Il y avait des signes avant-coureurs. A un moment donné, Roberto Cirillo, le directeur général de La Poste, ne pouvait plus cacher son irritation. Des signes de fatigue sont apparus, face aux incessantes critiques politiques et médiatiques. Il a lui-même évoqué une certaine «impatience» lors de l'annonce de sa démission à la mi-janvier.
Pour certains compagnons de route, et surtout pour le conseil d'administration, ce départ n'était donc pas une grande surprise. Pourtant, La Poste a l'air totalement prise au dépourvu. Aucun plan de succession ne semble poindre à l'horizon, et c'est plutôt une mauvaise nouvelle pour un groupe qui compte plus de 45 000 collaborateurs, et qui est le troisième employeur de Suisse après Migros et Coop.
La Poste fait quasiment figure d'antithèse face à UBS. Le président Colm Kelleher réfléchissait déjà à haute voix au successeur de Sergio Ermotti dans la foulée de son intronisation. Colm Kelleher a fait savoir au monde entier qu'une liste de trois successeurs potentiels serait établie durant les deux prochaines années.
Une telle liste de remplaçants n'existe pas à La Poste. Les chasseurs de têtes de l'entreprise Egon Zehnder ont dû établir une longue liste de noms potentiels. Selon nos informations, celle-ci a été discutée au sein du conseil d'administration du géant jaune. Une partie des candidats a été sollicitée et le président de La Poste, Christian Levrat, a eu des entretiens avec des personnes potentiellement intéressées.
Certains auraient déjà refusé la fonction, en partie par peur de s'exposer au public. En tant que chef de La Poste, on devient une vraie «célébrité», alors que les managers de l'économie privée préfèrent souvent rester sous le radar des médias. Mais il y a aussi eu des refus pour des raisons pécuniaires. Selon la volonté politique, la rémunération du chef de La Poste ne devrait pas dépasser la barre fatidique du million de francs.
D'autres sont encore en lice et une shortlist doit maintenant être constituée. Le processus de recrutement devrait encore durer un à deux mois et dans le meilleur des cas, le PDG de La Poste sera nommé au début de l'été. Il pourrait s'écouler encore un peu plus de temps avant que le successeur de Roberto Cirillo ne prenne ses fonctions. Alex Glanzmann assure pour l'instant l'intérim. Mais le chef des finances ne veut pas reprendre définitivement le poste vacant.
Personne d'autre n'est d'ailleurs prêt, au sein de la direction du groupe, informée du départ de Roberto Cirillo seulement deux jours avant le public, à reprendre le siège laissé vacant. Ni le chef du réseau d'offices de poste, Thomas Baur, ni Johannes Cramer, qui a sous sa responsabilité l'activité principale de La Poste, les lettres et les colis.
Thomas Baur aura 61 ans cette année. Il ne pourrait donc pas occuper son poste après 2030 comme il le souhaiterait. Johannes Cramer, 41 ans, ancien manager de Digitec-Galaxus, travaille certes en Suisse, mais il est resté fidèle à son pays d'origine, l'Allemagne, où il a établi un double domicile. Un frontalier ne peut décemment pas prendre la tête d'un groupe étatique et soumis à la politique nationale.
Une candidature de Nicole Burth n'a aucune chance non plus. Cette dernière dirige la mini-unité chargée des nouvelles activités numériques, une division politiquement très controversée et en même temps financièrement déficitaire.
En théorie, il serait possible de recruter parmi les cadres de second rang. Selon des connaisseurs de La Poste, on y trouverait des personnes tout à fait compétentes. De telles opérations sont possibles, comme le montre par exemple le cas de Susanne Wille, la nouvelle directrice de la SSR. A la suite de sa nomination, celle-ci est devenue la patronne de son ancienne cheffe, Nathalie Wappler. Mais de telles manœuvres ne sont pas sans risque et laissent craindre de potentiels départs par la suite.
Il ne reste plus que le recrutement externe, lancé avec le recours au cabinet Egon Zehnder. Il est bien entendu beaucoup trop tard, comme le soulignent les experts en recrutement. En réalité, une entreprise aussi grande devrait contacter «proactivement» des candidats externes bien plus tôt et mener avec eux des entretiens sans engagement, afin d'avoir toujours une liste de quatre à cinq noms de successeurs potentiels à disposition, en complément des solutions internes.
Les critères recherchés sont une «personnalité dirigeante issue de l'économie suisse», comme l'a formulé Christian Levrat. Une personne de la stature d'un CEO donc, capable de faire avancer la transformation de La Poste et qui, en même temps, prenne plaisir à évoluer dans l'arène publique et politique. Le champ de recrutement est donc très étroit.
Comme nous l'avons appris, les recherches sont surtout faites dans les milieux en contact avec la clientèle, des entreprises avec des filiales et des fonctions de service élémentaires, comme le commerce de détail, la logistique et d'autres entreprises du secteur public.
Roberto Cirillo était lui-même un externe, tout comme Ulrich Gygi avant lui lors de son arrivée en 2000. Ces deux exemples montrent qu'une telle démarche peut s'avérer être une bonne chose pour La Poste et sa démarche de modernisation.
Mais l'histoire du géant jaune fournit tout autant de contre-exemples, comme Reto Braun, venu des Etats-Unis au tournant du millénaire. Celui-ci a fui le service public après seulement seize mois pour rejoindre l'entreprise de logiciels Fantastic. Une histoire qui s'est mal terminée.
Quant à Susanne Ruoff, d'abord célébrée comme la première femme à la tête d'un service public, elle a rapidement fait l'objet de critiques et a dû quitter son poste après la publication du scandale CarPostal. Le recours à un candidat externe n'est donc pas sans risque.
Traduit de l'allemand par Joel Espi