L’UNRWA, l’agence onusienne d'aide aux réfugiés palestiniens, c’est un peu la chasse gardée de la Suisse, son domaine réservé. Un Suisse la dirige depuis 2020, Philippe Lazzarini. Avant lui, c’était déjà un Suisse, Pierre Krähenbühl, entre 2014 et 2019. Tous deux issus de la filière CICR, l’ENA de l’humanitaire. Tombant au moment où la Cour internationale de justice exhortait Israël à ne pas commettre d’actes de génocide à Gaza, les accusations portées la semaine dernière par l’Etat hébreu contre l’UNRWA – douze de ses employés auraient pris part aux massacres du 7 octobre – rejaillissent sur la Suisse, au moins indirectement.
La Confédération ne peut être tenue pour responsable de la gestion de l’UNRWA, la première ne commande pas à la seconde. Mais c’est le savoir-faire helvétique qui opère, à tout point de vue, dans la bande de Gaza soumise aux bombardements israéliens depuis l’attaque terroriste du Hamas. Les allégations israéliennes visant l’UNRWA sont graves, même s’il faut être naïf pour penser qu’aucun des 12 000 employés que compte l'agence onusienne à Gaza n’ait pu nourrir une haine viscérale d’Israël, au point de participer à un massacre de civils.
Ces allégations obligent en tout cas le parlement suisse à reprendre sa copie. Dans le sillage du 7 octobre, il était parvenu à un compromis en décembre. Les 20 millions de francs alloués annuellement par la Confédération à l’UNRWA étaient ramenés à 10, le Conseil fédéral étant tenu de motiver devant les commissions de politique extérieure la manière dont il dépenserait cette somme. Cela afin d’être bien sûr que cet argent ne serve pas à financer le Hamas ou alimenter la propagande antisémite d'une organisation politico-militaire en voie d'être déclarée terroriste par Berne.
La commission de politique extérieure du Conseil national était réunie mardi matin au sujet de Gaza. Elle a entendu le numéro 2 des Affaires étrangères, le secrétaire d’Etat Alexandre Fasel, ainsi que la directrice de la DDC (Direction du développement et de la coopération), Patricia Danzi. Le 25 mars, dans près de deux mois, elle auditionnera le directeur de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, qui viendra défendre la réputation de son agence, comme il l'a fait mardi dans les colonnes de CH Media (dont watson fait partie).
La socialiste genevoise Laurence Fehlmann Rielle, membre de la commission de politique extérieure du Conseil national, le demande:
Par cette analogie, la députée, par ailleurs membre du groupe d’amitié Suisse-Palestine, entend souligner «la difficulté, pour les responsables de l’UNRWA, de tout contrôler, alors que la bande de Gaza se trouve dans un profond état de détresse, je parle de la situation prévalant avant le 7 octobre. Tout est bien pire aujourd’hui. On ne peut pas couper les subsides à l’UNRWA, les souffrances des Palestiniens sont trop grandes.»
Changeons de perspective. C’est comme si les présentes accusations d’Israël donnaient raison au chef du Département fédérale des affaires étrangères. En 2018, de retour d’un voyage en Jordanie, Ignazio Cassis avait pris à rebours la doctrine humanitaire suisse dans la région en se demandant si l'UNRWA «fait partie de la solution ou du problème?» Il touchait à un tabou en remettant en cause la spécificité du statut de réfugié palestinien. Depuis 1949, date de la création de l’UNRWA, il se transmet de génération en génération. Le financement de la Suisse à l’agence d’aide aux réfugiés palestiniens avait cependant été maintenu.
A la même époque, le conseiller national PLR Valaisan Philippe Nantermod, pour sa part membre du groupe d’amitié Suisse-Israël, déposait un postulat demandant au Conseil fédéral d'«établir un rapport concernant l'UNRWA».
Philippe Nantermod dénonce un «déni», en Suisse, au sujet de l’UNRWA.
Le conseiller national estime qu'il faut redéployer l'aide financière accordée aux réfugiés palestiniens. Précisons que les subsides alloués traditionnellement à l'UNRWA sont une petite part de l'aide globale dévolue au Proche-Orient par la Suisse. En novembre, la Confédération avait débloqué un montant supplémentaire de 90 millions de francs pour faire face à la situation humanitaire dramatique dans la région.
Membre de la commission de politique extérieure de la Chambre haute, le conseiller aux Etats valaisan du Centre Beat Rieder était de ceux qui pensaient, en décembre déjà, qu’il fallait «biffer» la subvention à l’UNRWA. Mais il s’était satisfait du compromis trouvé alors. Les accusations d’Israël changent la donne.
Egalement membre de la commission de politique extérieure du Conseil des Etats, la centriste fribourgeoise Isabelle Chassot avait «soutenu lors des débats en décembre au Parlement qu’il était essentiel d'entendre le chef du Département des affaires étrangères sur les reproches faits à l’UNWRA et sur les conséquences d’une coupe pour la population civile à Gaza et pour la politique étrangère de la Suisse. Ce vœu a été entendu et Ignazio Cassis a plaidé pour le maintien de l’aide.»
Celle qui, par ailleurs, préside la commission d’enquête parlementaire sur la débâcle de Credit Suisse, ajoute: «Le fait qu’à la fin, l’aide a été ramenée à 10 millions de francs mais qu’elle ne soit pas associée à l’UNRWA en particulier permet en soi au Conseil fédéral de l’allouer à d’autres organismes venant en aide aux Palestiniens. Ainsi, le gouvernement pourra réorienter cette aide s’il est établi que des employés de l’UNRWA ont pris part aux massacres du 7 octobre.»
Avec cette crise de financement de l’UNRWA, c’est peut-être un chapitre que la Suisse s’apprête à devoir refermer au Proche-Orient, et, avec lui, sa certitude qu’elle parviendrait à faire la paix entre Israéliens et Palestiniens.