il aurait informé les agents «sur des personnes d'origine albanaise qui voulaient se rassembler dans la mosquée avant et après les heures de prière». Il aurait également entretenu de «bons contacts» avec le poste de police local.
Mais quel est l'intérêt de laisser traîner durant tant d'années une procédure judiciaire concernant des mesures de surveillance? Dans une interview accordée à l'Aargauer Zeitung, Sandra Zimmermann, juge au SRC, dont le rôle est de veiller à la conformité des actes des renseignements suisses, a déclaré:
Traduit de l'allemand et adapté par Joel Espi