C’était l’après-midi du lundi de Pâques, le 21 avril. Il faisait beau ce jour-là. Claudine et Bernard, un couple de retraités âgés de 79 et 80 ans, avaient pris la voiture pour descendre au bord du lac de Neuchâtel. Quelques heures plus tard, de retour dans leur maison située le long de la petite route forestière menant des Verrières au hameau des Cernets, ils constataient les dégâts. Une fenêtre du rez-de-chaussée avait été cassée, des biens avaient disparu.
Claudine, carré blond, la voix claire, a encore la liste des objets volés en tête:
La veille, un jeune requérant qui rejoignait le Centre d’asile des Cernets, situé à 1200 mètres et faisant partie de la commune des Verrières, s’était arrêté devant chez elle et son mari. «Il montait tout seul à pied. Il m’avait demandé: "Vous n’avez pas de l’eau, Madame?" Je lui en avais donné bien sûr.» Le lendemain, le domicile de Claudine et Bernard était cambriolé.
Destinés à la revente, les biens dérobés ont été retrouvés à Lausanne et Neuchâtel. «J’ai reçu les rapports de police. Ils étaient deux, un Marocain et un Tunisien, des requérants. Ils ont pris deux ans avec sursis», assure Claudine. Qui est inquiète et en colère:
Eux, c’est la dizaine d'individus entre 20 et 30 ans hébergés au Centre d’asile des Cernets. Un lieu dédié à l’accueil des cas «récalcitrants», dont les autorités des Verrières, 658 habitants, réclament la fermeture auprès du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM).
Un événement, décrit comme «la goutte d’eau qui a fait déborder le vase», s’est produit le 10 avril dans cette région reculée des Montagnes neuchâteloises, qui forme comme une enclave entre le Val-de-Travers et Pontarlier, sous-préfecture française du Hauts-Doubs.
Ce matin-là vers 11 heures, l’un des occupants du Centre d’asile des Cernets, un «Egyptien», boutait le feu au «pavillon», une cabane forestière en rondins avec ses bancs en bois clair massif, où les Verrisans, les habitants des Verrières, venaient pique-niquer le week-end, avec en prime une vue de carte postale sur leur village. Les écoliers s’y rendaient aussi, une fois par semaine, pour des leçons sur la faune et la flore. «Ma fille aimait y retrouver ce qu’elle appelait son arbre. Elle le serrait dans ses bras, pour être en communion avec la nature», raconte Yves, son père, rencontré à un arrêt de bus des Verrières.
L’incendiaire était appréhendé le jour du sinistre, sur le lieu même de son forfait, «en train de faire la danse de la pluie», rapporte Daniel Galster, le président de la commune.
De cette cabane en bois, proche du domicile de Claudine et Bernard, il ne reste que la charpente, effondrée et calcinée. Sa construction avait coûté 30 000 francs. Mardi, les cantonniers des Verrières installaient une benne sur un côté de la route en vue du déblaiement des restes.
La destruction par le feu d’un symbole de la confraternité villageoise marque comme un point de non-retour. D’où la demande en forme d’ultimatum adressée au SEM par Les Verrières. L’administrateur communal Yvan Jeanrenaud prend à témoin le visiteur:
Les récits accablants s’enchaînent. Ils rendent compte à la fois du ras-le-bol des citoyens et de la détresse de jeunes hommes pour la plupart originaires d’Afrique du Nord, aux comportements destructeurs et parfois suicidaires. Lucienne, une retraitée, raconte que le domicile de sa fille, qui se trouve aux Cernets, à proximité du centre d'asile, a été cambriolé et vandalisé par des requérants: «Ils ont cassé des bouteilles et lui ont volé 500 francs, le fond-de-caisse du jour qu’elle avait ramené chez elle, elle est sommelière.»
Lucienne ne veut pas mettre «tous les requérants dans le même panier, il y a des périodes calmes et certains font des travaux d'utilité publics, des TUP, mais j'en ai assez de tout le reste et de ceux qui me parlent mal en me demandant des cigarettes ou de l'argent», dit-elle.
Aux Cernets toujours, où des fermes et un hôtel-restaurant côtoient le centre d'asile dans un paysage jurassien agrémenté de vaches couchées dans l’herbe, «un requérant s’est jeté il y a quelques jours sous les roues avant du tracteur en marche d’un agriculteur», relate un voisin de ce dernier. «Des Securitas ont tout vu, comme ça, on ne pourra pas dire que l’agriculteur est dans son tort», ajoute-t-il. Le requérant est blessé au bassin. Le centre, on le savait, est inaccessible aux médias, comme le confirme un employé se présentant muni d'un numéro à appeler pour tout renseignement.
Surgissant d'un chemin de randonnée, deux marcheurs belges, des retraités flamands, confondent le bâtiment des requérants avec l'hôtel-restaurant, où ils passeront la nuit.
Aux Verrières comme aux Cernets, personne encore n'a été physiquement attaqué par des occupants du centre. Mais la commune, elle le dit et le répète, craint désormais le jour où cela arrivera. Pour l’heure, les habitants vivent fenêtres closes et portes fermées à clé quand tout ou presque restait ouvert autrefois. Pareil pour les voitures. Ces précautions limitent les effractions sans toutes les empêcher. «Ma copine s’est fait fracturer la vitre de sa voiture, on lui a volé son sac qui était à l’intérieur», raconte l’administrateur communal.
Sur la route des Cernets, en léger contrebas de la maison de Claudine et Bernard, vit la famille de François Geiser, la quarantaine, père de deux enfants. Ce chercheur en sciences sociales à la HES de Fribourg siège aux conseil communal (exécutif) des Verrières. Il est en charge des affaires sociales, des écoles et de l’aménagement du territoire.
«Des requérants viennent parfois toquer à nos fenêtres. On leur donne de l’eau et à manger. Une fois, des amis qui étaient en visite chez nous se sont fait voler quelque chose dans leur voiture», rapporte-il, debout derrière le fin grillage séparant la route de sa maison, un ancienne ferme. Mais quelque chose a changé.
Le 14 avril, François Geiser et ses quatre collègues du conseil communal des Verrières, composé d'un PLR, lui, et d’élus issus d’une liste d'entente, ont voté «à l’unanimité» en faveur de la fermeture du Centre d’asile des Cernets.
Pour beaucoup, la loi est mal faite. François Geiser rappelle que c’est l’UDC, en 2015, qui avait fait voter une modification de la législation fédérale permettant la création de centres d’asile spéciaux réservés à l’hébergement des cas difficiles. Dans la foulée, le centre des Cernets était inauguré en 2018, fermé en 2019, puis réactivé deux plus tard à l’emplacement d’un centre d’asile ordinaire, qui avait ouvert en 1982 et par où étaient passés des boat people vietnamiens, des ex-Yougoslaves et des Tamouls.
Mais le SEM en resta là. Aucun autre centre semblable à celui des Montagnes neuchâteloises ne vit le jour. Au demeurant, se demandent les Neuchâtelois, cela a-t-il un sens d'accueillir en un seul lieu, à raison d'un tournus des occupants toutes les trois semaines, dix «ingérables» en provenances d'autres centres d'asile de Suisse, y compris celui de Boudry, dans le canton de Neuchâtel?
Ce mardi, une minibus immatriculé au Tessin effectuait un aller-retour sur la route des Cernets. Avec, à chaque passage, un requérant assis sur la banquette arrière. Est-ce depuis l'incendie de la cabane communale? Les patrouilles en voiture des Securitas sont fréquentes. Ceux-ci n'ont pas de pouvoirs de contrainte sur les résidants des Cernets, en principe autorisés à sortir en journée. Mais ils sont en quelque sorte leurs cerbères, les suivant à la trace, quand ils n'échappent pas à leur vigilance. D'où les vols, les achats d'alcool, les virées à Neuchâtel et, le 10 avril, l'incendie de la cabane communale.
Yves, le père de l'élève qui aimait se rendre à la cabane pour y embrasser son arbre, se désole de cette situation:
Chacun, aux Verrières, a conscience que le problème qui se pose au village est moins un problème d'asile que de sécurité publique et de prise en charge d'individus pour certains psychologiquement épuisés. L'administrateur communal Yvan Jeanrenaud affirme avec une pointe d'ironie:
La commune des Verrières perdrait de l'argent si le centre des Cernets fermait. L'argent qu'elle engrange avec des travaux de déneigement et la fourniture de copeaux de chauffage. Tel restaurateur ne livrerait plus les requérants et leur encadrement. Mais tant pis, pense-t-on. Ou plutôt, tant mieux.