Dans le sud du Tessin, la frontière avec l'Italie est omniprésente. De la ville frontalière de Ponte Tresa à Varese, capitale de la province du même nom, il n'y a que 20 kilomètres. De nombreux frontaliers italiens travaillant au Tessin effectuent cette liaison quotidiennement.
De petits lacs comme le Lago di Ghirla ou le Lago di Ganna se trouvent à proximité immédiate de la route, au gré de cet itinéraire qui longe une réserve naturelle. Au premier coup d'œil, tout semble bucolique et romantique. Mais les apparences sont trompeuses.
Cette zone forestière est devenue un important lieu de passage de la drogue dans la province de Varèse, notamment via les localités de Valganna et Valcuvia. Nous rencontrons au QG de la police de Varèse Gianluca Piasentin, commandant des carabiniers:
Gianluca Piasentin explique que ce sont surtout de jeunes Marocains, âgés de 20 à 35 ans, qui bivouaquent dans les forêts, qu'ils transforment en véritables plaques tournantes de la drogue. Ils vendent du haschisch, de la cocaïne et de l'héroïne. Le Tessin, situé non loin de là, compte parmi les clients de ces trafiquants. Cela se reflète dans les prises des carabiniers italiens: des liasses entières de francs suisses ont été retrouvés lors d'opérations anti-drogue.
Le système développé par les trafiquants est simple et efficace: les contacts entre les dealers et leurs clients sont établis via Whatsapp. Un point de rencontre est fixé, souvent le long d'une route. Le deal est effectué en quelques secondes et les trafiquants disparaissent à nouveau dans la forêt.
«Les dealers restent quelques jours dans les bois, puis sont remplacés par d'autres», explique Gianluca Piasentin. Ceux-ci sont recrutés à Varèse ou à Milan. Et ce tournus rend plus difficile leur interception par la police.
La méthode touche les routes italiennes, mais pas que. Elle a aussi été constatée près de Luino, sur le lac Majeur, une localité que de nombreux Suisses visitent pour son marché du mercredi, mais aussi le long de la route qui mène de Luino à Ponte Tresa, à côté de la petite rivière Tresa.
Mais au sein de la population, ces agissements suscitent le mécontentement et la peur. Nous nous sommes rendus au bar du petit village de Ganna, pour prendre les avis des locaux:
Sa mère montre la lisière de la forêt, derrière le village: «Ils se cachent là aussi, le long de la route menant à l'Alpe Tedesco». Au fond, un homme âgé lâche un: «Il faudrait tous les buter.» Un ouvrier forestier, moins radical, s'indigne:
Pourtant, les carabiniers font de leur mieux pour traquer ces dealers. Ils viennent de mener une «opération de nettoyage» à grande échelle dans les forêts. Des chiens renifleurs ont été déployés, mais pas seulement. Une unité spéciale est même venue de Sardaigne, les Squadroni Cacciatori, a ratissé les forêts pendant plusieurs semaines. Ces experts ont l'habitude: d'ordinaire, ils débusquent les cachettes de la mafia.
L'opération est un succès: entre le 6 avril et le 30 juin, ils ont découvert 78 bivouacs et 20 personnes ont été arrêtées. Près de trois kilos de drogue ont été saisis, ainsi que des armes à feu et des munitions. Certaines chaînes de télévision, comme la RAI, ont suivi les forces spéciales sardes dans leur travail.
La population a pris connaissance de l'action avec satisfaction. Toutefois, certains doutent d'un effet durable. Dans le bar de Ganna, une jeune femme s'exclame:
Même chez les carabiniers, on reconnaît que la lutte contre ces dealers est laborieuse. Comme l'explique Gianluca Piasentin:
Le commandant s'inquiète aussi de la violence croissante qui s'est installée entre les gangs rivaux de trafiquants de drogue. L'année dernière, un Marocain de 25 ans a été attaché à un arbre et torturé. Il avait trahi son gang pour un autre, avant d'être attrapé par ses anciens «amis».
Mais pourquoi ces dealers utilisent-ils les forêts au lieu d'être actifs dans les villes? «La forêt offre les meilleures possibilités de s'enfuir rapidement et d'échapper à une arrestation», explique Piasentin. Comme ces dealers sont quasiment tous des clandestins, ils veulent réduire au maximum le risque d'être arrêtés et donc expulsés.
Les carabinieri appellent la population, mais aussi les touristes, à signaler les mouvements suspects, à indiquer les lieux concernés, voire à photographier les véhicules. Mais toutes ces mesures ne sont qu'une goutte dans l'océan. Car le phénomène s'est étendu à la province de Côme, à l'est de là, et au nord de Milan.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)