L’affaire Nzoy refait surface dans un climat d’émeutes après la mort, dimanche, en pleine nuit, à Lausanne, lors d’une course-poursuite avec la police, d’un adolescent de 17 ans d’origine congolaise prénommé Marvin.
Roger Nzoy Wilhelm, lui, est ce Zurichois de 37 ans, métis d’origine sud-africaine, abattu le 30 août 2021 par un policier sur un quai de la gare de Morges, alors qu’il menaçait ce dernier d’un couteau, selon la version policière, qui plaide la légitime défense. Classé le 26 novembre 2024, le dossier a été rouvert, en mai cette année, par la justice vaudoise après un recours de la partie civile.
Quel rapport entre ces deux cas? Il tient à la procédure. Un élément important du traitement judiciaire de l’affaire Nzoy peut surprendre: le procureur chargé d’enquêter sur cet homicide impliquant un policier était le même qui aurait soutenu l'accusation contre celui-ci dans un procès après avoir demandé son renvoi devant un tribunal. Sauf qu’en classant l’affaire, il n’avait plus à requérir contre le policier en question, le procès tombant à l'eau.
Il n'y a là rien de surprenant du point de vue du droit. En effet, depuis le 1er janvier 2011, date à laquelle la fonction de juge d’instruction, inspirée du système français et distincte de celle de procureur, a disparu, le code de procédure pénal, valable pour tous les cantons suisses, établit que le procureur chargé de l’enquête est celui qui requiert au procès, autrement dit, qui soutient l’accusation.
C’est donc le procureur général adjoint Laurent Maye, le même qui avait classé l’affaire, qui requerra contre le policier suspect dans l’homicide de Roger Nzoy Wilhelm, puisqu'un procès aura lieu, comme en ont décidé les juges vaudois. Charge à ce procureur de poursuivre ses investigations pour déterminer si oui ou non l’agent de police a commis ou non un meurtre.
Le ministère public a d’ores et déjà demandé une expertise indépendante en complément d’une première expertise menée par les services d’enquête. Si les charges devaient être insuffisantes, le procureur – cela vaut pour toute affaire a priori – pourrait décider de ne requérir aucune peine au procès.
De son côté, la partie civile emmenée par Me Ludovic Tirelli, a rendu publique en début de semaine une expertise privée, qui prouverait que Roger Nzoy Wilhelm n’était pas menaçant au moment où il a été abattu.
Dans le cas du jeune Marvin, mort dimanche à Lausanne dans une course-poursuite nocturne avec la police, c’est la première procureure de l’arrondissement de l’Est vaudois, Camilla Masson, qui est chargée de diriger l’enquête confiée aux spécialistes du groupe accident de la Police cantonale vaudoise. C’est donc elle qui soutiendrait l’accusation s’il devait y avoir un procès contre les deux policiers qui se trouvaient à bord de la voiture qui poursuivait l’adolescent à scooter.
Joint par watson, Vincent Derouand, le porte-parole du ministère public vaudois, dit comprendre l’«étonnement» qui peut saisir le béotien lorsqu’il apprend que la personne chargée de l’instruction est la même qui décide d’un renvoi ou non d’un suspect devant un tribunal. Comment ne pas soupçonner un possible parti-pris chez le magistrat à l’heure de décider du sort judiciaire d’un policier impliqué dans un homicide, où tout donne à penser qu’il aurait agi en état de légitime défense?
Vincent Derouand rétorque:
Le porte-parole cite le cas, parmi d’autres, d’«un policier qui a été renvoyé en procès pour avoir accepté un avantage indu». Sans compter qu'un procureur pourra requérir d’autant plus durement en procès contre un policier censé être exemplaire.
En France, «lorsque l’affaire promet d’être complexe, le parquet décide d’ouvrir une instruction et nomme alors un juge d’instruction chargé de diriger l’enquête», explique une avocate française pénaliste jointe par watson, qui souhaite garder l'anonymat. En cas de procès, ce n’est pas le juge d’instruction qui soutient l’accusation, mais un procureur reprenant le dossier. Lorsque le juge d’instruction ordonne un non-lieu, la partie civile peut recourir et obtenir que la décision soit cassée, comme en Suisse dans l'affaire Nzoy.
En France toujours, en l’absence d’une instruction, dans un dossier d’enquête préliminaire, il arrive que le procureur en charge du dossier requière à l’audience. Mais dans un dossier d’homicide, un juge d’instruction est nommé, précise notre source. Pour autant:
L’avocate pénaliste estime d’une formule un brin caustique que «la justice à l’égard des policiers est celle qui devrait être appliquée à tout le monde». A savoir, «une justice exemplaire en termes de précaution dans l’usage des accusations et des mesures coercitives».
Cela dit, la présence d'un juge d'instruction, lequel n'est donc pas la personne portant l'accusation lors d'un procès, n'est pas la garantie d'une justice moins conciliante avec la police. Un expert en ce domaine, cité ci-après à titre anonyme, évoque «cet ancien juge d'instruction vaudois, du temps où la fonction existait encore, qui avait la réputation d'être clément avec les policiers».
On peut espérer que la justice vaudoise, au moment où éclate le scandale des groupes WhatsApp racistes de la police municipale lausannoise, saura mener sereinement l’enquête après la mort du jeune Marvin. La plupart des observateurs s’accordent toutefois pour dire qu’il manque aux polices vaudoises une «police des polices» véritablement indépendante, qui pourrait agir en marge des enquêtes menées par le ministère public.