C'est l'image qui a fait le tour des téléphones des parents vaudois depuis ce lundi matin: un toxicomane s'injecte sa dose en plein jour, au milieu de la rue alors qu'à quelques mètres, une enfant joue innocemment avec sa trottinette. Le contraste de l'image, publiée par 20 minutes, est saisissant. La scène a lieu non loin de la place de la Riponne, bien connue pour sa scène de la drogue.
Sur la photo (tout comme sur une autre publiée par Blick, mercredi), la drogue est consommée par injection. A quelques dizaines de kilomètres de là, à Genève, un sujet similaire est sur toutes les lèvres depuis quelques mois: l'explosion du crack, ce mélange à base de cocaïne inhalé ou fumé.
Lausanne, dont la scène de la drogue est déjà âprement discutée, pourrait-elle devenir un choix de prédilection pour les dealers de crack si le «marché» devait vouloir s'exporter de Genève? Le Département de la santé et des affaires sociales (DSAS) du canton de Vaud est, par exemple, catégorique:
Contacté, Frank Zobel, direct adjoint d'Addictionsuisse, nuance toutefois: l'augmentation présente à Lausanne se situe dans la moyenne nationale. Une situation comparable à Zurich, Bâle ou Berne (avec toutefois une légère augmentation à Yverdon-les-Bains). Et, pour l'instant, pas de «propagation» du phénomène, confirme la police municipale:
La police municipale concède toutefois «une augmentation de la visibilité de personnes peu insérées consommant de la cocaïne dans l’espace public». Le DSAS évoque des «usagers vivant dans l'immédiateté de la consommation», «négligeant leurs besoins primaires» et dont la prise en charge est parfois difficile:
Une situation qui n'irait pas en s'améliorant en cas d'arrivée de crack peu cher et «prêt à l'emploi», comme à Genève: les problèmes rencontrés dans la Cité de Calvin sont dus à l'arrivée d'un nouveau «modèle» de deal: des plus petites doses peu chères (10 francs contre 20 à 30 d'habitude) et avec un haut niveau de pureté. Une nouvelle formule qui prend la ville de court.
Frank Zobel analyse le profil des dealers qui sévissent à Genève: «La plupart font partie d'un groupe d'origine sénégalaise, surnommés les "modous", qui sont arrivés après Paris ou Lyon». Il explique:
Lausanne ne serait-elle alors pas, si le marché devait s'exporter depuis Genève, la prochaine cible? Frank Zobel n'en est pas certain: «C'est possible, mais ce n'est pas automatique», observe-t-il. «Il y a des zones spécifiques où la drogue circule plus qu'ailleurs. Parfois, c'est le crack, parfois l'héroïne, parfois la méthamphétamine.»
Il n'empêche. Prenant les devants, le DSAS vaudois a mandaté une étude auprès d'Unisanté. Prévue pour publication fin novembre, elle vise à faire un état des lieux de la consommation de drogue dans le canton de Vaud:
Le DSAS a déjà pris la situation très au sérieux et a pris des mesures avec l'Office du médecin cantonal:
Les autorités précisent que «ces mesures se déploient en ce moment et devront être encore renforcées dans l’attente de l’ouverture de l’espace de consommation Riponne». A l'automne prochain, Lausanne devrait en effet ouvrir un local de consommation située entre la place de la Riponne et celle du Tunnel. Précisément dans la zone où le toxicomane a été pris en photo.
Le DSAS précise que les résultats de l'étude seront communiqués «aux professionnels du domaine et aux communes concernées» dans le cadre d'une journée de réflexion sur le thème «espace public et addictions», le 30 novembre prochain.
Frank Zobel note également que les polémiques liées à la prise de drogue dans des zones publiques ont tendance à avoir lieu l'été, simplement parce que les personnes toxicodépendantes et marginalisées se trouvent dehors.
Il faut dire que la thématique est cyclique, notamment dans sa capitale:
Pour l'heure, à Lausanne, les fumeur de crack lausannois achètent la cocaïne et la préparent eux-mêmes pour la fumer. Cela présente un avantage qui peut sembler anecdotique, mais est en fait essentiel: «Lorsqu'ils préparent leur dose eux-mêmes, il y a une petite pause, un rituel autour de la consommation», explique Frank Zobel.
À Genève, «l'hyperdisponibilité» du crack prêt à l'emploi et peu cher rend les toxicomanes beaucoup plus nerveux. Ils ont besoin de faire la manche moins longtemps pour s'acheter une dose, puis l'inhalent là où ils le peuvent, parfois dans la rue. Et l'effet ne dure pas assez longtemps pour les satisfaire.
Plusieurs bagarres ont eu lieu dans et autour de la salle de consommation Quai 9, donc certaines au couteau. Frank Zobel, qui connaît l'endroit, en témoigne:
En conséquence, l'association responsable du local, Première ligne, leur en a interdit l'accès durant la journée, «pour permettre aux autres usagers de consommer en sécurité». Une situation que regrette la police genevoise, qui craint des débordements dans l'espace public. Le canton de Vaud fait donc bien de s'inquiéter du problème du crack avant d'être dépassé par celui-ci, à l'image de Genève.