A l'aube, à Bâle, six agents de la police fédérale allemande entrent dans l'ICE à destination de Hambourg. Ils ont six minutes pour contrôler le train de 918 places assises. C'est la durée du trajet entre la gare CFF de Bâle et la gare badoise.
Les policiers recherchent des migrants qui veulent franchir illégalement la frontière nationale entre la Suisse et l'Allemagne. Dans le train, il y a des familles, des touristes à vélo et des voyageurs d'affaires. D'un pas rapide, les policiers traversent les couloirs étroits.
Dans le troisième wagon, ils s'arrêtent devant les sièges 53 et 54. «Bonjour, bonjour! C'est la police! Papiers d'identité, s'il vous plaît!» Les deux hommes assis font semblant de dormir. Leur fatigue n'est pourtant pas feinte. Ils ont passé la nuit dans la gare.
Les hommes montrent silencieusement leurs cartes d'identité rouges. Celles-ci ne donnent pas droit à l'entrée en Allemagne, mais à l'entrée dans les centres d'asile suisses. Ils ne souhaitent toutefois pas rester en Suisse. Ils ont 24 et 32 ans, sont originaires d'Algérie et du Maroc et veulent se rendre en Allemagne. Leur voyage est maintenant provisoirement terminé: «Descendez, s'il vous plaît! We must get out of this train, now» (Nous devons sortir de ce train, maintenant).
Sur le quai de la gare badoise, les policiers emmènent les deux hommes vers un bâtiment de service discret. Les agents ouvrent une porte de garage grise. Derrière se cache ce que l'on appelle une «ligne de traitement». Depuis janvier, des policiers de toute l'Allemagne y sont de service 24 heures sur 24. Ce sont des forces d'intervention de la police anti-émeute, qui ont été envoyées à la frontière en raison de l'augmentation des flux migratoires.
Depuis le mois de mai, la police fédérale allemande attrape chaque mois plus d'un millier de migrants qui sont entrés illégalement en Allemagne depuis la Suisse. La tendance est en forte hausse. A cela s'ajoutent les hommes que la police arrête à la Badischer Bahnhof avant leur entrée sur le territoire. En août, ils étaient 1700 — un chiffre jamais atteint auparavant.
Les migrants passent par plusieurs étapes dans la «chaîne de traitement». Tout d'abord, ils doivent mettre des masques sur le visage – non seulement à cause du Covid, mais aussi à cause d'autres maladies qu'ils pourraient avoir contractées pendant le voyage. Ensuite, les policiers fouillent les hommes. L'Algérien et le Marocain doivent remettre deux couteaux et une carte de crédit volée. Ensuite, la police compare leurs empreintes digitales avec le système. Les deux sont déjà enregistrés.
Une douzaine d'Afghans et de Syriens sont assis dans la salle d'attente. Ils doivent patienter jusqu'à ce que le photographe de la police les prenne en photo de face et de côté. La procédure peut durer plusieurs heures. Ensuite, les hommes reçoivent un papier qui leur explique en afghan ou en arabe qu'ils ne peuvent pas entrer en Allemagne.
Ce qui se passe ensuite illustre bien le dilemme de la situation: dans la plupart des cas, la police relâche les migrants dans la gare. Ils restent alors assis dans le hall de la gare en attendant le prochain train.
Récemment, la ministre de l'Intérieur allemande du SPD (Parti social-démocrate), Nancy Faeser, a présenté une réponse au problème: elle a renforcé le régime à la frontière suisse. C'est une rupture avec ce qu'il se passait jusqu'alors. Au sein de l'espace Schengen, seuls des contrôles aléatoires, comme ceux effectués dans les ICE, sont en fait prévus.
En théorie, la police fédérale peut à nouveau demander tous les documents d'identité à la frontière suisse. Mais elle y renonce, car cela n'apporte rien d'autre que des embouteillages. La politicienne du SPD a eu recours à une mesure symbolique parce que son parti a perdu les élections régionales en Hesse et en Bavière.
Andreas Schwab siège au Parlement européen pour la CDU (Union chrétienne-démocrate) et y dirige la délégation chargée des relations avec la Suisse. Son parti fait partie des vainqueurs des élections régionales et est en fait favorable à un régime frontalier plus strict. Mais Andreas Schwab déclare au téléphone:
Mais le politicien CDU critique également la Suisse: «Il était très étrange que les CFF réservent des wagons de train pour les réfugiés afin de les faire traverser la Suisse en direction de l'Allemagne».
Il y a un an, de nombreux migrants se sont rendus en Allemagne via Buchs-Zurich-Bâle. La Suisse leur faisait simplement signe de passer. Depuis, les voitures spéciales n'existent plus. Une partie de la route des Balkans passe désormais par Chiasso, où elle rejoint la route de la Méditerranée. La Suisse est avant tout un pays de transit.
Deux facteurs rendent l'Allemagne plus attrayante que la Suisse pour les migrants. Premièrement, de nombreux compatriotes y vivent depuis la crise des réfugiés de 2016 et la culture de l'accueil.
Deuxièmement, la probabilité de devoir quitter à nouveau le pays est beaucoup plus faible. Les procédures d'asile fonctionnent moins bien en Allemagne, car ce sont les Länder qui doivent décider des renvois. On assiste ainsi à la formation de ghettos dans certaines villes allemandes, et le mécontentement grandit.
Eduard Gnesa est l'ancien directeur de l'Office fédéral suisse des migrations. Il s'étonnait parfois lorsque ses collègues allemands lui expliquaient leur système. Aujourd'hui, il dit:
Il ne pense pas que le durcissement du régime frontalier allemand aura un effet en Suisse: «La plupart de ceux qui veulent aller en Allemagne y parviendront». Car les autorités allemandes ne pourraient pas se permettre de perturber fortement le reste du trafic frontalier. Ce n'est qu'ainsi que la mesure serait efficace.
L'un des Syriens échoués à la gare badoise accepte de raconter son histoire. Il a 33 ans, est neurologue et fuit la guerre civile. Il est en voyage depuis juin. Il a choisi une route dangereuse: via la Libye et la Méditerranée jusqu'à Lampedusa. Un gang criminel l'a arrêté en cours de route et lui a confisqué son téléphone portable et son passeport.
Le voyage en bateau à travers la mer n'a réussi qu'à la troisième tentative. Il n'a pas bu pendant 45 heures. Il a payé 6000 euros pour cela. Depuis l'Italie, il a d'abord voyagé en Suisse dans un Flixbus. Mais les gardes-frontières suisses l'ont arrêté.
Il a ensuite réussi à entrer en Suisse par le train. Mais à Bâle, la police fédérale allemande l'a fait descendre du train. Il attend maintenant le prochain ICE. Il veut aller voir sa sœur à Sarrebruck. Il dit au journaliste: «Quand je serai arrivé, je t'enverrai une photo par Whatsapp».
Traduit et adapté par Noëline Flippe